Quand fallait-il démarrer la protection anti-oïdium ? Avant le stade dix à onze feuilles, de l'avis de nos experts. Un stade préconisé il y a quelque temps encore. Cependant, le moment exact dépend de la sensibilité du cépage à la maladie et de l'historique des attaques sur les parcelles. Plus le cépage est sensible, plus les parcelles ont subi d'attaques l'année passée, plus il faut commencer vite.
« Globalement, nous conseillons aux vignerons d'intervenir tôt, annonce Philippe Mauranx, responsable technique de la coopérative agricole Vivadour, en Gascogne. Sur les cépages sensibles, nous les incitons à pratiquer un premier traitement au soufre mouillable au stade deux à trois feuilles. » Pour lui, ce premier traitement conditionne 50 % de l'efficacité du reste de la stratégie.
Sur les cépages qui présentent des drapeaux, comme le carignan, Jean-Paul Raoux, responsable technique chez Charrière Distribution, à Saint-Nazaire (Gard), recommande aussi d'intervenir dès le stade deux à trois feuilles. Il privilégie un démarrage au Karathane (0,6 l/ha) seul ou associé avec du soufre mouillable. Dans ce dernier cas, on emploie 0,3 l/ha de Karathane et 6 kg/ha de soufre.
Plus tard en Champagne
« Sur les autres cépages, les vignerons peuvent attendre le stade sept-huit feuilles pour déclencher les premiers traitements », ajoute-t-il. Sauf s'ils ont subi des attaques d'oïdium l'année précédente. Dans ce cas, Jean-Paul Raoux préconise un démarrage à cinq-six feuilles. Dans ces deux cas, il suggère de traiter avec un IBS du groupe 1 (IDM), suivi à quatorze jours d'intervalle d'un second IDM, mais issu d'une matière active différente.
En Bourgogne, Philippe Mangold, le responsable vigne de la coopérative agricole et viticole Bourgogne du Sud recommande de débuter à trois-quatre feuilles étalées sur les parcelles de chardonnay et de pinot noir régulièrement attaquées par l'oïdium. « Une protection plus tardive sur ces parcelles peut compromettre l'efficacité du reste du programme, souligne-t-il. Les vignerons risquent de se retrouver avec de fortes attaques à partir de la floraison et, donc, de devoir augmenter le nombre de traitements. »
Comme ses confrères, il conseille de démarrer par l'emploi de soufre mouillable entre 10 à 12,5 kg/ha ou, si des précipitations sont annoncées, de choisir l'Heliosoufre à 5 à 7,5 l/ha.
En Champagne, Jérémy Isaac, technicien vigne au service agronomique de Cohesis vigne, milite pour une intervention plus tardive, au stade sept à huit feuilles. « Notre conseil provient des résultats de nos essais menés sur des parcelles à historique d'attaques fréquentes, expose-t-il. Nous avons comparé les stades quatre à cinq feuilles, sep-huit feuilles et dix feuilles étalées. » Conclusion : à dix feuilles étalées, il est trop tard. À quatre-cinq feuilles, le gain d'efficacité ne justifie pas forcément l'intervention.
Lutte contre les résistances
Après ces premiers traitements venaient souvent les QoI solo. Mais ces produits sont de plus en plus abandonnés, pénalisés par les résistances. D'ailleurs, la note nationale de lutte contre les résistances en 2014 déconseille leur emploi contre l'oïdium.
Parmi nos distributeurs, seul Jean-Paul Raoux maintient un traitement aux QoI. « Je n'en propose qu'un seul à la troisième intervention », explique-t-il. D'après lui, ces produits restent efficaces dès lors qu'ils sont utilisés à bon escient et intercalés avec d'autres matières actives. Mais, certains de ses clients ne souhaitent plus les utiliser. Aussi, depuis cette année, il leur propose Cidely, un produit lancé par Syngenta l'an passé, qui repose sur le cyflunenamid (CFF), une nouvelle famille chimique.
« Aux QoI solo, nous préférons les QoI associés à des SDHI, dit Jérémy Isaac. Depuis cette année, nous conseillons ainsi une nouveauté : le Luna Sensation ou Luna Xtend. »
Mis au point par Bayer, ce produit associe la trifloxystrobine et le fluopyram, une nouvelle matière active. Il offre une protection de vingt et un jours à la dose de 0,2 l/ha. Mais, pour l'instant, les distributeurs semblent plutôt le conseiller pour quatorze jours à la dose de 0,15 l/ha. « Il peut ainsi être couplé avec les antimildious, dont la rémanence s'élève à quatorze jours », observe Jean-Paul Raoux. Ce dernier vient également d'intégrer Luna Sensation dans son portefeuille de nouveautés.
De la préfloraison à la nouaison, nos distributeurs proscrivent aussi l'application d'IDM seuls sur les parcelles sensibles. Avec les résistances, leur efficacité est devenue incertaine. « L'encadrement de la floraison est la période la plus critique, remarque Jérémy Isaac. Aussi, nous privilégions désormais les spécialités qui présentent le moins de dérives possibles. »
Alterner les matières actives.
Durant cette phase, il préconise à ses clients d'alterner deux fongicides basés sur des familles de matières actives différentes : la spiroxamine (Hoggar à 0,6 l/ha), qui protège la vigne de dix à douze jours, et la métrafénone (Vivando à 0,2 l/ha), dont l'effet dure douze à quatorze jours. Entre les deux, il est partisan d'une application supplémentaire de soufre sublimé (Fluidosoufre à 25 kg/ha) dans les parcelles à foyers récurrents.
Durant l'encadrement de la floraison, Philippe Mangold prône, lui aussi, l'alternance des familles chimiques. « Nous recommandons d'abord un traitement Vivando à 0,2 l/ha, suivi de Tsar (1 l/ha), un IDM associé à du quinoxyfène, ou, depuis cette année, Dynali, une nouveauté de Syngenta. » Cette dernière combine un IDM au cyflufénamid. La protection se poursuit ensuite avec un QoI associé à un SDHI : Collis à 0,4 l/ha ou Luna Sensation à 0,15 l/ha, suivi, à nouveau, de Vivando puis de Dynali. Elle se clôture par un traitement avec Kesys, de la famille des AZN (0,25 l/ha).
Au sein de ce programme, la coopérative Bourgogne du Sud conseille d'intercaler, en plus, un traitement à base de soufre à la chute des capuchons floraux de 25 kg/ha sur les parcelles où l'oïdium est marqué d'une année sur l'autre. L'intervention exige une température minimale de 20°C et une luminosité importante. Si ces conditions ne sont pas réunies, Philippe Mangold recommande un traitement supplémentaire ciblant la zone des grappes avec Prosper (spiroxamine).
Jean-Paul Raoux suggère lui aussi à ses clients de recourir au soufre. Il le conseille au début de la floraison et au début de la fermeture de la grappe. En fin de saison, il les incite à appliquer du cuivre, de préférence avec de la bouillie bordelaise, car il freine la formation de cléistothèces, la forme de conservation hivernale de l'oïdium.
Contrairement au cuivre, le soufre ne supporte pas les baisses de doses. « À 6 kg/ha dans les situations de fortes infestations d'oïdium, le soufre mouillable perd de son efficacité, a rappelé Daniel Novoa, responsable de la société Novex, lors du colloque sur le soufre organisé par Cerexagri, le 10 avril dernier, à Nice (Alpes-Maritimes). C'est ce que démontrent les résultats des essais que nous conduisons depuis plus d'une dizaine d'années. »
Du soufre à la bonne dose
Ces essais ont d'abord porté sur le carignan, puis sur le chardonnay. « Les résultats sont identiques, quel que soit le cépage », poursuit Daniel Novoa. Employé tout au long de la saison à 12,5 kg/ha, la dose homologuée, et à dix jours d'intervalle entre deux traitements, l'efficacité du soufre mouillable se situe autour de 80 %. Dès lors que les viticulteurs diminuent les doses et qu'ils font coïncider les cadences avec celle des antimildious à quatorze jours, l'efficacité du soufre tombe à 50-60 %, voire moins.
De même pour le soufre poudre. Lui aussi est efficace aux doses homologuées de 20 à 25 kg/ha. Il exige en plus des conditions météorologiques idéales : très peu de vent et une forte luminosité. Dans ces conditions, « il a un pouvoir de pénétration élevé au sein de la végétation grâce à son fort effet vapeur, souligne Daniel Novoa. Il est donc particulièrement efficace ». Pour cet expert, le meilleur positionnement pour un poudrage se situe à deux périodes : en fin de floraison et avant la fermeture de la grappe. Il conseille deux applications par saison à ces deux stades. Il recommande également l'emploi du soufre en poudre au stade trois à quatre feuilles, à titre préventif, lorsque les conditions météorologiques s'y prêtent.
Par ailleurs, les experts mettent en garde leurs clients contre les trous dans la protection. « Le respect des cadences est un facteur primordial de la réussite de la protection antioïdium, martèle Jean-Paul Raoux. Or, il est facile de perdre deux à trois jours à cause des conditions météo ou, en mai, des jours fériés. »
La qualité de la pulvérisation est aussi un élément clef de la réussite. Nos experts militent pour un traitement en face par face et insistent auprès des vignerons pour qu'ils effectuent des contrôles réguliers du débit de leurs appareils.
En Bourgogne, le déclenchement de la lutte fait débat
« Il n'y a pas d'utilité à débuter la protection antioïdium avant le stade sept à huit feuilles », lance Pierre Petitot, conseiller viticole à la chambre d'agriculture de Côte-d'Or. Voilà qui contredit les recommandations de la coopérative agricole et viticole Bourgogne du Sud. Cette dernière prêche en effet pour une intervention au stade trois à quatre feuilles étalées. « Nous avons conduit des travaux sur le sujet entre 2006 et 2013, poursuit Pierre Petitot. Ils ont concerné quatre-vingts sites d'essai. Les résultats démontrent que l'efficacité de la protection est identique qu'elle soit déclenchée au stade trois-quatre feuilles ou au stade sept-huit feuilles. » Cette expérimentation confirme que la période allant de la floraison à la fermeture de la grappe correspond au moment de plus grande sensibilité de la vigne. « Elle doit faire l'objet d'une vigilance optimale », assure le conseiller. La chambre d'agriculture a également planché sur la fin de la protection. Dix à quinze jours après la fermeture de la grappe, elle conseille d'observer cent grappes réparties au hasard dans la parcelle. Si elles sont toutes indemnes d'oïdium, la protection peut être arrêtée. Dans le cas contraire, elle doit être maintenue. Le dernier traitement doit alors intervenir au début véraison.
Romain Angelras, vigneron à Castillon-du-Gard (Gard) « Nous avons testé une nouvelle stratégie »
« En 2012, une sévère attaque d'oïdium a frappé 40 % notre vignoble, qui compte 80 ha au total. Nous n'en avions jamais subi de cette ampleur auparavant. La coopérative a dû déclasser une partie de nos raisins. L'Institut français de la vigne et du vin (IFV) a analysé des baies contaminées. Verdict : le produit que nous avions utilisé à la floraison avait décroché. Il s'agissait d'un QoI. L'an dernier, j'ai donc choisi de participer à un essai conduit par l'IFV et la firme Bayer sur une parcelle d'un hectare de merlot, très touchée en 2011. Nous avons commencé la protection plus tôt, à trois-quatre feuilles au lieu de cinq-six feuilles, voire huit-dix feuilles auparavant. J'ai effectué ce premier traitement avec Hoggar (spiroxamine) à 0,4 l/ha. Dix jours plus tard, j'ai réalisé ma seconde intervention avec Abilis (IDM) à 0,25 l/ha, associé à Karathane 3D (meptyldynocap) à 0,3 l/ha. Puis nous sommes alors intervenus avec Vivando (métrafénone) à 0,2 l/ha. Dans le même temps, j'ai débuté mon programme de protection antimildiou avec Profiler et Kenkio. Douze jours après, j'ai réalisé un traitement à 0,20 l/ha avec Luna Sensation, une nouveauté de Bayer. Ce produit a la particularité de protéger la vigne durant vingt et un jours, quand les autres spécialités offrent quatorze jours de protection. Nous avons pu le faire coïncider avec les antimildious, qui ont tenu vingt et un jours. À l'issue de ce laps de temps, j'ai appliqué un second Luna Sensation. Et dix-neuf jours plus tard, j'ai bouclé mon programme avec Kesys (proquinazid) à 0,25 l/ha. Il s'est révélé particulièrement efficace. La parcelle a été indemne d'oïdium. Cette année, je reconduis ce programme à l'identique sur 10 ha. »
AGNÈS CALONNEC, CHERCHEUSE À L'INRA DE BORDEAUX, EN GIRONDE « Les jeunes feuilles ne disposent pas des défenses nécessaires »
« La vitesse d'expansion de l'épidémie est quatre fois plus lente sur les parcelles de faible vigueur que sur les parcelles vigoureuses », a déclaré Agnès Calonnec, spécialiste de la maladie, lors d'un colloque organisé par UPL à Nice (Alpes-Maritimes), le 10 avril dernier. La date de contamination est un autre facteur aggravant de l'épidémie. « La précocité des attaques sur feuilles conditionne la gravité des attaques sur grappes », remarque Agnès Calonnec. Et d'après les résultats de ses recherches, les feuilles jeunes sont plus réceptives à la maladie que les anciennes. « Elles ne disposent pas des défenses nécessaires pour la combattre », analyse-t-elle. Elle conseille donc de se rendre dans ses parcelles dès le stade deux à quatre feuilles pour commencer à observer le feuillage. Ce suivi permet de déceler les éventuelles contaminations primaires qui se caractérisent par des taches minuscules et diffuses de feutrage, pouvant présenter différentes nuances allant du beige au gris, sous les feuilles.
Jean-Pierre Vazart, vigneron à Chouilly (Marne) « J'envisage d'utiliser toutes les cartouches »
« Depuis 2010, je suis plus vigilant vis-à-vis de l'oïdium. La pression parasitaire est plus forte, sans que l'on sache pourquoi. Malgré cela, l'an dernier, nous avons contenu la maladie. Sur les trente parcelles de notre vignoble de 11 ha, une seule a subi des attaques sur baies. Nous avons donc effectué un tri à la parcelle pour éliminer les raisins touchés. Cette année, j'ai décidé de supprimer les IDM et les QoI de mon programme de traitement. À cause des résistances, je n'ai plus confiance dans l'efficacité de ces familles chimiques. À la place, je vais recourir à Vivando, un produit à base de métrafénone. Le meptyldinocap (Karathane 3D) et la spiroxamine font également partie de mon programme 2014. Comme chaque année, j'ai commencé au stade sept-huit feuilles, mais cette fois avec Vivando à 0,2 l/ha. Je viens en outre de faire l'acquisition d'une poudreuse pour réaliser des traitements avec du soufre en poudre. Je prévois d'appliquer du Fluidosoufre à raison de 20 à 25 kg/ha. Mais les conditions climatiques devront être propices à la mise en oeuvre de ce traitement. J'adhère par ailleurs au Groupement de développement viticole de la Marne (GDV). Cet organisme diffuse un bulletin hebdomadaire de la pression des maladies, dont l'oïdium, qui me tient en alerte. Plusieurs fois dans la saison, je vérifie le débit et le réglage de mon pulvérisateur, car la qualité de la pulvérisation est essentielle. Et cette année, je vais prêter une oreille attentive aux nouveautés des firmes, même si je n'en ai pas inclus dans mon programme. Il faut envisager d'utiliser toutes les cartouches. »