À YEONGCHEON, les vignes sont très morcelées et imbriquées au milieu de zones urbanisées. La plupart ont été plantées sur des terres jadis dédiées à la riziculture. PHOTOS T. JOLY
RYU LEE, du centre technique agricole de Yeongcheon, inspecte des essais de Vitis vinifera plantés en pergola. Lorsque les ceps sont protégés de la pluie non pas rang par rang mais par une bâche recouvrant toute la parcelle, il est nécessaire d'irriguer au goutte-à-goutte.
LA MAJORITÉ DES VISITEURS des wineries sont des femmes. Au château Mani, elles peuvent faire des bains de pieds dans du vin.
JUNG-MI SHIM (ci-dessus au centre) dirige Blossom Winery avec son mari (à gauche) et son frère (à droite). Ils accueillent déjà des touristes bien qu'ils n'aient pas encore de vin à vendre.
La production de vin en Corée du Sud est en plein essor. Une centaine de domaines s'est lancée dans l'aventure. Toutefois, seule une dizaine d'entre eux produit plus de 10 000 bouteilles par an. La majorité est située dans deux régions productrices de raisins de table, où les autorités locales ont favorisé leur éclosion. À Yeongcheon, ville située à 250 km au sud-est de la capitale Séoul, les producteurs ont bénéficié de formations quasi gratuites à la vinification et à l'oenologie, de prêts de matériel de cave, d'appui technique et de subventions. Ce programme a permis la naissance d'une vingtaine de wineries individuelles ou coopératives depuis 2007.
« Les aides ont couvert 25 % de nos investissements », révèle Jung-Mi Shim, qui vient de fonder Blossom Winery (le domaine fleur) avec quatre associés. « Notre but est de mieux valoriser les raisins et de développer le tourisme. À terme, nous voulons attirer 100 000 touristes par an. 30 000 personnes sont déjà venues visiter les domaines en 2013 », assure Young-Suk Kim, le maire de la ville.
La municipalité a par ailleurs choisi le mot français « Ciel » pour en faire une marque collective. Elle en assure la promotion, et les vignerons peuvent l'inscrire sur l'étiquette en sus du nom de leur domaine. « Un site de vente par internet est dédié aux viticulteurs utilisant cette marque. Ils y écoulent 50 % de leur production », précise Ryu Lee, le sous-directeur du département viticulture du centre technique agricole local.
Située plus au centre du pays, la cité de Yeongdong a précédé celle de Yeongcheon. Dès les années 2000, elle a décidé de soutenir la création de wineries et une cinquantaine, pour la plupart minuscules, y est aujourd'hui en activité. Ces aides ont aussi contribué à la renaissance du château Mani, encore un nom écrit en français ! Fondé en 1993, c'est le principal producteur du pays avec plus d'un million de cols par an. C'est également l'un des rares à avoir survécu à la crise asiatique de 1997, car il a su diversifier son offre et ses débouchés.
Vignes plantées en pergola. Le château Mani vend 55 % de sa production en supermarchés, dont la moitié à Séoul, 25 % à l'armée et 10 % dans sa boutique à Yeongdong. Le reste part comme vin de messe et à l'export dans les communautés coréennes à travers le monde. Il élabore treize cuvées par an, dont un vin nouveau (en français sur l'étiquette), demande à des artistes de concevoir les étiquettes et propose des bouteilles avec habillages sur mesure. Il a même lancé une gamme de cosmétiques à base de polyphénols issus des pépins de raisin. « J'envisage maintenant d'ouvrir un bar à vins puis une centaine de franchises où seuls mes crus seront servis », ajoute son propriétaire, Byung-Tae Yoon, qui emploie 70 représentants.
Aujourd'hui, le château Mani compte 50 ha de vignes : 7,5 ha de cabernet sauvignon, merlot, sauvignon blanc et chardonnay, 25 ha de muscat bailey A (MBA) et 17,5 ha de campbell, deux variétés hybrides de raisins de table qu'il achète aussi à des cultivateurs voisins entre 0,70 et 1,70 euros le kilo pour compléter ses besoins.
Les pluies étant abondantes - 1 300 mm par an - et fréquentes en été, les vignes sont plantées en pergola à 2 000 pieds/ha, couvertes, comme partout dans le pays, d'une bâche en plastique. « La pergola favorise l'aération et le séchage des raisins. La bâche les protège de la pluie et du soleil car, en été, il fait 35°C », souligne Byung-Tae Yoon.
À Yeongcheon, où les précipitations sont moindres - 900 mm par an - la pergola n'est utilisée que pour les Vitis vinifera. Moins sensibles au mildiou, MBA et campbell sont plantées en cordon de royat et palissés en espalier. Les rendements vont de 1 à 3 tonnes par hectare. Peu de vignes sont spécifiquement dédiées au raisin de cuve. Pour la vinification, « les vignerons choisissent les parcelles où le raisin est le plus sucré et le récoltent quinze à trente jours plus tard que le raisin de table », explique Ryu Lee.
Fûts américains. Alors que les étés sont chauds, en hiver, les températures descendent jusqu'à -20°C et il y a un risque de gel en avril. Dans ces conditions, il n'est pas facile de trouver les cépages internationaux adéquats. « Le sylvaner et le merlot nous semblent les plus prometteurs », détaille Ryu Lee, qui mène des essais dans son centre technique et avec des viticulteurs. « Ce sont les variétés que je vais planter en plus du cabernet sauvignon et du chardonnay », déclare Jung-Mi Shim. En attendant, elle achète 3 tonnes de raisins par an.
Bien équipés, les domaines utilisent des pressoirs pneumatiques et des dispositifs pour réguler la température des cuves. Certains font vieillir leurs vins en fûts, plus souvent américains que français à cause du prix. Le château Mani réserve les fûts à ses meilleures cuvées et emploie des copeaux de chêne américain pour les autres. Il importe ses bouteilles de France ou de Chine.
Qu'il s'agisse de monocépages ou d'assemblages, il vend ses vins entre 7 et 22 €/col. « 35 % de coût de revient, 35 % de marge et 30 % de taxes, à cause desquelles nous avons un rapport qualité/prix peu compétitif vis-à-vis des vins importés du Chili. D'autant que les Coréens sous-estiment les vins locaux », regrette Byung-Tae Yoon, qui envisage de faire venir un maître de chai français pour améliorer la qualité de ses crus. Dans ce pays, qui considère la France comme la référence en matière de vin, un tel recrutement serait de nature à améliorer l'image que les Coréens ont de leurs vins.
notourisme de groupe
Avides d'en savoir plus sur le vin, les Coréens visitent de plus en plus les wineries, pour la plupart en groupe, dans le cadre de voyages organisés. Découverte du chai avec dégustation et vendange de quelques grappes sont des prestations courantes. Le château Mani facture la dégustation 3,50 euros par personne et la vendange 4,10 euros. Il propose également un bain de pieds au vin à 3,50 euros et dispose d'un restaurant. En partenariat avec les chemins de fer coréens, Byung-Tae Yoon, le propriétaire du château, a créé en 2006 une excursion en train depuis Séoul. « Nous avons commencé par affréter deux voitures une fois par semaine et nous en sommes à sept, deux fois par semaine. Le samedi, nous avons 600 visiteurs, dont 30 % d'étrangers. » De son côté, Blossom Winery organise des repas sur les accords mets et vins dans son restaurant et prévoit d'ouvrir un hôtel dans le futur.