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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Quand Cheval Blanc se rue sur un autre cheval blanc

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°265 - juin 2014 - page 70

Le célèbre cru classé de Saint-Émilion veut empêcher un domaine girondin d'utiliser la marque Cheval Blanc. Ce nom, dont le domaine attaqué se sert depuis 1871, fait référence à une de ses parcelles. La Cour de cassation a donné partiellement raison au premier grand cru classé. L'affaire n'est pas encore réglée.

La société Château Cheval Blanc, premier grand cru classé de Saint-Émilion, titulaire de la marque Cheval Blanc, assigne l'EARL Cheval Blanc, exploitante d'une propriété viticole dans le Bordelais. Elle demande la nullité de la marque Domaine du cheval blanc qui figure sur les étiquettes des vins de l'EARL.

Pour se défendre, l'exploitant rétorque que les vins de son domaine sont issus de parcelles désignées au cadastre sous le toponyme Cheval blanc. Pour preuve, il met en avant un ouvrage de référence, intitulé « Bordeaux et ses vins », des éditions Féret, qui décrit son domaine du cheval blanc comme étant situé à Saint-Germain-de-Grave et remontant à 1871.

L'un des points de droit abordé dans cette affaire est de savoir si la marque Domaine du cheval blanc est déceptive c'est-à-dire de nature à induire le consommateur en erreur. En effet, l'article L 711-3 du code la propriété intellectuelle dispose que : « Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service. » Le consommateur croit-il alors acheter du Château Cheval Blanc ou le second vin de ce château lorsqu'il achète du Domaine du cheval blanc ?

L'affaire est complexe, car les arguments mis en présence sont nombreux. Le Château Cheval Blanc va notamment argumenter la déceptivité de la marque du domaine « non pas à l'origine, lors de son dépôt, mais à la suite du développement de l'exploitation produisant du vin sous cette dénomination Domaine du cheval blanc ». Le premier grand cru classé fait valoir que l'exploitation de l'EARL est passée de 13 ha, à l'origine, à 42 ha. Il en déduit que le domaine a perdu le droit au nom « cheval blanc » car les parcelles cadastrées au lieu-dit du même nom ne représentent plus que 11 ha sur 42. À l'appui de son argumentation, il présente différentes éditions de l'ouvrage de Féret où figurent les agrandissements successifs du domaine.

Pour se défendre, l'exploitant plaide la simple erreur. Selon lui, le questionnaire de l'éditeur a été rempli en prenant en compte la totalité des superficies en production alors qu'une partie du vignoble produit des vins commercialisés sous d'autres noms (Château Daliot, Château du Grison...). Il l'assure, la marque « cheval blanc » s'applique toujours aux 11 ha cadastrés sous ce nom.

Dans un premier temps, les juges du fond vont débouter le prestigieux château. Mais ils vont le faire sur la base de l'article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle, qui déclare « est irrecevable toute action en contrefaçon d'une marque postérieure enregistrée dont l'usage a été toléré pendant cinq ans ». Les juges relèvent que la marque contestée a été déposée en 1973 et, qu'en outre, le vin du Domaine du cheval blanc a fait l'objet de suffisamment de publicité pour ne pas pouvoir être ignorée par le premier grand cru classé. Or, ce dernier n'a pas agi dans les temps.

Un pourvoi en cassation est donc intenté par le château Cheval blanc. La cour suprême va casser partiellement l'arrêt des juges de Bordeaux. Elle va noter qu'en « l'absence de preuve [...] d'une vinification séparée, la marque [du Domaine du cheval blanc] devait être annulée ».

La cassation n'interviendra que sur ce point précis. Elle laisse subsister la difficulté relative à la forclusion de l'action en contrefaçon. Sur ce point, la cour a répondu : « La forclusion par tolérance ne peut être opposée à une action en contrefaçon de marque dirigée contre une dénomination sociale. » Difficile de comprendre ce qu'ont voulu dire les juges... Il faudra attendre la décision de la cour de renvoi pour en savoir peut-être plus sur ce point.

Cour de cassation du 7 janvier 2014 (n° 12-28041)

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