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AU COEUR DU MÉTIER

À CAHORS, DANS LE LOT « Mes stocks sont mon assurance antigrêle »

FLORENCE BAL - La vigne - n°264 - mai 2014 - page 26

À CAHORS, DANS LE LOT, Delphine Combarieu dirige un domaine de 27 ha situé dans une zone régulièrement touchée par la grêle. Pour s'en sortir, elle stocke beaucoup. Pour vendre, elle participe à une multitude de marchés.
CHRISTINE COMBARIEU stocke près de deux récoltes, soit 2 500 hl de vin, dont les deux tiers en cuves ( ici le cahors 2009). PHOTOS : F. BAL

CHRISTINE COMBARIEU stocke près de deux récoltes, soit 2 500 hl de vin, dont les deux tiers en cuves ( ici le cahors 2009). PHOTOS : F. BAL

CHRISTINE RÉALISE LES ULTIMES ATTACHAGES tandis que Pascal Vigogne, salarié depuis dix-sept ans, récupère les fils du palissage de 1,8 ha de malbec, qui sera arraché et replanté en 2014, avec un enrouleur bricolé par ses soins avec des jantes.

CHRISTINE RÉALISE LES ULTIMES ATTACHAGES tandis que Pascal Vigogne, salarié depuis dix-sept ans, récupère les fils du palissage de 1,8 ha de malbec, qui sera arraché et replanté en 2014, avec un enrouleur bricolé par ses soins avec des jantes.

LA MÈRE DE CHRISTINE, CHANTAL, donne un coup de main pour l'étiquetage avant le démarrage de la saison estivale durant laquelle Delphine, son mari et elle participent chacun à un ou deux marchés chaque jour.

LA MÈRE DE CHRISTINE, CHANTAL, donne un coup de main pour l'étiquetage avant le démarrage de la saison estivale durant laquelle Delphine, son mari et elle participent chacun à un ou deux marchés chaque jour.

DEPUIS 2008, à la demande de ses clients, Christine a créé une nouvelle cuvée en AOC Cahors élevée un an en barriques.

DEPUIS 2008, à la demande de ses clients, Christine a créé une nouvelle cuvée en AOC Cahors élevée un an en barriques.

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

C'était sa « première leçon de vigneronne » et elle ne l'a pas oubliée. En 2001, l'année même de son installation auprès de ses parents, Delphine Combarieu essuie une grêle dévastatrice. Le domaine ne récolte qu'une centaine d'hectolitres contre 1 000 à 1 100 hl habituellement. Du coup, elle a appris très tôt à stocker du vin pour pallier les pertes causées par la grêle.

À Trespoux-Rassiels, dans le Lot, le château Combarieu couvre 25 ha de malbec et 2 ha de merlot. Il est situé dans un village régulièrement touché par des orages destructeurs. Après 2001, il y a eu 2007, 2010 et 2013. L'an dernier, le château a ainsi perdu 70 % de sa récolte. Connaissant cette fragilité, les parents de Delphine entretenaient déjà de longue date un stock important. Delphine leur a emboîté le pas.

« J'ai environ deux récoltes de rouge en stock. Je préfère cela à une assurance antigrêle, explique-t-elle. Avec ce système, grêle ou pas, j'ai toujours du vin à vendre. Je peux toujours servir nos clients. C'est le principal. » En revanche, elle n'a pas de réserve de rosé. Dans cette couleur, « je produis uniquement ce que je vends dans l'année et pas davantage, souligne-t-elle, car le rosé ne se stocke pas. »

« Lorsqu'on a eu de la grêle, la priorité absolue est d'assurer la production de vin rosé pour la campagne à venir, en achetant de la vendange s'il le faut. En 2010, par exemple, la grêle s'est abattue au mois de mai, raconte-t-elle. Après cela, la vigne a fait des feuilles, mais pas de raisins. Nous avons récolté à peine une centaine d'hectolitres. J'ai acheté de la vendange pour le rosé et nous n'avons pas fait de cahors. L'année suivante, en 2011, les bois avaient très bien récupéré. La sortie de grappes a été énorme. Nous avons eu une très belle récolte de 1900 hl. Exceptionnellement, nous avons produit pas mal de vin de France. »

Depuis 2006, les ventes en bouteilles sont stables, entre 60 000 et 70 000 cols par an, soit environ 40 % d'une récolte moyenne actuellement. Delphine Combarieu élabore trois cuvées : un cahors élevé en cuve inox, un cahors élevé un an en barriques et un rosé en IGP Côtes du Lot. Elle a démarré la cuvée barrique en 2008, à la demande de ses clients. « La barrique arrondit bien les tanins, dit-elle. Le vin est plus facile à consommer rapidement. Cela remplace un élevage long en bouteilles. » Elle vend actuellement six vins de cinq millésimes, de 2007 à 2009 pour l'AOC Cahors et le rosé de l'année. Du fait de l'importance des stocks de vins rouges, leur mise sur le marché intervient tard. La vente du millésime 2012 ne démarrera qu'au printemps 2015. Pour Delphine, c'est une bonne chose car l'élevage long, en bouteilles ou en cuves, est aussi une manière d'arrondir les tanins.

Delphine travaille avec son mari, Manuel Pinto, qui a rejoint le domaine en 2001 comme salarié à mi-temps, puis à temps complet en 2005. Il est devenu conjoint collaborateur en 2010. Il devrait bientôt prendre des parts dans l'EARL qu'elle détient à 100 % après la mort prématurée de son père, Jean, en janvier 2013. Sa mère, Chantal, âgée de 62 ans et retraitée depuis 2010, leur donne toujours un précieux coup de main.

En 2001, Delphine est arrivée sur le domaine, titulaire d'un BTS technico-commercial vin et spiritueux. Depuis, elle l'a agrandi de 9 ha et a triplé le nombre de bouteilles vendues. Ses parents commercialisaient environ 15 % de leur production en bouteilles, au caveau et sur quelques marchés locaux. Dès son arrivée, Delphine démarre une petite foire à Paris deux fois par an, en mai et en novembre, pour développer les ventes en bouteilles.

Elle investit également 3 millions de francs, soit 460 000 euros. Avec cette somme, elle construit un nouveau chai de 500 m2 et 10 m de haut, très fonctionnel, qui permet un écoulement de la vendange par gravité. Elle achète dix cuves en inox de 200 hl et quatre de 150 hl, thermorégulées. Elle aménage aussi un hangar de 200 m2 en salle de stockage des bouteilles, d'étiquetage, d'embouteillage et en caveau. Coup de chance : l'ensemble est opérationnel pour septembre 2003, l'année de la canicule. Coup du sort : tous les plans prévisionnels avaient été calculés sur la base de 1 €/l, le prix du vrac avant son installation. Mais en 2001-2002 démarre une crise après laquelle les prix s'effondreront jusqu'à 0,50 c/l. La situation financière est alors extrêmement tendue. « Il a fallu aller chercher la différence en vendant plus de bouteilles en direct », souligne Delphine. D'autant que la canicule de 2003 réduit la récolte de moitié.

À partir de Pâques et durant tout l'été, le domaine est présent tous les jours sur un marché classique du Lot, de l'Aveyron, de la Corrèze ou du Cantal. À partir de juillet, il participe en plus à cinq ou six marchés de producteurs par semaine et à des marchés nocturnes avec un repas. Delphine, Manuel et Chantal se les répartissent.

Après les vendanges, ils participent tous les week-ends jusqu'à Noël à des mini-foires, de petits salons ou des marchés de producteurs de deux ou trois jours, toujours gratuits : en Corrèze, à Paris (deux fois), à Lyon, en Bretagne, etc. Ils se rendent de plus à quatre salons en Belgique. « C'est le seul pays étranger où nous vendons, commente Céline. Je ne me suis jamais préoccupée de l'export. » Elle relève que « la campagne sur le cahors et son cépage, le malbec, menée par l'interprofession, a eu un effet très positif sur l'image de l'appellation. Maintenant, les clients des foires et salons hors région ont entendu parler de Cahors alors qu'auparavant, beaucoup ne nous connaissaient pas du tout. Il fallait leur donner beaucoup d'explications ».

Sur le plan des vins, le rosé monte en puissance. En 2003, année de la sécheresse, elle en a élaboré 8 000 bouteilles. Depuis, la production a quadruplé à 32 000 cols et représente désormais la moitié ou un peu plus des ventes en bouteilles.

La cuverie flambant neuve et la maîtrise des températures ont beaucoup apporté à la qualité des vins. « Cette cuverie est au top », dit-elle. Elle lui permet de réaliser une macération pelliculaire durant deux jours à 7-8°C pour son rosé avant de le saigner puis d'effectuer les fermentations à très basse température (11-12°C) « On conserve tout le fruit. Les clients ont immédiatement apprécié la différence, commente-t-elle. De même, le sucre résiduel que je laisse, 10 g/l, leur plaît beaucoup. » Quant aux rouges, ils subissent une macération préfermentaire à 10°C pendant un ou deux jours avant d'être vinifiés avec une température maximum de 28°C.

À la vigne, elle conserve une méthode conventionnelle de culture. Les vignes sont labourées dans l'interrang et désherbées chimiquement un rang sur deux. Delphine épampre et dédouble les rameaux des parcelles en AOC Cahors, ce qu'elle ne fait pas pour celles en vin de France. À partir du mois de juin, commerce oblige, Pascal Vigogne, salarié depuis dix-sept ans au domaine, assume seul les travaux dans les vignes.

L'an dernier, la grêle a frappé le 18 juin, lui faisant perdre 70 % de sa récolte. Comme toujours en pareil cas, Pascal Vigogne a traité les vignes avec un mélange de folpel et de cymoxanil pour que les plaies cicatrisent. Est-ce pour cette raison ? Toujours est-il que lors de notre visite, début avril, les vignes semblaient avoir bien récupéré. À tel point que Delphine espère une bonne récolte.

Cette année, elle vendra en vrac quelques centaines d'hectolitres de ses stocks pour compenser la baisse de la récolte 2013. « Actuellement, le cours de l'AOC Cahors est bon, il est remonté à 1,30-1,40 €/l », précise-t-elle. Elle va également arracher et replanter une parcelle de 1,8 ha de malbec, puis en planter 1 ha supplémentaire l'an prochain. Le domaine aura ainsi atteint sa vitesse de croisière.

En janvier 2015, le remboursement des emprunts contractés en 2001 se terminera, ce qui mettra du beurre dans les épinards. De quoi envisager l'avenir de manière bien plus sereine et de nouveaux investissements après dix ans de pause de ce côté-là. Tout en continuant bien sûr toujours de stocker. Juste au cas où.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Delphine est fière de l'évolution des ventes en bouteilles : de 20 000 par an en 2001 à 60 000 à 70 000 depuis 2006.

Grâce aux stocks, les clients sont toujours servis et le chiffre d'affaires est maintenu même après les années de grêle ou, comme en 2003, de sécheresse.

Les investissements réalisés dans la cuverie ont beaucoup apporté à la qualité des vins.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ELLE NE REFERA PLUS

Ses stocks sont couramment de deux récoltes et ont même atteint presque trois récoltes en 2012. « Selon mon comptable, ils sont beaucoup trop importants et pèsent sur la trésorerie, souligne Delphine. Je sais que je devrais les ramener à une récolte et demie mais, pour le moment, j'ai du mal à m'y résoudre. Cela me rassure d'avoir autant de vin d'avance. »

Lorsqu'elle s'est installée, elle a trop investi d'un seul coup. Les remboursements ont été très lourds à porter. « Cela nous a fait beaucoup de soucis. Mais maintenant, je ne le regrette pas », dit-elle.

SA STRATÉGIE COMMERCIALE « Des prix abordables pour vendre facilement »

Le domaine écoule 60 000 à 70 000 bouteilles par an - soit 40 % d'une récolte moyenne - uniquement à des particuliers. Il n'a pas de clients professionnels pour ses ventes conditionnées. Et pour cause : Delphine Combarieu a choisi d'appliquer un tarif unique pour ses vins : de 4,30 euros TTC pour l'IGP rosé Côtes du Lot à 7,50 euros pour son cahors 2009 élevé un an en fût. « Plutôt que de vendre une bouteille 10 euros TTC au caveau et 5 euros HT aux restaurants ou aux grossistes, je pratique un prix très abordable et adapté à notre clientèle de marchés, de salons et de foires afin d'écouler le maximum de cols, précise-t-elle. Sur les marchés locaux, je vois que les bouteilles à 10 ou 15 euros ne se vendent absolument pas. Il faut en tenir compte. » Outre le fait qu'elle garantit des ventes régulières, cette politique permet également d'encaisser de l'argent frais dès les ventes conclues, sans risques d'impayés.

Delphine Combarieu avertit ses clients de sa présence sur un salon et ou une foire : « On vient dans votre région, cela vous évite de commander et de payer le transport, raconte-t-elle. Sur les petits salons, jusqu'à 70 % des personnes contactées viennent nous voir. À Paris, le taux de retour n'est que de 10 %, mais il y a beaucoup plus de passage. »

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L'exploitation

Surface : 27 ha AOC Cahors et IGP Côtes du Lot rosé.

Densité de plantation : 5 000 pieds/ha.

Mode de taille : guyot simple.

Main-d'oeuvre : un salarié permanent, Delphine, Manuel et Chantal en coup de main.

Production totale potentielle : 1 300 hl.

Production 2013 : 550 hl, achat de raisin compris.

L'essentiel de l'offre

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