Depuis 2008, le Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine (CNIV) confie à l'institut CHD Expert la réalisation d'une grande étude sur la place du vin dans les cafés, hôtels et restaurants français. Cette étude souligne l'importance du vin pour les restaurateurs français puisqu'il leur permet de réaliser un cinquième de leur chiffre d'affaires. Elle montre également qu'ils sont de plus en plus nombreux à établir des contacts directs avec les producteurs. Voici tout ce qu'il faut en retenir.
Les producteurs, des fournisseurs privilégiés
Les restaurateurs achètent de plus en plus de vins aux domaines viticoles, aux caves coopératives, aux négociants ou auprès d'agents. En 2008, 45 % d'entre eux choisissaient ces fournisseurs directs pour réaliser leurs achats. En 2013, ils étaient 75 % à le faire. Le contact avec les professionnels de la vigne et du vin prend ainsi de plus en plus d'importance. Et une fois qu'ils ont sélectionné ce circuit d'approvisionnement, ils lui sont très fidèles. Parmi les restaurateurs qui fréquentent les domaines viticoles, 19 % déclarent s'approvisionner auprès de plus de dix propriétés différentes.
« C'est un plaisir pour les restaurateurs d'être démarchés par les vignerons, précise Julie Rosticher, chargée d'études chez CHD Expert. Mais ils sont aussi très sollicités. Pour être sûr de les intéresser, il faut absolument leur proposer une dégustation et laisser quelques échantillons gratuits pour qu'ils puissent se faire une idée. »
La moitié des restaurateurs se rend également dans les magasins de Cash & carry (Métro, Promocash...) où ils effectuent en même temps leurs achats alimentaires pour gagner du temps. Ils y trouvent souvent des offres de prix intéressantes. Ils sont presque aussi nombreux (47 %) à se rendre chez des entrepositaires et des grossistes (France boissons...) et 36 % à choisir un caviste détaillant de proximité. Les grandes surfaces classiques servent aux achats de dépannage dans 10 % des cas. Au total, les restaurateurs se cantonnent à deux ou trois de ces grandes catégories de fournisseurs.
Bordeaux et Provence en tête sur les cartes
La majorité des restaurateurs propose une large gamme d'origines de vin à leur carte, soit en moyenne huit vignobles différents. Le nombre moyen de références proposées est de trente-neuf par établissement, stable pour 59 % d'entre eux et en baisse pour 31 %.
Toutes couleurs, tous millésimes et contenants confondus, les bordeaux arrivent en tête avec un taux de présence de 75 %, en légère régression toutefois cette année, pour la première fois depuis 2008. Ils sont suivis de près par les vins de Provence (70 %) et ceux de la vallée du Rhône (69 %).
Les vins rouges sont, depuis toujours, les plus vendus. Ils représentent la moitié des volumes écoulés. Les blancs et les rosés se partagent à parts égales l'autre moitié. La catégorie des rouges est dominée par les vins de Bordeaux, de la vallée du Rhône et de Bourgogne. Les rosés sont portés par la Provence, qui monopolise 71 % des ventes. Les vins de Bourgogne, d'Alsace et de Loire sont en tête parmi les blancs secs. Et les origines Alsace, Bordeaux et Sud-Ouest sont leaders pour les moelleux.
Cépages et bio en forte hausse
En cinq ans, les cartes présentant au moins un vin de pays de cépage a progressé de 26,5 points, passant de 19 à 45,5 % Dans le même temps, les vins de pays sans mention de cépage ne progressent que de huit points. L'accession des vins de pays au statut d'IGP leur a été favorable.
Les vins bios sont un autre segment en forme. En 2013, 48 % des établissements proposaient des vins issus de l'agriculture biologique, contre 37 % en 2011. On les trouve notamment dans les restaurants du Sud-Est et de l'est de la France, et surtout dans les établissements gastronomiques.
Les ventes en bouteilles régressent, celles au verre progressent
Tous les modes de vente ne remportent pas le même succès. Les bouteilles de 75 cl restent en tête des ventes (42 %), mais sont de moins en moins demandées, et le pichet se maintient (26 %). En revanche, la place du vin au verre ne cesse de grandir.
Celui-ci représente aujourd'hui 20 % des ventes. La quasi-totalité des restaurants propose du rouge, du blanc sec et du rosé au verre et la moitié offre aussi du moelleux. « Cette évolution est inévitable, au vu des contrôles d'alcoolémie, estime Hubert Jan. Mais il est aussi impératif de développer la vente au verre pour faire baisser les coûts pour la clientèle. Cela nécessite toutefois d'être équipé d'une armoire à vin, pour ne pas perdre de produit. »
Ce mode de consommation permet également aux clients de découvrir différents vins au cours d'un même repas. Alors que les cartes n'offraient souvent qu'une à trois références en 2010, il est désormais fréquent d'en compter plus de sept ! CHD Expert note que « plus le ticket moyen du repas est élevé, plus l'établissement dispose de références de vins tranquilles au verre ».
En 2013, le prix moyen de la référence de vin au verre la plus vendue était de 3,80 euros pour environ 12 cl, en légère hausse par rapport à l'année précédente.
Incontournable champagne
Le champagne est présent dans 85 % des établissements, soit 20 % de plus qu'en 2008. C'est un produit qui doit figurer sur une carte, quel que soit le type de restaurant. La moitié de ceux qui en proposent vendent les bouteilles entre 35 et 50 euros. Ils disposent presque tous de champagne brut. 39 % servent du rosé et 29 % du millésimé.
En revanche, les autres vins français effervescents (crémant de Bourgogne ou d'Alsace, blanquette de Limoux, clairette de Die...) ne sont disponibles que dans la moitié des établissements, et le plus souvent dans leur région d'origine. Les crémants de Loire et d'Alsace sont le plus fréquemment vendus. « On trouve de plus en plus de pétillants italiens, qui sont sucrés et de qualité. Ils conviennent bien pour l'apéritif ou le dessert et sont moins chers que le champagne, ajoute Julie Rosticher. 12 % des établissements en proposent. »
Globalement, les deux tiers des restaurants considèrent leurs ventes de champagne et de vins effervescents stables.
Par ailleurs, 71 % des établissements vendent du champagne à la coupe, dont le prix atteint en moyenne 8,40 euros en 2013, contre 7,80 euros quatre ans plus tôt. Près de la moitié des restaurants proposent aussi une offre moins coûteuse de vins effervescents français ou étrangers à la coupe, vendus quant à eux un peu plus de 5 euros.
Le « verre de vin gourmand », une nouvelle tendance
Enfin, pour multiplier les occasions de consommer, 47 % des restaurateurs présentent spontanément à leur clientèle du vin en dehors des repas : pour un apéritif, un afterwork ou en soirée, après le repas.
Le concept du « verre de vin gourmand » se développe. « En 2013, nous avons rajouté une question sur l'intérêt de ce nouveau mode de consommation pour les restaurateurs, indique Marie-Henriette Imberti, responsable économique du CNIV. Il s'agit de servir un verre avec des tapas ou des bouchées salées, sur le même principe qu'un café gourmand. 22 % des établissements le proposent déjà à l'apéritif et 52 % trouvent l'idée intéressante. C'est pour nous un axe de travail à suivre. » La plupart des restaurateurs qui servent déjà le verre de vin gourmand le vendent entre 20 et 45 euros.
Le CNIV commence également à étudier les ventes réalisées dans les bars à vins. Première différence avec les restaurants : les crus de la vallée du Rhône et du Languedoc-Roussillon détrônent les bordeaux et les vins de Provence. Ces établissements achètent, en moyenne, 6 355 litres de vin tranquille par an, qu'ils vendent 4,60 euros le verre.
CLAUDE IZARD, RESTAURATEUR À CORDES-SUR-CIEL (TARN), CRÉATEUR ET PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES CUISINERIES GOURMANDES « Les vignerons sont des partenaires »
« Les clients sont moins nombreux à consommer du vin. Mais pour ceux qui continuent d'en boire au restaurant, il s'agit d'un achat plaisir et le ticket moyen est plus élevé qu'avant. La coupe de champagne à l'apéritif, par exemple, est quasiment devenue incontournable. Je propose au moins cinquante références que j'ai la chance de pouvoir stocker dans mon établissement. J'ai deux modes d'approvisionnement. Pour les vins de Gaillac, production locale qui représente le gros de ma carte, je me rends personnellement chez les vignerons avec lesquels j'ai l'habitude de travailler. Dans l'association des Cuisineries gourmandes que je préside, nous organisons régulièrement des manifestations qui mettent en avant les productions agricoles et viticoles régionales. Nous travaillons vraiment comme des partenaires des producteurs. Pour le reste, je passe par un représentant qui me vend des vins de propriétaires, que je choisis pour leur typicité. Je n'ai pas de coefficient multiplicateur fixe pour établir mes prix. Cela peut aller de deux à cinq, selon le prix d'achat du vin. Un gaillac sera proposé entre 18 et 24 euros la bouteille, tandis qu'un bordeaux démarrera à 30 euros. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut pas vendre un vin en dessous de son image. Enfin, le travail du personnel en salle est fondamental. Dans le cadre de ma mission syndicale, j'ai insisté pour qu'on mette l'accent sur la connaissance des vins dans le nouveau référentiel du brevet professionnel de service en restauration, afin que les jeunes sachent le servir. Désormais, c'est chose faite. »
Une source de revenu pour les restaurateurs
Menée dans un contexte économique plutôt morose, l'édition 2013 de l'enquête CHD Expert CNIV, cofinancée par FranceAgriMer, montre que les ventes se maintiennent dans les restaurants. Les deux tiers des restaurateurs ont observé une stabilité de leur chiffre d'affaires en vin et 7 % ont constaté une augmentation de 6 % et plus. Mais 30 % ont estimé que les débits avaient diminué. « Il existe une importante dichotomie entre les restaurants haut de gamme, qui se portent bien, et les restaurants moyenne gamme, qui souffrent de la conjoncture, souligne Marie-Henriette Imberti, responsable économique du CNIV. Il faut l'avoir à l'esprit pour bien comprendre les résultats de l'étude. »
Autre constante : les vins représentent toujours une grosse part de l'activité des restaurants traditionnels, soit 21 % en moyenne de leur chiffre d'affaires total. Cette part grimpe à plus de 27 % dans les restaurants gastronomiques. 84 % des ventes concernent les vins tranquilles, 10 % le champagne et 6 % les autres vins effervescents.
« Les bouteilles sont vendues assez cher, poursuit Julie Rosticher. Il n'est pas rare que les professionnels multiplient par plus de trois le coût auquel ils les ont achetées. » Des coefficients qui leur permettent de réaliser de bonnes marges.
L'année dernière, les restaurateurs ont acheté en moyenne 4 600 litres de vins tranquilles, dont près de 2 000 bouteilles de 75 cl. Ces achats sont stables d'une année sur l'autre et représentent 18 % du budget alimentaire annuel des établissements. Ceux-ci achètent majoritairement les appellations d'origine et les vins étrangers en bouteilles de 75 cl, tandis qu'ils préfèrent les vins de France, vins de cépage et IGP en Bag-in-Box, cubis et bouteilles de 100 cl.
Aurélien Stoop, directeur de la restauration au restaurant La Balette, à Collioure (Pyrénées-Orientales) « Nous achetons chez un grossiste, auprès de propriétés et à un agent »
« Notre restaurant est étoilé (une étoile) au guide Michelin. Nous nous devons de proposer une très belle carte des vins. Nos clients, qui ont traversé les vignes de Collioure et de Banyuls avant d'arriver jusqu'à nous, veulent découvrir les crus locaux, si bien que nous consacrons sept pages sur dix-huit aux vins du Languedoc-Roussillon. Avec les banyuls que nous servons en apéritif, les champagnes et les vins au verre, nous disposons de plus de 500 références. Nous réalisons à peu près 30 % de notre chiffre d'affaires avec nos boissons. Pour nos approvisionnements locaux, nous recevons de temps à autre des vignerons qui nous proposent de déguster leurs produits, mais nous passons généralement par les Caves du Roussillon pour nos achats. Ce grossiste revend la plupart des domaines de la région. Nous pouvons commander en petites quantités, il livre franco de port, reprend les invendus pour lesquels il délivre un avoir et organise des dégustations et des visites de propriétés. Nous achetons à la fois des appellations, des vins de pays de grande qualité et des IGP, en fonction de leur rapport qualité prix. Pour les petites cuvées très demandées, nous réalisons des précommandes. Enfin, pour les vins issus des autres terroirs, nous achetons en direct aux propriétés ou par l'intermédiaire de représentants multicartes. Nous choisissons également les vins en fonction de la cuisine du chef. Cette année, il avait prévu de travailler les anchois. Nous avons alors commandé l'IGP Côte catalane Oxy du domaine Laguerre, à Saint-Martin-de-Fenouillet (Pyrénées-Orientales) pour l'accorder avec ce mets. Nos marges peuvent varier du simple au double, selon le prix d'achat des bouteilles. Au verre, elles sont un peu plus élevées, car nous prenons le risque de perdre la bouteille, malgré les bouchons à vide d'air, si elle n'est pas terminée au bout de trois services. »
Six années de recul
Chaque année, depuis 2008, CHD Expert réalise une grande étude nationale dans les cafés, hôtels et restaurants à la demande du CNIV, cofinancée par FranceAgriMer, afin de savoir comment la place du vin en restauration évolue. En 2013, 3 719 restaurateurs proposant de la restauration à table ont répondu à l'enquête, majoritairement des indépendants (92 %) qui ne font pas partie de chaînes de restaurants. Plus de la moitié (56 %) propose une cuisine traditionnelle, 16 % une cuisine à thème, 12 % sont des brasseries et 11 % des restaurants gastronomiques. La restauration rapide, les bars à vin, les cafés servant au comptoir et la restauration collective ne sont pas pris en compte. Les questions posées sont majoritairement les mêmes d'une année sur l'autre afin de pouvoir établir des comparatifs, mais de nouvelles rubriques apparaissent aussi en fonction de l'actualité et des préoccupations des interprofessions.