C'est une nouvelle orientation à l'IFV depuis 2008 : intégrer les coûts et l'impact environnemental des techniques expérimentées. Dans le contexte de concurrence mondiale accrue, produire des vins adaptés aux marchés à des coûts maîtrisés est une équation que bon nombre de vignerons français doivent résoudre.
L'IFV a constitué un groupe de travail, coordonné par Emmanuel Vinsonneau, de l'IFV pôle Bordeaux-Aquitaine. Vingt-cinq essais ont été conduits au niveau national jusqu'en 2013, plus particulièrement en Aquitaine et dans le Val de Loire. « Notre premier objectif a été de développer une méthode d'évaluation des itinéraires techniques intégrant des critères économiques et environnementaux, décrit l'ingénieur oenologue de l'IFV. Nous avons travaillé en ce sens avec Bordeaux Sciences Agro. Dans un deuxième temps, nous avons mené des essais grandeur nature dans des exploitations représentatives de leur appellation. Le but était de comparer deux itinéraires de vinification susceptibles de conduire au même profil de vin : l'itinéraire habituellement réalisé sur l'exploitation et celui optimisé d'un point de vue technique ou économique. »
En Aquitaine, les essais ont été menés par Charlotte Anneraud, de l'IFV pôle Bordeaux-Aquitaine, en partenariat avec les chambres d'agriculture. Elle a travaillé sur un domaine de 100 ha en appellation Bordeaux et Bordeaux supérieur pour élaborer à moindre coût un vin rouge fruité avec des tannins souples. L'itinéraire classique de ce château incluait une macération préfermentaire à froid (MPF), un enzymage (Lafase grand cru à 4 g/hl), un levurage (Actiflore F33 à 20 g/hl) et des remontages à l'aide d'une canne d'injection de gaz répartis pendant toute la fermentation alcoolique.
L'itinéraire optimisé faisait l'impasse sur la macération préfermentaire à froid et recourait à des intrants moins coûteux et parfois à plus faible dose : Rapidase Ex Color à 4 g/hl pour l'enzymage et 522 Davis à 10 g/hl pour le levurage. Les remontages ont été fractionnés et adaptés à la qualité de la vendange.
Un essai concluant. Les vins ont été dégustés après élevage en barriques. Ceux issus de l'itinéraire optimisé ont été mieux notés que les vins classiques de l'exploitation sur de nombreux critères, démontrant ainsi le faible impact de la macération préfermentaire à froid. L'itinéraire optimisé conduit aussi à une légère diminution des coûts (4 €/hl). Pour l'essentiel, les économies sont réalisées sur les intrants.
Un autre essai a été pratiqué sur une deuxième exploitation, également en AOC Bordeaux dans le but d'évaluer les possibilités de réduction des coûts en préservant le fruité et la souplesse des vins. L'itinéraire usuel du château démarrait par une macération préfermentaire à chaud (75°C), suivie d'un enzymage (Trenolin à 4 g/hl) et d'un tanisage (Protanin R à 10 g/hl avant levurage). Ce château réalisait quatre remontages à l'abri de l'air et cinq remontages à l'air en cours de fermentation.
Pour réaliser des économies, l'IFV a supprimé la macération préfermentaire à chaud dans l'itinéraire optimisé. Pour compenser la moindre extraction, il a employé des intrants : Endozymruby à 3 g/hl, tanisage Vitanil VR à 20 g/hl en préfermentaire et tanisage Tanéthyl Effe à 20 g/hl en phase fermentaire. Les remontages ont également été intensifiés : seize remontages non aérés et cinq remontages aérés.
Cette fois, l'itinéraire optimisé n'a pas permis d'atteindre le même niveau qualitatif que le schéma habituel. À la dégustation, les vins sont moins gras et plus astringents. En revanche, l'objectif économqiue est atteint avec une baisse de 13 €/hl du coût de vinification. L'impact environnemental est également diminué grâce à une consommation réduite de fuel et d'électricité.
« Ces essais ne sont que des exemples, ils ne sont pas généralisables à l'ensemble des situations, les coûts que nous avons chiffrés sont propres à chaque exploitation, nuance Charlotte Anneraud, de l'IFV. Le dessein est d'évaluer la différence de coût engendrée par la modification des itinéraires de vinification. »
Jean-Christophe Crachereau, de la chambre d'agriculture, qui a également mené des essais sur la thermovinification, précise : « Sur le très beau millésime 2009, les vins issus d'un itinéraire sans chauffage de la vendange, mais pour lesquels nous avions travaillé sur l'extraction avec des intrants et des remontages, étaient légèrement en retrait. Mais l'écart était mince par rapport aux vins de thermovinification. Les belles années, le surcoût de la thermo mérite réflexion. »
À l'IFV Val de Loire, Philippe Chrétien a comparé la thermovinification sur cabernet franc à un itinéraire classique sans chauffage de la vendange. Le but était d'élaborer un anjou rouge fruité de petite garde.
La thermovinification a eu un impact très positif, gommant les notes herbacées et végétales dues aux pyrazines. « Nous avons évalué le surcoût à 7,50 €/hl, soit 0,056 euros par col, analyse-t-il. La thermo représente une hausse de 1,5 % des coûts sur des vins commercialisés en bouteille, 3,2 % pour des vins en vrac, sachant que ce pourcentage peut être réduit si on ne chauffe qu'une partie des volumes. C'est au vigneron de s'assurer qu'il peut ou non répercuter cette hausse sur son prix de vente. »
Un autre essai, plus récent, a été encore plus concluant sur des anjous blancs de garde issus de chenin. L'itinéraire optimisé a conduit à une amélioration qualitative et une réduction des coûts. Ces résultats ont été obtenus en remplaçant le traditionnel élevage en barrique par un élevage en cuve inox avec ajout de copeaux (4 g/hl) et micro-oxygénation.
À la dégustation, les vins de l'itinéraire optimisé ont été nettement mieux jugés : plus de fruit et de sucrosité, moins d'amertume et de notes végétales ainsi qu'un boisé plus discret. Et les coûts sont nettement en baisse : l'élevage en barrique revient à 0,75 €/col alors que les copeaux ne coûtent que 0,031 €/col. Une réflexion est en cours au sein de l'ODG Anjou pour faire évoluer le cahier des charges car, à ce jour, les copeaux ne sont pas autorisés.
En Touraine, l'IFV a mené durant trois ans, de 2009 à 2011, des expériences similaires sur sauvignon blanc au lycée viticole d'Amboise, à Chambray-lès-Tours (Indre-et-Loire). Le but recherché était d'obtenir une meilleure expression aromatique et de savoir quel serait le coût de cette amélioration.
Dans l'itinéraire classique, après pressurage, les moûts sont enzymés (Enzym'Amplitud à 2 g/hl), débourbés puis levurés (Levuline ALS à 20 g/hl). L'itinéraire optimisé intégrait une stabulation des moûts à froid (six jours à 8,5°C) et un recours accru aux intrants : levure révélant les thiols (Excellence FTH), ajout de protecteurs de levures (Génésis Native), de dérivés de levure dotés d'un pouvoir anti-oxydant (OptiWhite, Bioarom), d'enzymes « révélatrices d'arômes » (AR 2000). Le tout s'achevant par un élevage sur lies.
Les résultats n'ont pas été concluants : malgré tous ces moyens supplémentaires, l'amélioration qualitative n'a pu être constatée que sur le seul millésime 2009, alors que les coûts de production sont toujours plus élevés, de 1,75 et 3,22 €/hl selon les millésimes, du fait des intrants et de la stabulation à froid.
Ces premiers essais démontrent qu'il n'est pas facile de réaliser des économies au chai. Ils constituent des références qui vont s'enrichir au fil des prochains millésimes par de nouvelles expérimentations. L'IFV souhaite, à terme, s'en servir pour réaliser un outil informatique d'aide à la décision destiné aux viticulteurs.
L'institut envisage de poursuivre ces travaux sur les années 2014 à 2020 en intégrant les coûts de production et des itinéraires techniques incluant tous les frais, du raisin jusqu'au vin en bouteille, par profil de vin.
Deux méthodes d'évaluation des coûts
À Bordeaux Sciences Agro (Gironde), Adeline Ugaglia (en photo) est une des spécialistes des coûts de production en viticulture. En 2010, à la demande de l'IFV, elle a proposé une méthode pour comparer les frais de différents itinéraires de vinification. Il s'agit de la méthode OBC (Operation Based Costing), qui évalue opération par opération. Seules les charges directement afférentes au coût des opérations sont retenues. Les charges financières et administratives sont exclues. « Cette méthode s'appuie sur des données comptables mais également sur des informations extra-comptables, comme la consommation d'intrants ou les heures de travail, qui ne sont pas toujours faciles à apprécier, détaille-t-elle. Nous décomposons le travail au chai en plusieurs opérations. Pour chaque étape de la vinification (réception de vendange, pressurage...), il faut chiffrer le temps de travail, la quantité d'intrants, la consommation en eau et en énergie, le prix du matériel (amortissement, assurances...), les prestations de services (conseil et laboratoire oenologique, entre autres)... Il faut tracer toutes les opérations par lesquelles est passé le produit pour obtenir une estimation de l'itinéraire, ce qui est plus compliqué au chai qu'à la vigne. » Cette méthode permet de comparer différents itinéraires économiquement. En revanche, si on veut calculer un coût de revient, définir ses prix de vente ou travailler sur la maîtrise de ses charges, ce n'est pas la méthode OBC qu'il faut appliquer mais la méthode ABC (Activity Based Costing), qui, elle, prend en compte toutes les charges de l'exploitation, y compris les charges administratives et financières. L'ensemble des charges figurant dans la comptabilité analytique doit être pris en compte. C'est cette méthode qui est le plus souvent utilisée pour les référentiels de coûts édités par les chambres d'agriculture.