« Lorsque le vin est déséquilibré, on devrait se poser la question du bien-fondé de l'élevage en barriques. » Cette règle de Claude Gros, oenologue au laboratoire Dejean, à Narbonne (Aude), reflète bien l'état d'esprit des oenologues. Surtout cette année, car « les vins manquent parfois de structure et d'épaisseur », décrit Marie-Noëlle Blay, oenologue au Centre oenologique aquitain, à Cenon (Gironde). Le bois peut les durcir ou accentuer le déséquilibre dont ils souffrent. En revanche, utilisé à bon escient, il peut au contraire les améliorer.
Comment s'y prendre ? Faut-il opter pour les barriques ou les alternatives que sont les copeaux et autres staves ? Pour Sylvain Delabre, oenologue du groupe ICV, à Carcassonne (Aude), l'élevage en fûts des « petits vins » présente deux inconvénients. Tout d'abord, « la barrique implique une micro-oxygénation que ces vins ne supportent pas forcément », indique-t-il. Ils peuvent donc s'oxyder rapidement, malgré l'apport de tanins du bois. « De plus, le boisage avec des barriques à un coût », poursuit-il. Selon cet oenologue, on prend donc un double risque, financier et technique, en optant pour l'élevage traditionnel.
Pour les viticulteurs qui souhaitent quand même travailler en fûts, « les barriques d'un ou deux vins sont une bonne solution. En effet, le boisé apporté par les fûts neufs pourrait prendre le dessus sur le vin lui-même », explique Marie-Noëlle Blay. Pour Sylvain Delabre, ce choix reste risqué car les barriques usagées « micro-oxygènent le vin sans apporter suffisamment de tanins en contrepartie ». Pour pallier ce problème, il est possible d'insérer des kits dans les barriques. Il s'agit de boules ou de bâtonnets de bois neuf reliés entre eux. « Ces kits permettent de structurer et de boiser les vins, affirme Marie-Noëlle Blay, mais de façon moins intense qu'un fût neuf ».
Dans tous les cas, les alternatives à la barrique ne sont pas autorisées partout. « En Bourgogne, l'utilisation de copeaux est interdite sur les AOC », prévient Frédéric Boilevin, oenologue-conseil du laboratoire no-Service, à Leynes (Saône-et-Loire). Les viticulteurs utilisent donc des fûts. « Sur un rouge de structure faible, on ne va pas utiliser des fûts de grains fins de Tronçais avec des chauffes fortes », précise-t-il. Ce type de barrique apporte des tanins qui risquent de durcir les vins. « On s'oriente plutôt vers du chêne américain qui apporte des notes de noix de coco et de vanille, et qui confère moins de dureté au vin », assure-t-il. Pour renforcer la structure, il est également possible d'utiliser des barriques avec des fonds non chauffés. « Elles apportent des ellagitanins et ont un effet structurant sur les vins », observe Claude Gros.
Cette année plus qu'une autre, les oenologues ont préféré s'orienter vers les copeaux, les blocs ou les staves. « Sur les vins qui manquent de structure et qui sont marqués par des tanins verts, il faut limiter le bois peu ou pas chauffé qui peut renforcer ces défauts. Je préconise plutôt des copeaux de chauffe moyenne, voire moyenne plus », dit Sylvain Delabre.
Pour déterminer la dose de copeaux à ajouter à chaque vin, les oenologues réalisent des essais. Avec une règle en tête : « Sur des vins peu structurés, on utilise généralement des doses faibles, car ces vins ne supportent pas un fort boisage », confie Marie-Noëlle Blay. Elle fractionne généralement les apports de copeaux : une partie en fin de FML, une autre quelques mois après. « Ce fractionnement peut être intéressant lorsque l'on veut réajuster en douceur et avec parcimonie l'apport de bois en cours d'élevage » ajoute-t-elle.
Sylvain Delabre recommande également des doses à la baisse : « Certains utilisateurs pensent que plus on apporte de bois, plus on structure les vins. Mais le bois peut prendre le dessus sur les vins déséquilibrés et les assécher. » Quand il conseille des doses entre 1,5 et 4 g/l sur des vins structurés, il préconise 1 à 2 g/l lorsque le vin l'est moins. De la même façon, quand, il immerge habituellement trois douelles par hectolitre sur un vin structuré, il n'en apporte que deux sur des vins qui le sont moins.
« Ce que l'on conseille plutôt, c'est d'utiliser en synergie le bois avec des levures inactivées qui apportent des mannoprotéines », explique-t-il. Cette association structure le vin, augmente sa rondeur et son volume sans trop le boiser. « Si on travaille avec des copeaux, on peut préconiser des doses de 2 g/l plus 30 g/hl de levures inactivées. Sachant que le prix est équivalent à 3 g/l de copeaux », estime-t-il.
Quels que soient le type et la dose de copeaux utilisés, il est difficile de prévoir à l'avance le temps de contact entre un vin de structure faible et le bois. « Il faut au moins deux à trois mois pour les douelles », précise Sylvain Delabre, et « pas moins de quinze jours pour les copeaux », ajoute Frédéric Boilevin. Avant, le vin possède un aspect séveux, un côté plancheux qui s'estompe avec le temps. Un seul moyen pour trouver le moment d'arrêter l'élevage : la dégustation. « On peut commencer à déguster un mois après l'ajout des copeaux et ensuite tous les quinze jours », considère Sylvain Delabre. Il est ensuite conseillé de retirer les copeaux un mois avant la mise en bouteilles pour que le vin ait le temps de se stabiliser. On évite ainsi une modification de son profil au cours de la commercialisation.
Des essais préalables avec les copeaux
Avant de conseiller leurs clients, les oenologues réalisent des essais pour déterminer le type de bois et la bonne dose à ajouter au vin pour obtenir l'effet recherché.
« Par exemple, certains viticulteurs veulent une restructuration soyeuse de leurs vins IGP ou sans IG, avec de la rondeur, mais sans apporter trop de notes boisées », explique Frédéric Boilevin, oenologue-conseil du laboratoire no-Service, à Leynes (Saône-et-Loire).
Parmi une gamme de copeaux qu'il connaît, il en choisit deux ou trois types qui peuvent répondre à ces attentes. Ensuite, « nous les faisons infuser, à des doses de 0,25 à 2 g/l, dans le vin du viticulteur, dans des bouteilles bouchées, conservées à l'abri de l'air, à l'obscurité et à une température de 15 à 16 °C, comme on peut le rencontrer dans les chais ». En général, il déguste les vins une seule fois pour identifier celui qui se rapproche le plus de ce que recherche le viticulteur. « Si le résultat n'est pas là, nous prolongeons l'essai et redégustons le vin. Ces tests peuvent durer jusqu'à un mois », détaille Frédéric Boilevin.
FRÉDÉRIC DUBOIS, RÉGISSEUR DU CHÂTEAU DE BELCIER, 50 HA EN APPELLATION CASTILLON-CÔTES DE BORDEAUX (GIRONDE) « Nous nous sommes orientés vers des chauffes moyennes »
« Les 2013 sont des vins de structure faible. Sur la propriété, même les meilleurs lots sont de qualité moyenne. Nous avons quand même mis une partie de notre production dans des barriques neuves, d'un ou deux vins . L'an dernier, le vin avait une belle structure, du fruité et du caractère, nous avons donc utilisé des barriques avec des chauffes fortes. Ce sont celles qui apportent plus de sucrosité. Mais cette année, nous nous sommes orientés vers des chauffes moyennes, car les chauffes fortes risquaient de trop marquer le vin. J'utilise principalement du bois français. J'ai testé le bois américain et il ne me donne pas satisfaction. Depuis fin décembre, je déguste les vins entonnés toutes les deux semaines. Pour le moment, ils sont marqués par le bois, mais nous avons récupéré de la sucrosité. Nous nous orientons cependant vers des élevages courts, moins de six mois. Généralement, ils peuvent atteindre douze mois mais, cette année, la structure du vin ne va sans doute pas le permettre. Nous avons également gardé une partie de notre meilleur vin en cuves. Nous pourrons l'assembler avec le vin passé en fûts si l'élevage est allé trop loin. »