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Magazine - Histoire

Période : 1891-1914 Lieux : Pays nantais Le phylloxéra. À l'origine d'âpres luttes pour la terre

FLORENCE BAL - La vigne - n°263 - avril 2014 - page 87

Au XIXe siècle, l'arrivée du phylloxéra remet en cause les baux quasiment perpétuels qu'étaient les baux à complant. C'est le début d'un rude combat entre vignerons et propriétaires du Pays nantais.
VENDANGES au Landreau au début du XIXe siècle. © COLL. MUSÉE DU VIGNOBLE DU PAYS NANTAIS

VENDANGES au Landreau au début du XIXe siècle. © COLL. MUSÉE DU VIGNOBLE DU PAYS NANTAIS

CHARLES BRUNELLIÈRE. © COLL. Y. BRUNELLIÈRE/CHT NANTES

CHARLES BRUNELLIÈRE. © COLL. Y. BRUNELLIÈRE/CHT NANTES

C'est un épisode peu connu de l'histoire viticole. Dans le Pays nantais, à la fin du XIXe siècle, les vignerons titulaires de baux de vignes à complant ont été menacés de perdre leurs droits. Pour les conserver, ils ont constitué des syndicats de défense. René Bourrigaud, enseignant de droit retraité de la faculté de Nantes (Loire-Atlantique), a retracé dans son livre « Rien que notre dû ! » leur combat de 1891 à la Première Guerre mondiale.

Pour bien comprendre, il rappelle d'abord les spécificités d'un bail à complant. À partir du XIe siècle, « pour mettre en valeur de nouvelles terres, écrit-il, le seigneur propriétaire s'associe à un partenaire qui défriche une terre inculte et la plante de vignes ». Les coûts sont alors à la charge du cultivateur partenaire.

Lorsque la vigne entre en production, le cultivateur, dénommé colon car il a « colonisé » une terre, reverse une partie de sa récolte au propriétaire. Mais la principale contrepartie « est une forme de contrat de longue durée lui cédant la jouissance de la vigne. Ceci lui offre la perspective de s'élever un peu au-dessus de la condition de journalier ou de serf », relate René Bourrigaud. Et surtout, ce contrat lui assure une sécurité : il se prolonge tant que dure la vigne. Or, comme la vigne est provignée, le bail devient en quelque sorte perpétuel.

Après la Révolution, le bail à complant disparaît dans les campagnes françaises, à l'exception du Pays nantais où une lutte s'instaure entre colons, qui se considèrent comme copropriétaires des terres qu'ils exploitent, et propriétaires en titre.

Sollicité à ce sujet, le Conseil d'État rend un avis très important le 21 juillet 1800. Il stipule que « le bail à complant ne transfère au preneur aucun droit de propriété. Le droit du colon est un simple droit au bail qui peut se transmettre, mais qui cesse dès que cesse l'objet du bail, c'est-à-dire la vigne elle-même ».

Or, l'arrivée du mildiou dans le vignoble nantais en 1880, puis celle du phylloxéra en août 1884, changent la donne. Ces deux parasites détruisent les vignes, mettant donc fin au bail à complant. Selon l'arrête du Conseil d'état qui fait toujours jurisprudence, les propriétaires peuvent reprendre leur bien pour le confier à qui bon leur semble.

Certains d'entre eux engagent alors des procès en expulsion contre leurs colons. La justice leur donne raison. Une émotion profonde gagne le vignoble. C'est à ce moment qu'entre en scène Charles Brunellière, un armateur qui prend fait et cause pour les travailleurs. Chef de file des socialistes de la région, c'est lui qui informe les colons de la loi du 21 mars 1884, laquelle leur permet de s'organiser en syndicat de défense. C'est également lui qui les incite à ne pas « se laisser dépouiller de leur patrimoine » face aux propriétaires. Devenu colon lui-même par l'acquisition d'une petite vigne à complant, il mène la lutte.

Le premier syndicat, l'Union, est créé le 31 mai 1891. Deux cents colons de six communes y adhèrent. Dix-huit mois plus tard, ils seront 880. À cette époque, le Pays nantais comptait 18 400 ha de vignes, dont encore 3 430 à complant. Les colons sont environ 10 000. En 1892 et 1894, deux pétitions sont adressées à la chambre des députés.

« En réalité, les colons demandent seulement aux propriétaires l'autorisation d'arracher la vigne malade pour en replanter une nouvelle, indique une note policière de l'époque. Sauf exception, ces derniers sont plutôt conciliants, car s'ils devaient confier tous les travaux à une main-d'oeuvre salariée, elle leur laisserait moins de bénéfices. »

La pétition de 1894 conduit à la création d'une commission d'enquête pilotée par le préfet de Loire-Atlantique en 1895. Cette dernière débouche sur la loi du 11 mars 1898. C'est un tournant. Les colons obtiennent le droit de reconstituer la vigne dans un délai de quatre ans, sans que le caractère du bail à complant soit modifié. C'est une victoire pour les colons. Elle n'est toutefois pas complète, car ils veulent aussi rester copropriétaires, ce que la loi ne leur accorde pas.

Charles Brunellière repart à la charge. En 1912, une commission des complants est créée afin d'examiner cette requête. La Première Guerre mondiale va briser le mouvement, qui finira par s'éteindre de lui-même. Certains propriétaires vendent leurs terres à leurs colons pendant que des colons vendent leurs droits aux propriétaires. En 1968, il ne restait plus que 300 ha de vignes à complant. À quelques exceptions près, elles ont aujourd'hui entièrement disparu.

« Rien que notre dû ! Le combat des vignerons au pays du muscadet » (1891-1914), de René Bourrigaud, éditions du Centre historique du travail de Nantes.

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