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Magazine - Etranger

Chablais Un lézard comme porte-drapeau

MATHILDE HULOT - La vigne - n°265 - juin 2014 - page 80

Chablais est l'une des six appellations du canton de Vaud. Sa marque phare, Aigle les Murailles, dont l'étiquette représente un lézard, est le vin le plus vendu de Suisse.
LE CHÂTEAU D'AIGLE, symbole de l'appellation Chablais. Situé à Aigle, il appartient à la commune depuis 1804 et a été transformé en musée de la vigne et du vin en 1973. © TOUTES PHOTOS M. HULOT

LE CHÂTEAU D'AIGLE, symbole de l'appellation Chablais. Situé à Aigle, il appartient à la commune depuis 1804 et a été transformé en musée de la vigne et du vin en 1973. © TOUTES PHOTOS M. HULOT

DANIEL DUFAUX, OENOLOGUE DE BADOUX. Il veille, depuis l'intégration au groupe Schenk en 2009, sur la marque Aigle les Murailles. Il est aussi président de l'Union des oenologues de Suisse depuis 2010.

DANIEL DUFAUX, OENOLOGUE DE BADOUX. Il veille, depuis l'intégration au groupe Schenk en 2009, sur la marque Aigle les Murailles. Il est aussi président de l'Union des oenologues de Suisse depuis 2010.

UNE ÉTIQUETTE de l'Aigle les Murailles de 1929. Ce vin est le plus vendu de l'appel-lation Chablais. Sur l'une des étiquettes, le lézard a dû être retiré car « les États-Unis interdisent la présence d'un animal nuisible sur un produit consommable », raconte Nicolas Isoz, directeur du musée du vin.

UNE ÉTIQUETTE de l'Aigle les Murailles de 1929. Ce vin est le plus vendu de l'appel-lation Chablais. Sur l'une des étiquettes, le lézard a dû être retiré car « les États-Unis interdisent la présence d'un animal nuisible sur un produit consommable », raconte Nicolas Isoz, directeur du musée du vin.

ALAIN EMERY, PRÉSIDENT DU CIVCV (Communauté Interprofessionnelle des Vins du Chablais Vaudois). Ces vins sont produits sur des vignes en terrasses où les coûts de production ainsi que les risques d'éboulement et d'érosion sont énormes. Les producteurs ont des murets à entretenir et réalisent beaucoup de travaux à dos d'homme.

ALAIN EMERY, PRÉSIDENT DU CIVCV (Communauté Interprofessionnelle des Vins du Chablais Vaudois). Ces vins sont produits sur des vignes en terrasses où les coûts de production ainsi que les risques d'éboulement et d'érosion sont énormes. Les producteurs ont des murets à entretenir et réalisent beaucoup de travaux à dos d'homme.

MARCO ET FRANÇOIS GROGNUZ (CI-DESSUS) ET LEURS VIGNES DU VALAIS (CI-DESSOUS). Alors que le côté valaisan a la réputation de faire du complé-ment pour remplir les cuves, ces vignerons montrent qu'on peut produire du très bon vin de l'autre côté du Rhône. C'est là, sur le domaine des Évouettes, que le chasselas fut planté pour la première fois dans le Valais, au XVe siècle.

MARCO ET FRANÇOIS GROGNUZ (CI-DESSUS) ET LEURS VIGNES DU VALAIS (CI-DESSOUS). Alors que le côté valaisan a la réputation de faire du complé-ment pour remplir les cuves, ces vignerons montrent qu'on peut produire du très bon vin de l'autre côté du Rhône. C'est là, sur le domaine des Évouettes, que le chasselas fut planté pour la première fois dans le Valais, au XVe siècle.

Château d'Aigle, un jour de septembre 2013. Helga fête ses 60 ans dans cette propriété emblématique de l'appellation Chablais. Sur la terrasse ensoleillée, la troupe trinque, un verre de chasselas en main. Elle sort juste de la visite du musée du vin - de haut vol - aménagé dans ce château du XVe siècle, plusieurs fois réhabilité.

Autour du lac Léman et de Neuchâtel, les six appellations du canton de Vaud sont de beaux prétextes de visite pour ce groupe de touristes aisés. À commencer par le Chablais. La région s'enfonce dans les terres nichées entre les Alpes et le Rhône qui se jette dans le lac Léman. Elle compte 587 ha de vignes soit 15 % du vignoble de ce canton.

Ici, le chasselas règne en maître. Le sol alluvionnaire et le foehn - le vent chaud et sec qui descend des montagnes en été - lui confèrent un caractère de pierre à fusil, de silex. Son manque d'acidité lui interdit un long vieillissement. Le vin est donc bu jeune, sur sa note carbonique typique, légèrement pétillant. Mais de nombreux cépages rouges l'ont rejoint, surtout le pinot noir et le gamay, mais aussi le gamaret, le garanoir et le diolinoir, trois cépages créés en Suisse.

Cinq villages

Sur les étiquettes, les cinq villages de l'appellation apparaissent en plus gros caractères que l'appellation elle-même. Aigle est le plus connu d'entre eux. Puis viennent Yvorne, Ollon, Villeneuve et Bex.

C'est d'ailleurs la marque Aigle les Murailles, un chasselas de la maison de négoce Badoux, qui tire l'appellation. Et pour cause : c'est le vin le plus commercialisé en Suisse, totalisant 1,5 million de bouteilles vaudoises (ou demi-pots) qui contiennent 70 cl et sont vendues 20 francs suisses (CHF), soit 16,35 euros, prix consommateur.

Les Suisses appellent cette marque « le lézard » car cet animal illustre les étiquettes. Badoux l'a choisi parce qu'il niche dans les murets qui soutiennent ses vignes. « Les grosses caves sont capitales pour nous, explique Alain Emery, président de la CIVCV (Communauté interprofessionnelle des vins du Chablais vaudois) depuis 2010. Et le lézard fait la notoriété du Chablais. »

Badoux s'approvisionne aux trois quarts dans ses propres vignes. Il achète le quart restant à une vingtaine de livreurs qui lui sont liés par « des partenariats de longue durée et très stables », selon Daniel Dufaux, l'oenologue de Badoux. Il paie 5 CHF le kilo (4,09 euros).

Le lézard est né en 1908. En 2013, Badoux a lancé une version rouge, à base de pinot noir, pour « profiter du sillon creusé par le blanc », raconte Daniel Dufaux. Parti de 20 000 bouteilles, l'oenologue vise 100 000 cols à terme. Tout ou presque part en Suisse alémanique, considérée ici comme « l'export ».

« N'entre pas qui veut. Sort qui peut », lit-on dans la sombre pièce de réception de la Cave des Rois, une exploitation située à Villeneuve, village voisin d'Aigle. Marco Grognuz, le père, la soixantaine, et François, le fils, la quarantaine, dirigent l'affaire. Ils possèdent 17 ha dont seulement 2 ha à Villeneuve, dans le Chablais vaudois. Ils ont aussi 5 ha dans le Lavaux et surtout 11 ha dans le Chablais valaisan. Car le Chablais est à cheval sur deux cantons, comme le Beaujolais l'est sur deux départements. La plus grande partie - et la plus réputée - se trouve dans le canton de Vaud. Dans le Valais, il s'agit plutôt de vignerons du dimanche.

Les Grognuz ne veulent rien savoir de ces histoires. « On se considère comme Chablaisiens avant tout », insiste Marco. Ils font figure de pionniers car ils ont investi dans le Valais. « Lorsqu'on a acquis ce terrain, on nous a pris pour des fous, se souvient Marco. Les vignes étaient en mauvais état. Nous avons dû tout reconstituer. »

Concurrence étrangère

Aujourd'hui, ils sont fiers du chemin parcouru. Leur gamme est étonnante de fraîcheur et de profondeur, surtout les pinots noirs des Évouettes, leur cru du Valais. Ils vendent 70 % de leur récolte en bouteilles et le reste en vrac aux négociants Schenk, à Rolle, et Garnier, à Berne.

Outre les particuliers et les négociants, il existe cinq coopératives dans le Chablais. Celle d'Yvorne, appelée Avy (les Artisans vignerons d'Yvorne), compte 120 membres et « encave » 55 hectares, du chasselas à 86 %. Elle vend ses vins sous la marque Les Vignes d'Or.

À voir ce petit vignoble parfaitement entretenu, on se dit qu'il coule des jours heureux. L'oenotourisme y est en plein boom. Dans les propriétés, les vins sont vendus à bon prix : entre 15 et 20 CHF pour le moindre chasselas. Pourtant, tout n'est pas rose : la viticulture souffre d'une intense concurrence étrangère. « Le consommateur suisse est très sollicité. Comme on n'a jamais pu fournir plus de 50 % de ce que l'on consomme, les vins étrangers ont fait leur trou », rappelle Daniel Dufaux.

Vins espagnols, italiens, français et surtout chiliens et argentins occupent plus de 60 % des linéaires. Pour reprendre des parts de marché, les opérations de déstockage se multiplient. « 75 % des vins suisses sont vendus en promotion. La grande distribution tue tout », se désole Patrick Ansermoz, directeur de l'Avy.

Ultime point qui chagrine les Vaudois : la notoriété. « Lorsqu'un Suisse veut faire plaisir, il achète un cru classé de Bordeaux plutôt qu'un vin du Chablais », déplore Patrick Ansermoz. Même pour les vignobles bien établis, le chemin vers la perfection est long.

Une viticulture très coûteuse

Si les vins du Chablais sont chers, c'est parce qu'ils sont produits sur des vignes en terrasses, où les coûts de production et les risques d'éboulement et d'érosion sont énormes, se défendent les producteurs. Ils ont des murets à entretenir, réalisent beaucoup de travaux à dos d'homme, vendangent au treuil, etc. Merles et geais s'ajoutent au catalogue, obligeant les vignerons à protéger les vignes avec des filets, eux aussi coûteux (100 CHF, soit 82 euros, pour couvrir 1 000 m2 de vignes).

Le raisin se négocie à 5 CHF (4,09 euros) le kilo de chasselas, et jusqu'à 7 CHF (5,73 euros) les cépages rouges. Cela se répercute dans la bouteille, rendant le coût élevé, d'autant que les matières sèches augmentent. Enfin, les viticulteurs ont dû regrouper les parcelles et créer des chemins pour en faciliter les accès, tout cela avec l'aide des pouvoirs publics.

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