Petit clin d'oeil. Antoine Cristal, l'une des figures du vignoble saumurois au début du XXe siècle, avait créé une école de regreffage pour repeupler le vignoble après le phylloxéra. Une centaine de millésimes plus tard, le syndicat de Saumur-Champigny vient de lancer une école de la biodiversité. « C'est une école buissonnière, dans la nature », sourit l'animatrice du syndicat, Marie-Anne Simonneau.
Deux fois par mois, elle propose gratuitement des rendez-vous sur le terrain à une dizaine de viticulteurs. D'une durée d'une heure trente environ, ils portent sur des thématiques différentes tout au long de la saison. Ce mercredi 23 avril, elle accueille un groupe de sept vignerons et ouvriers viticoles, à Souzay-Champigny (Maine-et-Loire).
Cela fait maintenant dix ans que la centaine de producteurs de saumur-champigny (1 500 ha) s'est lancée dans un vaste programme collectif de reconquête de la biodiversité. « Dix ans qu'on le pratique et qu'on en discute entre nous, mais tous les vignerons n'ont pas encore les connaissances pour en parler facilement, à des clients par exemple, explique Marie-Anne aux participants. On va essayer d'apporter des éléments de vulgarisation. La plupart d'entre vous ont des savoirs sur les ravageurs, sur certains auxiliaires, mais la biodiversité, c'est plus large. »
Au programme de ce mercredi matin, les orchidées. L'animatrice en a repéré quelques-unes à la lisière d'un bois, à quelques mètres des parcelles de vignes. « Les orchidées sont des plantes pionnières. C'est-à-dire qu'elles sont capables de s'adapter dans des milieux pauvres et chauds. C'est déjà intéressant du simple point de vue du terroir viticole. »
Face à un talus, les vignerons scrutent le tapis de plantes à leurs pieds. « C'est cette fleur mauve ? », demande l'un d'eux. « Non, ça, c'est du muscari toupet », répond Marie-Anne.
Elle identifie ensuite des variétés d'orchidées sauvages : l'orchidée bouc et l'orchidée abeille. Rien à voir avec les orchidées des fleuristes ! L'animatrice a apporté son guide et vérifie le descriptif et les photos avec les vignerons. « La première doit son nom à son odeur et la seconde au fait qu'elle a une forme d'abeille. Elle attire les abeilles pour la pollinisation. »
À quelques centaines de mètres, les botanistes d'un jour vont découvrir d'autres d'orchidées. Devant l'une d'entre elles, Marie-Anne est perplexe. Malgré le guide, elle ne parvient pas savoir s'il s'agit d'une orchidée brûlée ou d'une orchidée pourpre. La différence est subtile. « En plus, il faut tenir compte du fait qu'elles s'hybrident entre elles. »
Mais l'important n'est pas là. D'ailleurs, un vigneron interroge, un brin provocateur : « À quoi sert de savoir qu'il y a des orchidées à proximité de mes vignes ? Qu'est-ce que ça m'apporte ? » Réponse de l'animatrice : « C'est une plante qui a besoin des insectes pollinisateurs pour se développer. C'est un compteur intéressant de présence d'abeilles ou de bourdons. On n'a pas fait de comptage précis des orchidées, mais on en croise de plus en plus. Y compris dans les vignes. » Dans l'aire de l'appellation, tous les interrangs sont enherbés ou travaillés. Le désherbage chimique total est interdit. C'est une des obligations du cahier des charges qu'ont votée les vignerons, en lien avec le travail sur la préservation du milieu. De même - comme c'est le cas pour l'ensemble des appellations d'Anjou-Saumur - un couvert végétal est obligatoire sur les tournières.
Une chaîne complète. « Pour permettre aux orchidées de se développer, il faut tondre tôt - jusqu'à mi-avril - ou tard, en juin. Je sais bien qu'il y a forcément des réticences à laisser l'herbe pousser, à cause des gelées, mais on peut le faire simplement dans les tournières », argumente l'animatrice.
Marie-Anne en profite pour reposer les bases du travail sur la biodiversité mené par le syndicat. « La biodiversité, c'est une chaîne complète. On doit raisonner globalement, pas uniquement du simple point de vue des vignes. On ne va pas introduire des prédateurs en milieu ouvert, ça n'aurait pas de sens. En revanche, il faut tout faire pour que les auxiliaires se développent naturellement. L'objectif est de parvenir à l'équilibre de l'ensemble. Il faut que la chaîne soit complète. »
La sortie se poursuit. Dans une parcelle proche des orchidées, Marie-Anne Simonneau montre aux viticulteurs des nichoirs à insectes pollinisateurs qu'elle a récemment installés.
« Dans la nature, 90 % des espèces d'abeilles sauvages sont des individus solitaires, explique-t-elle. Elles utilisent les anfractuosités dans le bois ou la roche, dans des branches creuses d'arbres ou d'arbustes, pour y pondre leurs oeufs, y stocker du pollen ou des proies qui nourriront les larves. Quand les tubes des nichoirs sont bouchés par de la terre, de la résine, des feuilles découpées ou mâchées, c'est le signe qu'ils sont occupés. Tous ces matériaux sont trouvés dans l'environnement proche. »
Ces dispositifs sont mis en place dans le cadre de l'Observatoire agricole de la biodiversité, qui permet de suivre les espaces agricoles. « On continue ainsi de mesurer l'impact de dix ans de travail sur la faune et la flore », conclut Marie-Anne Simonneau.
JEAN-ALBERT MARY, ASSOCIÉ À SON FRÈRE JEAN-LUC SUR 17 HECTARES, À DAMPIERRE-SUR-LOIRE (MAINE-ET-LOIRE) « Pas simple de changer nos pratiques »
« Nous nous sommes intéressés au programme de biodiversité dès son lancement. Premier effet, sans doute : des orchidées sont apparues dans nos parcelles l'an passé. Je ne les avais pas vues. C'est l'animatrice du syndicat, Marie-Anne, qui me les a montrées. Désormais, je vais gérer la tonte différemment pour les préserver en intervenant avant leur sortie ou après leur floraison. Mais les pratiques culturales ne sont pas simples à changer. Il a fallu quelques années pour parvenir à ne plus utiliser d'insecticide. C'est fait depuis deux saisons. Avec le programme de biodiversité, on travaille pour avoir une faune auxiliaire plus développée. C'est logique de ne plus traiter contre les insectes, mais je n'arrivais pas à me décider. J'ai sauté le pas et je n'ai pas eu de dégâts de tordeuses jusqu'ici. Même chose pour les antibotrytis. Je me suis engagé dans la démarche Écophyto 2018. Je fais partie du réseau Déphy, en Maine-et-Loire. J'ai supprimé les antibotrytis l'an passé. Maintenant, on effeuille des deux côtés et on prépare la vigne dès la taille pour que la vendange soit bien étalée. Nous avons diminué les doses d'antimildiou et d'antioïdium de 30 à 40 %, depuis trois ans, avec Optidose. Au final, en 2013, nos coûts de traitement à l'hectare sont tombés à 200 euros, contre 380 si nous avions poursuivi les insecticides et les antibotrytis. Le programme de biodiversité et Écophyto correspondent à la même démarche. C'est un travail à long terme. »
Dix ans, c'est long, c'est court
En 2004, une poignée de vignerons a lancé le chantier de la reconquête de la biodiversité à Saumur-Champigny. Ils étaient persuadés que la plantation de haies à proximité de leurs parcelles contribuerait à réintroduire naturellement des auxiliaires. La force du syndicat a été d'impliquer l'ensemble des vignerons dans ce projet. Il s'est ensuite construit sur des bases scientifiques avec l'appui de l'École supérieure d'agriculture d'Angers et Bordeaux Sciences Agro. Au final, une vingtaine de kilomètres de haies ont été plantés. En 2009-2010, quelque 700 espèces d'arthropodes en tout genre (insectes, araignées...) ont été identifiées sur l'aire d'appellation. Un comptage de ces bestioles est en cours sur 2014 pour mesurer les évolutions. Mais les conclusions les plus attendues sont liées aux pratiques viticoles. Les vignerons ont-ils moins traité ? Pour l'heure, le syndicat n'a pas encore de réponse. Les analyses sur dix ans restent à réaliser. Une décennie c'est à la fois long, à l'échelle d'une exploitation, mais finalement très court pour influer sur l'environnement.