De 2010 à 2013, Inter Rhône a évalué onze procédés de nettoyage et de désinfection des barriques. Selon Nicolas Richard, l'auteur de ces essais, les trempages chimiques s'avèrent très décevants, contrairement aux procédés physiques qui éliminent les Brettanomyces des barriques et ont une action détartrante. Cet oenologue a lui-même évalué l'impact de ces méthodes de nettoyage sur les Brettanomyces selon un protocole très élaboré (voir encadré).
Concernant leur efficacité de détartrage, il s'est fié aux dires des constructeurs. Nicolas Richard a utilisé des barriques fortement contaminées en Brettanomyces qu'il a nettoyées/désinfectées par la vapeur, l'eau sous pression, l'eau surchauffée, les ultrasons, les trempages chimiques au permanganate ou à l'eau oxygénée, l'eau ozonée, l'ozone gazeux, l'oxygène négatif, le méchage classique ou sur lies et le méchage sous pression. Il a ensuite rempli les barriques nettoyées avec du vin stérile qu'il a analysé régulièrement pour déterminer la quantité de micro-organismes relargués par le bois.
En tête : L'eau surchauffée et les ultrasons
Deux procédés se distinguent à l'issue de ces travaux : l'eau surchauffée et les ultrasons. Tous deux divisent par plus de mille les populations de Brettanomyces des couches de surface et profondes du bois (103 cellules/cg de bois). Après cela, le vin stérile et non sulfité, utilisé pour remplir les barriques lavées, ne s'est recontaminé que très lentement en Brettanomyces. « Si nous avions employé un vin normalement sulfité, il n'y aurait pas eu de recontamination », assure Nicolas Richard.
Ces deux techniques éliminent également les dépôts de tartre qui réduisent la porosité du bois et peuvent être des « nids » à micro-organismes. « Notre procédé combine eau chaude et vapeur. L'eau chaude a une action détartrante, la vapeur aseptise en profondeur », affirme Stéphane Dubes, cogérant de la société DGC Vins, de Saint-Etienne-de-Lisse (Gironde), qui a développé le système d'eau surchauffée en 2010. De même, Dyogéna, qui commercialise le traitement par ultrasons, affirme que son système produit des bulles de cavitation au sein des barriques qui détartrent et détruisent les parois des micro-organismes.
Le méchage sous pression, l'ozone gazeux, la vapeur et le méchage classique ou sur lies réduisent également très fortement les populations de Brettanomyces et empêchent une récontamination rapide du vin. Mais, contrairement aux systèmes précédents, ils ne détartrent pas, ou alors partiellement.
Inventé par la société G3, à Monteux (Vaucluse), le méchage sous pression consiste à injecter dans les barriques du SO2 gazeux avec une légère surpression. C'est un procédé nouveau comme le système de la société Ozone-Service Mimaud Équipement, basée à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), qui vaporise de l'ozone gazeux dans les fûts.
Le système Bariclean de production de vapeur est plus classique. Nicolas Richard l'a utilisé pour désinfecter ces fûts pendant dix minutes avec une température de vapeur de 110 °C. Quant aux méchages classiques ou sur lies, l'oenologue les a pratiqués à 5 g/hl.
En queue : L'eau ozonée et les trempages chimiques
« L'aspersion d'eau ozonée ne fonctionne pas », affirme Nicolas Richard. Le système qu'il a testé produit de l'ozone qui est injecté dans de l'eau. Le mélange est ensuite envoyé dans la barrique grâce à une canne à une pression de trois bars. Les essais ont été menés avec de l'eau ozonée à 1-1,2 ppm appliquée dans les barriques pendant cinq minutes. Ce système n'élimine ni les Brettanomyces ni le tartre. Il n'a pas fonctionné car « la dose utilisée est trop faible pour avoir une action sur les micro-organismes », explique Nicolas Richard. En principe, l'ozone est délétère vis-à-vis des micro-organismes. Mais, dans le cas présent, les faibles doses employées ont prioritairement réagi avec les tanins du bois. Le trempage de permanganate ou d'eau oxygénée pendant une heure n'a pas non plus d'effet sur les Brettanomyces. Il en reste beaucoup dans le bois sous forme vivante. La recontamination est quasi instantanée lorsque les barriques sont nettoyées par aspersion d'eau ozonée ou par trempage au permanganate. L'utilisation d'eau oxygénée retarderait la recontamination du vin car « il y aurait un phénomène de rémanence du produit », explique Nicolas Richard. Ces produits chimiques permettraient, en revanche, d'éliminer une partie du tartre mais il faut beaucoup d'eau pour les éliminer et pour que les barriques retrouvent l'odeur de bois.
Entre les deux : L'eau chaude sous pression et l'oxygène négatif
Les deux derniers traitements qui ont été soumis aux tests de Nicolas Richard sont l'eau chaude sous pression et l'oxygène négatif. Tous les deux éliminent davantage de Brettanomyces dans les couches de surface du bois que les trempages chimiques et l'aspersion d'eau oxygénée (au moins 102 cellules/cg de bois). Mais ils ne sont pas aussi efficaces dans cette tâche que l'eau surchauffée ou les ultrasons. Le vin a donc tendance à se recontaminer rapidement. De plus, ces deux systèmes n'éliminent pas les Brettanomyces dans la profondeur du bois. Ils ne sont donc efficaces que sur des barriques faiblement contaminées.
L'eau chaude sous pression élimine bien le tartre, mais l'oxygène négatif échoue. Le premier système consiste à envoyer dans les barriques de l'eau à 70 °C pendant sept minutes à une pression de cent bars. Enfin, l'oxygène négatif est constitué d'ozone diffusé à faible dose dans les barriques sous forme de gaz.
Une étude complexe à mettre en place
Pour évaluer l'efficacité des différents systèmes de nettoyage/désinfection, Nicolas Richard, du service technique d'Inter Rhône, a « contaminé des barriques avec du vin enrichi en Brettanomyces à des niveaux de 105-106 cellules par millilitre (100 000 à 1 million, NDLR) ».
Il a laissé séjourner ce vin six mois à un an dans les fûts à 20 °C, température idéale pour le développement des Brettanomyces. Pour empêcher que les fûts s'entartrent, ce qui aurait pu fausser ses essais, Nicolas Richard a utilisé un vin stabilisé vis-à-vis des précipitations tartriques. Une fois les barriques vidées et rincées, il y a réalisé des carottages pour dénombrer les micro-organismes dans les trois premiers millimètres de bois en contact avec le vin et dans les couches plus profondes. « Les barriques étaient fortement contaminées : à des niveaux de 104-105 cellules/cg de bois », assure Nicolas Richard.
Les barriques ont ensuite été nettoyées/désinfectées par les différents systèmes. De nouveaux carottages ont été réalisés pour déterminer la quantité de micro-organismes éliminés par chaque traitement.
Après avoir désinfecté les fûts, l'oenologue y a entonné un vin stérile et non sulfité afin que toutes les Brettanomyces subsistant dans le bois puissent s'y développer, y compris celles qui étaient dans un simple état de survie (état viable mais non cultivable -VNC- sur boîte de Petri). Toutes les semaines, pendant trois mois, il a dénombré les Brettanomyces réactivées et relarguées dans le vin.
Quatre nouveaux systèmes de nettoyage très efficaces
Eau surchauffée. C'est une canne Moog modifiée associée à un laveur à haute pression pour produire une eau à 90 °C et de la vapeur. Les deux sont envoyés dans la barrique à faible pression. L'action mécanique de l'eau permet de détartrer, la vapeur d'assainir. L'action combinée de l'eau et de la vapeur fait monter la température à l'intérieur du fût en quelques minutes pour un assainissement rapide. Inter Rhône a appliqué ce traitement pendant 15 min.
Ultrasons. La technique consiste à remplir une barrique avec de l'eau chaude et à y plonger un émetteur d'ultrasons haute puissance. Ces ondes forment dans l'eau des bulles de cavitation qui brisent les membranes des micro-organismes et les cristaux de tartre. Inter Rhône a testé ce système en remplissant les barriques avec une eau à 65°C et en appliquant les ultrasons pendant 10 min.
Méchage sous pression. Le système se compose d'une bouteille de SO2 liquide munie d'un détendeur qui fait passer le SO2 sous forme de gaz. Cette bouteille est reliée à une bonde hermétique pourvue d'une tige de 40 cm qui plonge dans la barrique. La détente du SO2 liquide en SO2 gazeux provoque une surpression de 0,1 bar dans la barrique. Le SO2 entre en profondeur dans le bois pour l'assainir. Pour ses expérimentations, Inter Rhône a diffusé dans les barriques, 10 g de SO2 pendant 10 min.
Ozone gazeux. Le système injecte de l'ozone gazeux dans les barriques. Une bonde étanche empêche le gaz de se dissiper à l'extérieur de la barrique. Un capteur d'ozone stoppe l'appareil si la concentration d'ozone à l'extérieur de la barrique devient trop importante. Pour évaluer ce procédé, Inter Rhône l'a appliqué 10 min avec une concentration d'ozone à 100 ppm.
Le Point de vue de
Nicolas Richard, du service technique d'Inter Rhône
« Aucun procédé ne stérilise à 100 % »
Si vous aviez deux ou trois procédés de nettoyage/désinfection des barriques à privilégier, quels seraient-ils ?
N.R. : Tout d'abord, il est certain qu'aucun procédé de nettoyage ne stérilise les barriques à 100 %. Le meilleur moyen pour nettoyer et désinfecter une barrique est de combiner plusieurs méthodes. Par exemple, si une barrique contient du tartre, il faut l'éliminer avec une canne Moog. Ensuite, on peut s'orienter vers la vapeur, le méchage classique ou l'ozone gazeux pour assainir le fût. S'il reste du tartre, ces deux dernières techniques seront moins efficaces. Il existe des procédés qui combinent l'élimination du tartre et des micro-organismes indésirables. L'eau surchauffée donne de bons résultats, mais est toujours en cours de développement, et les ultrasons ne s'utilisent qu'en prestation de services.
Avez-vous observé un impact des différents systèmes de nettoyage sur les caractéristiques aromatiques ou gustatives des vins ?
N.R. : Dans nos conditions expérimentales, non. Mais le vin que l'on a utilisé n'était pas de bonne qualité. Dans certains cas, il pouvait en plus se recontaminer rapidement en Brettanomyces et était donc difficile à goûter. Très peu de constructeurs de machine de nettoyage des barriques communiquent sur l'impact de leur système sur les caractéristiques aromatiques du bois.
Selon vous, vaut-il mieux nettoyer les barriques juste après les avoir vidées ou juste avant de réentonner ?
N.R. : Selon moi c'est une aberration de ne pas nettoyer les barriques juste avant de réentonner. On peut nettoyer les barriques une fois vidées, mais d'un point de vue microbiologique il est préférable d'appliquer un protocole de nettoyage et désinfection adapté juste avant de réentonner.