SCAPHOIDEUS TITANUS a été introduit en Europe avec les porte-greffes américains. © BIOSPHOTO / J.-C. MALAUSA
Ce lundi 26 mai, une bonne centaine de personnes se presse vers l'amphithéâtre de l'Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV) à Villenave-d'Ornon (Gironde), à quelques kilomètres de Bordeaux. Il faut dire que la conférence aborde un sujet sensible qui concerne autant les chercheurs que les viticulteurs : la flavescence dorée et son vecteur, la cicadelle Scaphoideus titanus.
L'objectif de la journée est de faire le point sur les connaissances actuelles et l'avancement des recherches en cours. Pour cela, l'Inra et l'ISVV ont invité certains des meilleurs spécialistes de ces sujets. Comme le souligne Julien Chuche, auteur d'une thèse sur le comportement de la cicadelle et post-doctorant de Bordeaux Sciences Agro, « améliorer nos connaissances sur le comportement de l'insecte vecteur est essentiel à la compréhension de l'épidémiologie de la flavescence dorée. Modifier ce comportement constitue aujourd'hui la voie de recherche la plus innovante et la plus prometteuse ».
Des Italiens testent ainsi la confusion acoustique. Des Israéliens attirent les cicadelles dans des pièges par la stratégie du « push-pull ». En France, l'Inra veut faire de même. Voici les principaux résultats exposés lors de cette journée.
L'origine du mal
Un vecteur américain, des germes européens. Le vecteur du phytoplasme de la flavescence dorée, Scaphoideus titanus, a été introduit en Europe avec les porte-greffes américains au début du XXe siècle. C'est un fait acquis. En revanche, il n'est pas arrivé porteur de la maladie. Celle-ci se trouvait en réalité dans l'aulne européen et la clématite blanche d'Italie et de Serbie. Le séquençage du génome du phytoplasme de la flavescence dorée en apporte la preuve.
Il a permis de mettre en évidence trois groupes génétiques de ce parasite : FD1, FD2 et FD3. Tous trois sont identiques ou proches des phytoplasmes présents dans l'aulne et la clématite blanche, provoquant des jaunisses chez ces plantes. Cette découverte permet de conclure qu'elles constituent les hôtes originels de la flavescence dorée et que l'introduction du vecteur est la cause des premières épidémies sur la vigne.
Plusieurs hypothèses tentent d'expliquer la contamination de la vigne. Des travaux allemands suggèrent qu'Oncopsis alni, la cicadelle qui transmet la jaunisse de l'aulne, l'aurait également transmise de manière accidentelle à la vigne.
Par ailleurs, des équipes italiennes ont noté la présence sporadique de S. titanus sur des clématites blanches. L'insecte aurait fort bien pu se contaminer à l'occasion d'une visite sur cette plante, puis infecter une vigne. Et un autre insecte fréquentant la clématite, Dictyophara europaea, porte un phytoplasme identique à la souche FD3 qu'il est capable d'inoculer à la vigne. Enfin, des cicadelles de la même famille que S. titanus, infectées par les trois souches du phytoplasme de la flavescence dorée, ont été capturées sur des vignes et sur des aulnes.
Toutes ces nouvelles découvertes expliquent l'origine de la flavescence dorée et l'existence de cas isolés comme ceux détectés en Alsace sur les communes de Hattstat (Haut-Rhin) et de Rosenwiller (Bas-Rhin).
Lutte contre le fléau
En bio, seul le pyrèthre est efficace. Nicolas Constant, ingénieur et conseiller viticole de l'association SudVinBio, rappelle que « malgré la prise de position personnelle de certains vignerons bios, les représentants professionnels de la filière biologique s'inscrivent pleinement dans les démarches de lutte collective ».
SudVinBio et la chambre d'agriculture de l'Hérault ont rédigé et publié un document qui fait le point sur la lutte contre la flavescence dorée en viticulture biologique. Ce document rappelle que la maîtrise de la maladie repose sur la plantation de matériel végétal sain, la prospection et l'arrachage systématique des souches contaminées, ainsi que la maîtrise des populations de l'insecte vecteur.
Le document indique qu'« aucun produit naturel autre que le pyrèthre ne présente d'efficacité significative lorsqu'il est utilisé dans des conditions économiquement acceptables ». Il rappelle également qu'une seule spécialité commerciale est disponible en France, le Pyrévert. Il apporte des préconisations afin d'assurer une efficacité optimale du produit.
Des essais montrent que l'heure de traitement n'influence pas l'efficacité du produit mais qu'il est important d'éviter les heures les plus chaudes de la journée. Il faut aussi éviter de traiter en période de vol des abeilles.
Concernant la faune auxiliaire, des travaux menés en Saône-et-Loire par le Vinipole attestent que trois applications successives de pyrèthre n'ont que peu d'impact sur le niveau de typhlodromes. Cet essai manque toutefois de répétition dans le temps. Et des travaux suisses le contredisent. Selon ces derniers, après trois années d'application d'un mélange composé d'huile de sésame et de pyrèthre, les populations de typhlodromes ont diminué de moitié.
SudVinBio et la chambre d'agriculture de l'Hérault préconisent d'utiliser le produit seul, car son association avec du soufre ou du cuivre entraîne une légère perte d'efficacité. Le volume de bouillie doit correspondre au volume de fonctionnement optimal du matériel.
Les deux organismes soulignent également que, contrairement à certaines présomptions, le fait d'avancer les traitements est sans intérêt. Avec cette stratégie, on risque fort de ne pas couvrir l'ensemble des éclosions. Il est donc important de respecter les dates fixées par les arrêtés préfectoraux.
Enfin, les mesures prophylactiques, bien qu'insuffisantes pour maîtriser les populations de cicadelles, contribuent à en réduire le niveau. Le retrait des bois de taille de la parcelle, par exemple, entraîne une réduction des populations de l'ordre de 25 % l'année suivante. L'épamprage, dont les effets restent variables, peut occasionner une baisse de 20 à 50 % des populations. Enfin, il peut être utile de proscrire les piquets de palissage en bois non écorcé, qui peuvent être porteurs de cicadelles.
La confusion acoustique testée en Italie. Des chercheurs italiens ont remarqué que mâles et femelles S. titanus communiquent entre eux avant l'accouplement. Le mâle émet des vibrations sonores auxquelles la femelle répond par d'autres vibrations qui le renseignent sur sa disponibilité et sa localisation. Dans ce concert, les mâles, qui s'accouplent plusieurs fois, contrairement à la femelle, sont capables d'émettre des vibrations particulières pour brouiller les signaux de leurs rivaux.
Cette découverte est à l'origine d'une piste sérieuse de lutte par confusion acoustique. Les chercheurs ont imaginé un dispositif électrique créant artificiellement les mêmes vibrations que les insectes afin de perturber leur communication. Les mâles ne peuvent plus localiser les femelles. L'accouplement devient alors impossible.
Les chercheurs ont placé des émetteurs sonores tous les dix mètres. Leurs premiers essais ont été concluants, autant au laboratoire qu'au vignoble, mais leur système soulève encore beaucoup d'interrogations. Comment alimenter les émetteurs à l'échelle du vignoble ? Combien coûterait l'installation d'un dispositif complet de protection ? Les Italiens ont fait appel à un industriel afin de trouver une version économiquement acceptable de leur procédé.
Attirer les insectes dans un piège. Julien Chuche imagine attirer les cicadelles dans une zone où elles seraient détruites. On utiliserait ainsi moins d'insecticides pour les combattre. Il propose d'appliquer du kaolin sur une parcelle plantée à proximité de vitis américaines. Le traitement réduirait l'appétence de S. titanus pour les vignes. Les cicadelles se dirigeraient alors vers les vitis américaines, où elles seraient traitées.
Cette technique de « push-pull » a déjà donné des résultats prometteurs en Israël contre Hyalesthes obsoletus, un autre insecte vecteur de phytoplasmes de la vigne.
Le parasitisme naturel, une piste à rouvrir. En France, le parasitisme naturel de Scaphoideus titanus est quasiment inexistant. Cependant, à la suite d'un inventaire réalisé de 2004 à 2007 en Bourgogne, Languedoc-Roussillon et Paca, Gonatopus clavipes, une minuscule guêpe, a été identifiée et élevée. Il s'agit d'un auxiliaire occasionnel et indigène. Entre 2005 et 2007, des chercheurs ont tenté de l'utiliser contre S. titanus. Mais il n'a parasité que 1 à 4 % des adultes.
Cependant, après dissection des larves, ils ont observé la présence de corps étrangers non identifiés les empêchant de muer et provoquant ainsi leur mort. Est-ce une réponse de l'insecte contre l'attaque parasitaire ? Est-ce viral ? Lors du colloque, Gilles Sentenac, de l'IFV de Beaune (Côte-d'Or), a rappelé tous ces faits pour souligner qu'il y avait là une piste de recherche oubliée qu'il conviendrait de reprendre.
Réaction des vignes
Les différences de sensibilité entre les cépages expliquées. L'observation au vignoble ne laisse aucun doute sur le fait que le cabernet sauvignon est bien plus sensible que le merlot à la flavescence dorée. Les scientifiques de l'Inra de Bordeaux ont étudié les causes d'une telle différence. Dans un premier temps, ils ont démontré que la multiplication du phytoplasme est en moyenne cent fois moins élevée dans le merlot que dans le cabernet sauvignon. En fin de saison, la quantité de phytoplasme dans les rameaux malades de merlot peut être jusqu'à trente fois inférieure à celle trouvée dans le cabernet sauvignon. Cela démontre une corrélation positive entre la multiplication du phytoplasme dans la plante et l'expression des symptômes.
En parallèle, les chercheurs ont remarqué que S. titanus se rend sur le cabernet sauvignon plutôt que sur le merlot lorsqu'il a le choix entre les deux cépages. Et sur merlot, la cicadelle a tendance à s'alimenter plus régulièrement dans les vaisseaux transportant la sève brute (xylème). Or, ceux-ci ne sont pas porteurs du phytoplasme de la flavescence dorée, contrairement aux vaisseaux transportant la sève élaborée (phloème).
Ces connaissances pourraient déboucher sur la sélection de cépages et de porte-greffes peu sensibles et moins appétents pour l'insecte vecteur. Elles seront également à la base d'une étude des causes génétiques de la résistance.
Des cas de rémission observés. La flavescence dorée est rarement mortelle pour les vignes. De plus, il arrive que des souches se rétablissent naturellement de cette jaunisse. Dans certaines d'entre elles, le phytoplasme disparaît totalement. Malheureusement, d'autres restent porteuses asymptomatiques de la maladie. Elles continuent donc à participer à son extension. C'est pourquoi le monde scientifique insiste sur la nécessité d'arracher systématiquement les souches flavescentes.
Bien que le rétablissement soit encore peu connu, il semble être lié à des mécanismes biochimiques mis en place par la plante pour éliminer le phytoplasme. Des travaux menés en Italie ont montré que les plants rétablis produisent plus de peroxyde d'hydrogène - de l'eau oxygénée - que les souches saines ou infectées. Il apparaît donc que ce composé chimique joue un rôle prépondérant dans le rétablissement des souches.
Comportement de la cicadelle
Les hivers froids favorisent les éclosions groupées. Les femelles sont à l'origine de dix à quinze oeufs qu'elles déposent sous l'écorce des bois de vigne de plus d'un an. Julien Chuche a montré que l'intensité de froid subie par ces oeufs durant l'hiver joue un rôle sur la dynamique des éclosions.
« Lorsque l'hiver est froid, les éclosions débutent plus tardivement mais sont plus regroupées. À l'inverse, plus les hivers sont doux et plus les éclosions s'étalent dans le temps », explique-t-il.
Les observations au vignoble corroborent ces résultats. Ces nouvelles connaissances permettent d'ajuster au mieux le positionnement des traitements larvicides. Ces travaux ont également montré que les oeufs mâles éclosent toujours avant les femelles.
Les mâles plus gourmands que les femelles. Une méthode basée sur l'enregistrement des variations de résistance électrique générées lors de l'alimentation, l'électropénétrographie, a permis d'observer que les mâles piquent beaucoup plus souvent et plus longtemps dans la sève élaborée que les femelles. Ils sont donc beaucoup plus porteurs du phytoplasme et le transmettent avec plus efficacité.
Toujours d'un point de vue alimentaire, S. titanus développe une nette préférence pour les vitis américaines et montre une forte attraction pour la couleur jaune. De ce fait, les cépages blancs atteints de flavescence attirent davantage larves et adultes. Cette attractivité pourrait expliquer en partie la propagation rapide de la maladie.
Un insecte grégaire et mobile. Des travaux ont également révélé que les larves ont tendance à se regrouper sur une souche plutôt qu'une autre, notamment au niveau des repousses du tronc, d'où l'intérêt de l'épamprage. Une vigueur faible ainsi qu'une bonne exposition semblent limiter les niveaux de population. Cette découverte renforce l'incertitude concernant les méthodes d'échantillonnage permettant d'évaluer les niveaux de populations.
Enfin, cela est incontestable, S. titanus a une puissance de colonisation redoutable. À ce jour, nous disposons de peu de données précises concernant sa capacité de vol, mais il est établi que la cicadelle peut se déplacer sur de grandes surfaces. Les vols ont plus souvent lieu en début et en fin de journée et des adultes peuvent être observés jusqu'à la fin octobre.
Un test pour détecter le phytoplasme à la parcelle
La jeune société Anova-Plus basée à Evry, dans l'Essonne, développe un test rapide que les viticulteurs pourront pratiquer eux-mêmes, sur le terrain, pour repérer très tôt les ceps atteints de flavescence dorée. Le procédé se fonde sur l'amplification de l'ADN du pathogène, puis sur la révélation de cet ADN à l'aide d'une bandelette. D'utilisation simple, l'outil est pensé pour un utilisateur non formé aux techniques de laboratoire. Cette année, Anova-Plus doit valider son idée sur le terrain. Si tout se passe comme prévu, les professionnels devraient pouvoir l'utiliser dès 2015.