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Week-end gastronomique en Alsace « Un repas est la plus belle manière de présenter nos vins »

CHRISTOPHE REIBEL - La vigne - n°264 - mai 2014 - page 59

Quatre fois par an, LE DOMAINE JEAN-PAUL SCHMITT est partenaire de l'auberge Ramstein pour l'organisation de week-ends gastronomiques. Ces repas séduisent aussi bien leurs clients étrangers que locaux.
JEAN-PAUL SCHMITT, à droite, vérifie que son vin s'accorde bien avec le plat concocté par le chef Nicolas Ramstein, à gauche. PHOTOS M. FAGGINAO

JEAN-PAUL SCHMITT, à droite, vérifie que son vin s'accorde bien avec le plat concocté par le chef Nicolas Ramstein, à gauche. PHOTOS M. FAGGINAO

SUR LE MENU, plats et vins sont spécifiés en attendant d'être servis par leurs créateurs respectifs.

SUR LE MENU, plats et vins sont spécifiés en attendant d'être servis par leurs créateurs respectifs.

LES HUÎTRES CHAUDES en amuse-bouche sont accompagnées d'un muscat 2011.

LES HUÎTRES CHAUDES en amuse-bouche sont accompagnées d'un muscat 2011.

BERND KOPPENHÖFER (À GAUCHE) ET JEAN-PAUL SCHMITT ne prennent plus leur repas en même temps que les clients. Ils préfèrent servir et présenter leurs vins en circulant de table en table. Ils instaurent ainsi un véritable diaglogue et répondent aux questions parfois pointues des gastronomes. Le tout dans un esprit de convivialité.

BERND KOPPENHÖFER (À GAUCHE) ET JEAN-PAUL SCHMITT ne prennent plus leur repas en même temps que les clients. Ils préfèrent servir et présenter leurs vins en circulant de table en table. Ils instaurent ainsi un véritable diaglogue et répondent aux questions parfois pointues des gastronomes. Le tout dans un esprit de convivialité.

À une demi-heure du rendez-vous, Jean-Paul Schmitt et son associé Bernd Koppenhöfer arrivent en toute décontraction à l'auberge Ramstein, à Scherwiller (Bas-Rhin), le village où se situe leur domaine. Ils s'apprêtent à servir leurs vins aux clients à l'occasion d'un repas gastronomique. Ils sont déjà rodés à l'exercice. La veille au soir, ils ont accueilli trente personnes dans cette même auberge. Ce dimanche 23 mars, les inscrits ne dépassent pas la quinzaine.

Jean-Paul et Bernd se rendent en cuisine pour saluer les deux chefs, Nicolas Ramstein, le père, et Lucas, son fils. Tout le monde est dans les temps. Les viticulteurs n'ont rien à préparer.

Quelques semaines auparavant, ils s'étaient concertés avec Nicolas et son fils pour définir le menu et les vins à assortir lors de ce week-end gastronomique. Les chefs ont proposé leurs idées de plats. Les viticulteurs ont réfléchi aux vins capables de se marier à chacune des créations culinaires.

« Lors d'un précédent week-end, nous avions osé associer une daurade à un gewurztraminer 2010 aux notes poivrées alors qu'habituellement, on cherche un vin plus sec pour accompagner le poisson. C'était fantastique ! », raconte Bernd.

La mise au point d'un menu n'est pas obligatoirement précédée par des essais. « Nous goûtons lors du premier service. Le cas se présente rarement, mais le plat peut-être rectifié, si besoin. Ce n'est souvent qu'une sauce à adapter. L'objectif, dans tous les cas, reste d'obtenir le bon accord mets vin. »

Le menu une fois concocté, l'auberge et le domaine Schmitt se chargent d'en faire la publicité auprès de leur clientèle environ un mois avant l'événement. Nicolas Ramstein laisse des tracts à la réception et envoie un bon millier de courriels. Bernd Koppenhöfer expédie l'invitation à 2 000 adresses mail sélectionnées dans un fichier clients de 6 000 noms. Il annonce la nouvelle sur sa page Facebook et sur Twitter. « C'est une double promotion, privée et publique, mais c'est la seule », dit-il.

Ce 23 mars, il est midi quand Bernd file décanter le pinot noir. Les premiers convives arrivent. Le personnel de salle de l'auberge les installe. Chaque table est servie à son rythme. Cinq plats figurent à ce menu de printemps facturé 68 euros par personne, vins compris. En amuse-bouches, du saumon d'Écosse mariné juste snacké et une huître tiède à l'oseille sont proposés avec un muscat 2011. Le duo de foie gras d'oie et canard est accompagné d'un gewurztraminer 2011. Le pot-au-feu d'escargots est servi avec un pinot blanc 2011. Le filet de canette de Barbarie rôti est arrosé par un pinot noir 2007, également utilisé pour sa sauce. En dessert, un pinot gris vendanges tardives 2007 côtoie le crumble aux cerises noires, et apporte la touche finale.

Jean-Paul a sélectionné des vins nés sur le Rittersberg, le lieu-dit où se trouve la majorité de ses 7,2 ha de vignes en production conduites en bio. Jean-Paul et Bernd les servent eux-mêmes et expliquent leurs choix.

« Pour un foie gras, nous avons retenu un gewurztraminer riche en sucres. C'est presque dommage, car le vin pourrait écraser le foie gras. Mais pour ce plat, il est associé à un chutney au sureau, qui présente une belle pointe d'acidité. »

Ou conseillent : « Ne soyez pas choqué par la première impression que vous laissera ce pinot blanc bu après le gewurztraminer, mais goûtez-le avec l'escargot ! L'harmonie est parfaite. Bonne dégustation ! »

Entre les plats, ils circulent de table en table et s'attardent à celles où aucune conversation n'est en cours. Ils demandent alors leur ressenti aux convives. « L'échange est primordial. Nous adaptons notre discours et développons tel ou tel aspect en fonction des questions. Mais nous ne sommes pas là pour donner des leçons ! » Le public étant plutôt connaisseur, les thèmes abordés sont souvent techniques.

Les gastronomes demandent aux viticulteurs de justifier leur accord mets vin, de leur donner leur sentiment sur la différence de style entre deux millésimes ou encore de leur préciser la durée de fermentation d'un vin précis. Les questions sont parfois très pointues : pourquoi laisser faire les levures indigènes ? Quelle est la marque laissée par le Rittersberg dans un vin ? Est-elle la même quel que soit le cépage ? Le danger est que l'échange s'éternise. La cuisine est parfois obligée de l'interrompre pour continuer le service de plats qui ne peuvent plus attendre.

La formule actuelle est née en 2008 après qu'un client de Nicolas Ramstein lui a demandé quand il comptait « proposer quelque chose à manger avec les vins de Jean-Paul » (sic). Peu de temps après, les deux partenaires se sont entendus pour monter une opération commune : un repas concocté par l'auberge durant lequel les vins du domaine Schmitt seraient servis, ce dernier consentant, pour l'occasion, une « belle remise » au restaurateur.

Depuis, la stratégie des viticulteurs a évolué sur un point. « Nous avons cessé de manger en même temps que les clients à une table séparée et nous ne déléguons plus le service du vin au personnel de salle, précise Jean-Paul. Servir nous-mêmes nos vins crée une relation différente avec les clients. Nous sommes plus concentrés sur les discussions. La fidélisation est meilleure. »

Il estime que ses vins sont davantage mis en valeur dégustés avec des plats que seuls. « Je les vinifie en sec pour en faire des vins de gastronomie, assure-t-il. Un repas est la plus belle manière de les présenter. Ils sont en situation et je peux montrer l'accord qu'ils peuvent avoir avec un mets. Il y a un côté émotionnel qui remplace tous les discours. »

Les premiers convives quittent l'auberge peu après 14 heures. Josée, Irma, Alain et Philippe sont toujours à table, visiblement conquis. « La formule est originale, relèvent-ils. Le repas est digne d'un établissement étoilé et nous n'avons pas eu à réfléchir au vin. C'est sympathique de se laisser guider. Au caveau, après le troisième vin, on est perdu. Ici, c'est concret et instructif. Et le viticulteur a du temps. »

À la table voisine, Gaby, Jeanine, Robert et Jean-Claude sont tout aussi ravis de leur première participation. « Le muscat sec nous a étonnés dans le bon sens. Faire confiance au viticulteur et au restaurateur nous enlève tout souci », apprécient-ils.

Jean-Paul et Bernd ne s'attendent pas à faire des ventes aujourd'hui. « Le dimanche est réservé aux habitants des environs, confie Jean-Paul. Ils sont venus se faire plaisir. Tous nous connaissent et nous visitent régulièrement au caveau. Nous investissons dans notre image. Je compare ce genre d'événement à un petit salon qui entretient le relationnel. »

Le week-end est pourtant loin d'avoir été négatif. Samedi, la soirée a réuni trente habitués belges, allemands et suisses. Après avoir dîné, ils ont passé la nuit sur place, ce qui leur a valu une réduction sur leurs frais de séjour par l'aubergiste. Samedi après-midi et dimanche matin, Jean-Paul et Bernd avaient ouvert leur caveau pour eux. Ils ont vendu quelque 90 bouteilles, dont beaucoup de pinots, de rieslings et de crémants réserve personnelle.

« Nous n'avons jamais l'assurance de vendre, relativisent les viticulteurs. Mais au bout du compte, il y a toujours des retombées commerciales, immédiates ou décalées. En faisant l'effort de renouveler à chaque fois le menu, cela crée la surprise et motive les gens. »

Une chose est sûre, la demande pour de tels repas est bien là. « Pour y répondre, nous organisons quatre week-ends gastronomiques par an, deux au printemps et deux à l'automne. Il est rare qu'une date ne fasse pas le plein : en novembre et en décembre, les places partent en quatre à cinq jours après le lancement des invitations. Nous avons déjà accueilli jusqu'à soixante personnes par repas. Au caveau, les ventes suivent. Au cours des meilleurs week-ends, notre chiffre d'affaires atteint facilement 3 000 euros en deux jours, et sans faire de "forcing" commercial. C'est donc rentable. »

En début d'année, Ursula, l'épouse de Nicolas, a permis à Jean-Paul et à Bernd d'exporter la formule près de Vienne, en Autriche. Par son intermédiaire, les deux viticulteurs ont noué un partenariat identique avec un restaurateur local. Ce denier a su attirer un public doté d'un fort pouvoir d'achat qui a apprécié la formule. Jean-Paul et Bernd ont déjà coché leurs dates pour renouveler l'opération en 2015.

CINQ RÈGLES D'OR POUR RÉUSSIR UN WEEK-END GASTRONOMIQUE

- Accorder la priorité à l'accord mets vin. Ainsi, il est déjà arrivé qu'un vin retenu pour accompagner un plat ne soit plus en stock. Aux yeux de Jean-Paul Schmitt, ce n'est pas gênant.

- Adapter le discours. Les deux associés font attention à ne jamais se poser en donneurs de leçons. Ils développent l'un ou l'autre aspect de leur production seulement si la question est posée. « Les explications techniques ennuient très vite les gens », estime Jean-Paul.

- Établir un message à faire passer. Jean-Paul et Bernd insistent en priorité sur « la qualité des vins d'Alsace qui sont susceptibles de tenir sur tout un repas ».

- Ne pas inciter à boire les participants qui refusent mais leur suggérer de goûter. Une telle démarche peut inciter à balayer des a priori parfois tenaces sur un cépage ou un vin.

- Proscrire le bulletin de commande. Il faut laisser aux clients l'entière liberté d'acheter ou pas.

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