L'idée n'est pas nouvelle. Associer sur une même parcelle vigne et espèces ligneuses date de l'Antiquité. Cette pratique est même encore imposée en Italie dans une appellation contrôlée de la région de Naples, l'Aversa Asprinio, où les vignes sont fixées aux arbres.
En France, après des années de rationalisation et d'optimisation du parcellaire, la place des arbres dans le vignoble refait timidement surface. « C'est une façon d'introduire de la biodiversité, observe William Trambouze, de la chambre d'agriculture de l'Hérault. C'est particulièrement pertinent en viticulture, où la monoculture s'est largement imposée. »
L'idée est de tirer parti de cette biodiversité pour instaurer la protection passive du vignoble. En implantant d'autres espèces que la vigne, on favorise le développement d'une faune auxiliaire qui peut s'avérer précieuse pour lutter contre les parasites de la vigne. « Des essais probants ont été obtenus en arboriculture. Mais en viticulture, nous n'avons pas encore mené de travaux permettant de confirmer ces résultats », indique toutefois William Trambouze.
Louis Fabre, qui exploite 350 ha de vigne en bio sur différents domaines de l'Aude et de l'Hérault, a tout de même tenté l'expérience. En 2004, il a planté 300 jeunes plants d'arbres et arbustes de différentes espèces au milieu d'une parcelle de vigne d'un hectare sur la commune de Cruscades, dans l'Aude. Chaque rangée d'arbres (elles sont sept au total) est entrecoupée de six rangs de vigne. « Ils ont attiré des oiseaux et des chauves souris : on voit des nids dans les branches. Mais pour le moment, je ne peux pas dire que la pression des tordeuses de la grappe est moins forte. Peut-être faut-il encore un peu de temps », espère le viticulteur.
Autre argument mis en avant par Fabien Liagre, de la société Agroof, spécialisée dans l'agroforesterie : la création, à l'échelle de la parcelle, d'un microclimat atténuant les effets du réchauffement climatique. « Ce n'est pas pour rien qu'on trouvait des vignes complantées d'oliviers, d'amandiers ou de pêchers en région méditerranéenne, fait-il remarquer. Des espèces comme le cormier apportent un léger ombrage qui permet de mieux résister à la sécheresse. »
Un point que nuance Louis Fabre : « Tout dépend du millésime. L'effet parasol des arbres est intéressant lors des années chaudes et sèches, comme 2012. En 2013, qui a été un millésime tardif et plus frais, c'est moins évident. »
Enfin, l'intérêt paysager est également à prendre en considération. « Pour les vignerons qui vendent au caveau, c'est un critère qui compte. La présence d'arbres met en valeur les paysages viticoles. C'est un élément qui peut influencer l'acte d'achat », affirme William Trambouze. Et qui embellit le cadre de vie des exploitants. « Dans notre vignoble, où le prix des terres n'atteint pas celui d'autres régions plus prestigieuses, on peut se permettre d'utiliser un peu de foncier pour planter des arbres, estime Louis Fabre. C'est une chance immense. La vie qui s'y développe et l'agrément paysager qu'ils procurent redonnent du plaisir à aller dans les vignes. »
Les essais menés depuis une quinzaine d'années sur le domaine expérimental de Restinclières, à Prades-le-Lez, dans l'Hérault, montrent que la présence d'arbres n'a pratiquement pas d'influence sur la qualité et la quantité des raisins produits, à l'exception des rangées les plus proches des vignes. Un minimum de 5 m entre les vignes et la rangée d'arbres est donc recommandé.
À ce jour, les initiatives sont encore rares et concernent pour la plupart des viticulteurs bios. « C'est une suite logique. En bio, on est très sensible à l'environnement. Je veux voir si ces plantations ont un impact sur la faune auxiliaire qui permettrait de réduire encore les traitements », explique Christian Vigne, président de la cave coopérative de Massillargues-Attuech (Gard), laquelle exploite un vignoble de 30 ha en bio.
Avec l'appui d'Agroof, il se prépare à planter plusieurs haies en bordure de ses parcelles. Une autre haie de près de 400 m de long, composée de plus d'une vingtaine d'espèces, sera également plantée au milieu d'une parcelle de 10 ha pour ramener de la biodiversité au sein du vignoble.
L'agroforesterie serait-elle promise au même développement que le bio ? « Agroforesterie, c'est peut-être un bien grand mot. Mais le retour à plus de biodiversité dans les vignes, oui, je pense que c'est une tendance qui va prendre de l'ampleur, soutient Louis Fabre. Certains de nos clients nous y encouragent. Un de nos importants acheteurs bios en Suisse, la société Delinat, l'a inscrit dans son cahier des charges. » Un signe ?
Des aides europénnes à l'appréciation des régions
Le règlement européen de soutien au développement rural entre 2014 et 2020 prévoit une aide à la mise en place de projets agroforestiers. Pour que les agriculteurs d'une région donnée en bénéficient, leur région doit approuver et cofinancer cette mesure. À ce jour, toutes les régions ne l'ont pas activée. Le Languedoc-Roussillon ne la considère pas comme prioritaire. Une pétition, déjà signée par une trentaine de personnes, a été lancée pour demander l'ouverture de la mesure. Au total, les exploitants peuvent espérer une aide couvrant 70 % des frais d'installation (conception, fourniture, plantation et entretien sur cinq ans) de leur projet agroforestier.
Un essai sur 8 ha au domaine de Restinclières
Depuis 2000, la chambre d'agriculture de l'Hérault en partenariat avec l'Inra suit un essai d'agroforesterie sur le domaine de Restinclières, à Prades-le-Lez, mis à disposition par le conseil général de l'Hérault. Le vignoble de 8 ha est divisé en plusieurs parcelles où plusieurs espèces d'arbres ont été testées (pin pignon et cormier essentiellement, des espèces qui atteignent 8 à 9 m de haut à l'âge adulte). « L'idée est de vérifier si la présence d'arbres affecte la quantité et la qualité des raisins », explique William Trambouze. Les vignes - grenache noir et syrah - ont été plantées en 1997 et les arbres un an plus tôt. Les rangs sont espacés de 2,50 m. La chambre d'agriculture teste deux densités de plantations d'arbres : une haute densité où un rang d'arbres remplace un rang de vignes tous les six rangs (un rang d'arbres, cinq rangs de vigne et 2,50 m entre tous les rangs) et une densité basse où un rang d'arbres remplace deux rangées de vigne (un rang d'arbres, quatre rangs de vigne, 3,75 m entre un rang de vigne et un rang d'arbres, 2,50 m entre les rangs de vigne). Les arbres sélectionnés n'ont pas d'impact sur la production viticole, ni en quantité ni en qualité, sauf sur les rangs voisins. Sur les deux rangs de vigne de part et d'autre d'une rangée d'arbres, la croissance des rameaux, le poids de bois de taille, la teneur en azote assimilable dans les moûts et le poids des grappes chutent. Ces rangs portent jusqu'à 30 % de récolte en moins que les autres. « En conditions réelles, nous ne recommandons pas une densité de plantation d'arbres aussi élevée, surtout dans un sol superficiel comme celui du domaine de Restinclières. Sur la base de nos essais, nous conseillons une distance minimum de 5 m entre la vigne et les arbres. De plus, nous préconisons de faibles densités de plantations d'arbres (30 à 50 pieds par hectare) », précise William Trambouze.