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VIGNE

Produire autrement Des lycées déjà engagés

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°265 - juin 2014 - page 38

Le ministre de l'Agriculture demande aux lycées viticoles d'enseigner des procédés de productions moins conventionnels. Certains ont pris les devants en réduisant l'emploi des produits phytos sur leur exploitation ou en se convertissant au bio.
NICOLAS ROBERT, chef d'exploitation du lycée viticole d'Avize, dans la Marne, en AOC Champagne. L'enjambeur du lycée est équipé de panneaux récupérateurs de bouillie phytosanitaire de fabrication maison. © J.-C. GUTNER

NICOLAS ROBERT, chef d'exploitation du lycée viticole d'Avize, dans la Marne, en AOC Champagne. L'enjambeur du lycée est équipé de panneaux récupérateurs de bouillie phytosanitaire de fabrication maison. © J.-C. GUTNER

Début avril, à Paris, lors d'une importante réunion des représentants de la formation agricole, Stéphane Le Foll a lancé le projet « Enseigner à produire autrement ». Les lycées agricoles sont invités, pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, à réduire l'usage des produits phytosanitaires ou à se convertir au bio. Mais beaucoup n'ont pas attendu ses instructions pour expérimenter de nouvelles façons de conduire les vignes, en partenariat avec les professionnels de leur région. Voilà trois exemples.

Avize Viti Campus : Un mode de conduite innovant

Sur l'exploitation du lycée d'Avize, dans la Marne, qui regroupe 10 ha de vignes, les premiers essais d'enherbement datent de 1988. Puis, en 2002, cette exploitation a signé un CTE viticulture durable et s'est engagée dans Écophyto en 2009. « En cherchant comment réduire les intrants, nous sommes en phase avec notre environnement professionnel, aussi bien le CIVC, et la chambre d'agriculture, que les groupes de développement », relève Nicolas Robert, le directeur.

Enseigner, c'est transmettre des connaissances, mais aussi amener les élèves à être curieux et à exercer leur sens critique, deux qualités indispensables pour s'adapter dans un monde qui bouge. « En testant de nouvelles méthodes, nous leur montrons qu'on peut évoluer. Cela les intéresse et facilite l'instauration d'un dialogue. Quand nous sommes ensemble dans ces vignes expérimentales, ils ont beaucoup de questions ! », constate-t-il.

Les enseignants, de leur côté, sont demandeurs d'exemples concrets pour leurs cours. Avec le suivi précis d'Écophyto, ils disposent de références chiffrées sur des parcelles où ils peuvent aller faire des travaux pratiques avec leurs élèves. « Écophyto nous a aussi ouvert des partenariats pour aller plus loin et tester un nouveau mode de conduite », poursuit Nicolas Robert. Sur deux parcelles, les ceps ont été plantés en 2007 à 1,50 m x 1 m. La densité reste conforme au cahier des charges de l'AOC Champagne, mais l'inter-rang plus large permet le passage d'un microtracteur. « Nous l'avons équipé de panneaux récupérateurs de bouillie. Nous recyclons ainsi 35 % des volumes épandus. » Avec ce tracteur, il est aussi plus facile de tondre tout en travaillant le rang.

Cette modalité avec changement de densité est comparée à trois modalités en protection raisonnée et à une modalité en bio. De quoi alimenter la réflexion des élèves qui peuvent analyser les résultats sous l'angle technico-économique. Le lycée communique sur ces évolutions. Il organise des journées portes ouvertes Écophyto, comme le 16 mai dernier.

Lycée Charlemagne de Carcassonne : Protection raisonnée et biodiversité

« La réduction des traitements est inéluctable. Elle correspond à une demande de la société. Nous avons commencé en participant aux programmes PodMildium et Optidose, de l'IFV. Puis, en 2009, nous nous sommes engagés dans Écophyto », raconte Emmanuel Lahirigoyen, responsable de l'exploitation du lycée Charlemagne de Carcassonne (Aude). Sur 23 ha de vignes, 6,2 ha sont désormais conduits en s'appuyant sur les préconisations de PodMildium. « Nous arrivons à réduire l'IFT de 25 à 30 % en moyenne par rapport à la référence régionale. Certaines années, c'est moins évident que d'autres, mais cela fonctionne. Pour se rendre compte que c'est possible, il n'y a rien de tel que d'essayer ! ».

Après la réduction des fongicides, c'est maintenant au tour des herbicides. « Nous allons nous équiper d'un outil de travail du sol sur lequel nous pourrons monter une décavaillonneuse, une sarcleuse, une bineuse ou encore une épampreuse », précise-t-il. Au programme également, des comptages de tordeuses et d'auxiliaires potentiels, « pour voir dans quelle mesure ces derniers pourraient nous aider à diminuer les insecticides ».

Dans sa communication, le lycée n'hésite pas à mettre en avant son engagement dans Écophyto. « C'est un argument fort pour recruter, car ces nouvelles façons de faire intéressent les élèves », affirme Emmanuel Lahirigoyen. Et pour diffuser les résultats obtenus, il organise des journées portes ouvertes comme celle du 20 mai dernier sur le thème « zéro herbicide », en partenariat avec la chambre d'agriculture.

Lycée viticole d'Orange : Le défi du tout bio

En 2009, le lycée viticole d'Orange (Vaucluse) a décidé de relever le pari du bio. Il a converti les 21 ha de son exploitation pédagogique à ce mode de culture. « Le climat dans la vallée du Rhône s'y prête, et des exploitations toujours plus nombreuses produisent en bio, près d'un tiers aujourd'hui dans l'appellation Chateauneuf-du-Pape », note Miguel Aguirre, qui dirige le domaine du lycée.

La viticulture conventionnelle continue à être enseignée en s'appuyant sur des visites d'exploitations extérieures au lycée. Sur le domaine pédagogique, les élèves observent de près le travail en bio, que ce soit au cours de travaux pratiques ou de mini-stages. « Nous ne leur cachons pas les difficultés de façon à ce qu'ils sachent à quoi s'attendre s'ils optent pour ce mode de conduite », relève-t-il.

Les élèves donnent ainsi un coup de main lorsqu'il faut finir de désherber à la pioche au pied des ceps. Ils mesurent la difficulté de contrôler les vivaces. « Mieux vaut préparer son vignoble et les éliminer tant qu'on est encore en conventionnel », leur conseille Miguel Aguirre. Ils touchent aussi du doigt les progrès, que ce soit au niveau de la vie des sols ou dans les profils des vins, « qui sont aujourd'hui plus équilibrés, moins capiteux », précise le responsable du domaine.

Ils se rendent compte que passer en bio ne supprime pas les aléas du marché. « En 2012, pour notre première année de certification, le cours du vrac est redescendu au niveau du conventionnel ! », raconte Miguel Aguirre. Pas question pour autant de baisser les bras. « Nous progressons en qualité. Cela va nous aider à développer nos ventes en bouteilles. »

Pour aller plus loin, l'équipe du lycée cherche de nouveaux défis. « Nous pourrions nous doter d'une vraie comptabilité analytique pour donner des références chiffrées à nos élèves. Nous leur amènerions ainsi une chose qu'ils n'ont pas sur l'exploitation de leurs parents », ajoute-t-il.

Un plan d'action en quatre volets

La direction de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'Agriculture vient de publier son plan d'action « Enseigner à produire autrement ». Ce document, où il est plus question d'agroécologie que d'agriculture, détaille les poins suivants.

- Le ministère modifie le contenu des enseignements pour prendre en compte « le développement durable » et « la diversité des systèmes de production agricole ».

- Les exploitations des établissements d'enseignement devront s'engager dans des plans gouvernementaux d'agro-écologie, parmi lesquels Écophyto ou Ambition bio 2017. Le rôle de ces exploitations sera renforcé pour apprendre par l'exemple aux élèves comment gérer des modèles complexes d'aide à la décision.

- Dans chaque région, les Draf et les Daaf sont chargées d'élaborer, d'ici le mois de juillet, des programmes régionaux « d'évolution des établissements agricoles vers le programme "Produisons autrement" ».

- Les personnels de l'enseignement agricole seront formés à l'agroécologie et accompagnés.

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