BERNARD NICOLETTI applique une technique découverte en Nouvelle-Zélande. Il effeuille le grenache avant la floraison pour limiter la coulure, ici avec Mohamed Lahdissou, employé depuis 1998, et Alain Valles, qui vient d'être embauché. © F. BAL
LA FOLLE NOIRE, un des deux cépages spécifiques à l'appellation Bellet, a du mal à venir à maturité. De ce fait, le viticulteur laisse une hauteur foliaire de 1,30 m.
« J'ai mis du temps à me désénerver », souligne Bernard Nicoletti, du domaine de Toasc, 6,5 ha en production en AOP Bellet et IGP des Alpes-Maritimes, à Nice (Alpes-Maritimes). Cet ancien patron du BTP reconnaît très volontiers qu'il ne s'est pas adapté du jour au lendemain aux spécificités du métier et aux aléas du vivant. À ses débuts, il avait du mal à accepter que son oenologue lui demande d'attendre deux jours de plus pour vendanger « à point » alors qu'il avait déjà organisé la récolte. Aujourd'hui, il en sourit : « Il a eu la patience de me supporter », dit-il.
C'est en 1991 que Bernard Nicoletti cède l'affaire familiale de bâtiment qu'il dirige à un groupe britannique. Dans la foulée, il a l'opportunité d'acheter 11 ha de terres et de forêts sur les collines de Nice, en AOP Bellet. L'emplacement est à dix minutes de la fameuse promenade des Anglais, sur les hauteurs de la ville. Il n'hésite pas.
« Toasc était le nom du lieu-dit, précise-t-il. Je l'ai trouvé percutant et je l'ai gardé comme nom de domaine. » Bernard Nicoletti conserve alors la présidence du directoire de son entreprise. Il exerce par ailleurs plusieurs mandats dans une société familiale hôtelière et auprès de diverses instances régionales (CCI, Medef, etc.). Il ne prendra sa retraite qu'en 2012.
Mais au fil des ans, il a créé et développé son domaine, s'attelant d'abord au défrichage de la propriété et au remodelage des planches (nom niçois pour désigner les terrasses), avec drainage et écoulement des eaux.
Puis il plante tous les ans, majoritairement des cépages locaux, jusqu'à atteindre 6,5 ha en 2003. « Autant le rolle ou vermentino, l'âme des blancs, a gagné toute la Provence, autant le braquet (un cépage noir) et la folle noire sont restés spécifiques à Bellet. Ils sont inconnus ailleurs que dans notre minuscule AOP de 60 ha plantés », observe-t-il.
Cave flambant neuve. Le braquet, le principal cépage du rosé, est très sensible aux maladies. Il donne des vins rose pâle tout à fait en phase avec les attentes du marché. La folle noire (ou jurançon noir) est le cépage dominant des rouges, « mais il a beaucoup de mal à mûrir », poursuit-il.
À partir de 1998, il embauche un salarié viticole à temps complet et s'adjoint les services d'un oenologue conseil. En 2000, il élabore son premier vin : 10 000 bouteilles dans les trois couleurs. Il vinifie dans sa cave flambant neuve. Sur 400 m2 au sol, ce bâtiment abrite le chai et, au-dessus, une salle de stockage. Il renferme un matériel performant : pressoir Bucher Vaslin de 22 hl, sept cuves en inox thermorégulées pour vinifier les blancs et les rosés, et des fûts de chêne de 350 litres à chauffe légère pour élever les rouges de douze à dix-huit mois. « La propreté de la cave et l'utilisation du froid et de la gravité pour acheminer les raisins dans les cuves font la différence, estime Bernard Nicoletti. Ils favorisent l'élaboration de vins fins et nets. »
À la même époque, il bâtit une très agréable boutique de 150 m2 surmontée de deux gîtes, gérés directement par Gîtes de France.
En 2011, Bernard Nicoletti réalise une deuxième série de travaux. Il construit un chai d'élevage, une salle polyvalente où il expose une vingtaine d'oeuvres d'art de l'école de Nice (Yves Klein, Armand, César, etc.) et une terrasse indépendante au-dessus d'une parcelle de vignes. Ces dernières pièces sont dédiées à l'accueil de séminaires.
Habituellement, Bernard Nicoletti produit une cuvée de bellet dans les trois couleurs. Malgré la forte demande en rosé, il conserve un équilibre car « les blancs sont magnifiques, les rouges très intéressants ». Certaines années, il vinifie deux vins supplémentaires, un blanc et un rouge, en hommage à son père Roger. Ces cuvées spéciales contribuent à l'image de marque du domaine. Le blanc est alors élevé en barriques. « Personnellement, je ne trouve pas cela fantastique, mais il existe une clientèle pointue à la recherche de ce type de produits », relate-t-il.
Les vendanges sont manuelles. Les raisins sont égrappés avant de connaître une macération pelliculaire à froid (7 à 8°C) de 24 heures pour les blancs et rouges et de 12 heures pour les rosés. Blancs et rosés sont élevés et bâtonnés trois mois sur lie.
« Plus jamais ça. » Sur le plan commercial, « pour l'instant, hélas, j'écoule en CHR 70 % des 30 000 à 33 000 bouteilles que je produis par an, regrette-t-il. Hélas, car c'est avec les particuliers que se fait la marge ». Il vend lui-même 20 % de sa production dans des restaurants appartenant à sa famille ou qu'il connaît bien. « Pendant vingt ans, j'ai fait des repas d'affaires chez eux. Quand j'ai commencé à produire des vins, je les ai sollicités », souligne-t-il. Un agent commercial local se charge du reste des ventes CHR.
En 2000, il participe à son premier salon, celui des Vignerons indépendants de France, à Paris. Bernard Nicoletti s'en souvient comme si c'était hier. « Il y avait près d'un millier de stands, raconte-t-il. Je n'en pouvais plus d'expliquer que le bellet n'est pas dans l'Ain, mais à Nice ! Je me suis dit : "Plus jamais ça !" » Dès lors, il cible des salons bien précis à Nice et à Cagnes-sur-Mer. Il s'agit de « draguer » la clientèle internationale et haut de gamme qui pourrait venir à la boutique. Depuis quatre ans, il participe également au salon de la Revue du vin de France pour augmenter sa notoriété.
En 2013, il a obtenu la certification bio. « Le bio accroche la population et la clientèle de manière remarquable », commente-t-il. « À Bellet, les vins se vendent entre 16 et 50 euros, rapporte-t-il. Un bellet vendu à moins de 15 euros n'est pas rentable si l'on tient compte des amortissements, y compris du foncier. Il y a quatre ans, j'ai augmenté mes prix de 16 à 19 euros pour les blancs et rouges et de 13,30 à 15,50 euros pour le rosé. Je reste pourtant un des moins chers de l'appellation. »
Chaque année, il est tenté de les augmenter encore, car il vend très rapidement toute sa production. Mais, à ses yeux, ce serait une erreur majeure, car la fixation du prix ne devrait pas être une simple compensation de faibles volumes disponibles.
C'est l'un des enseignements tirés des voyages auxquels il participe avec le Comité mistral. Cette alliance d'une vingtaine d'entreprises régionales promeut à l'international des marques de Provence et de la Côte d'Azur et organise deux séjours à l'étranger par an. « Il y a une dizaine de domaines viticoles dans ce club, détaille-t-il. Je leur ai demandé de nombreux conseils pratiques. »
Accueil oenotouristique professionnel. Partout où il passe, Bernard Nicoletti observe attentivement. « Je fais le Japonais, dit-il. Ce que je vois ailleurs et qui me paraît bien, je l'applique ensuite au domaine. » Il s'est ainsi inspiré de l'accueil oenotouristique très professionnel et payant en Californie ou au Chili. Il s'est aussi mis à effeuiller le grenache avant la floraison pour éviter la coulure, comme il l'a vu faire en Nouvelle-Zélande.
Il a également remarqué que, « les vignerons ne se serrent pas assez les coudes. Au lieu de s'unir et d'attaquer les marchés ensemble, on a l'impression que l'ennemi, c'est le confrère. C'est très dommageable », regrette-t-il.
En 2013, il a planté 1,5 ha en IGP vin des Alpes-Maritimes. Il aimerait agrandir le domaine et planter 2,5 ha supplémentaires, dont il a déjà acheté les droits. Mais il lui est difficile de trouver des terres. « À Bellet, pour être rentable, un domaine doit atteindre au moins 10 ha, estime-t-il. Mais la pression et le prix du foncier, 250 000 euros l'hectare, sont très élevés. Nous sommes dans la ville même de Nice. Beaucoup de propriétaires ne veulent pas lâcher leurs terrains dans l'espoir qu'ils deviennent constructibles. »
À 68 ans, Bernard Nicoletti se prépare à passer le flambeau à ses deux enfants. « Contrairement à beaucoup d'investisseurs, je ne me contente pas de passer une fois tous les trois mois pour vérifier les comptes, conclut-il. Je prends toutes les décisions, je suis présent au quotidien. C'est tout l'intérêt de ce métier. » Sans compter la défense de son appellation, qu'il assure avec ardeur.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Il est très fier d'avoir créé le domaine de toutes pièces, d'avoir construit les bâtiments, défriché la propriété, remodelé les restanques, planté la vigne et de produire son propre vin.
« J'ai découvert le contact avec le client final, une expérience que je n'avais pas dans le BTP, où on ne le voit jamais, raconte-t-il. C'est génial. J'y trouve beaucoup de plaisir... dans la mesure où la clientèle est bien ciblée. »
Il est content de réussir à prendre des risques comme un vigneron - en attendant, par exemple, la maturité des raisins- et de ne plus seulement agir en chef d'entreprise très rationnel.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS
Afin de faire connaître le domaine, il a réalisé lui-même les dossiers de presse, au coup par coup. « Dès le départ, j'aurais dû prévoir un plan de communication cohérent pour établir sa notoriété, avoue-t-il. Mais je trouvais que c'était trop cher et j'étais trop débordé par ailleurs pour m'en occuper. Tant pis. »
Il regrette de ne pas avoir investi davantage dans le foncier dès le départ, quitte à s'endetter « de manière brutale ». Mais il était difficile de prévoir une telle hausse des prix (plus 70 % depuis 1992).
Le Point de vue de
SA STRATÉGIE COMMERCIALE
« Faire venir une clientèle particulière haut de gamme »
« Dans la région, il y a 30 000 étrangers possédant des résidences secondaires et qui apprécient vraiment le "wine tasting" », confie Bernard Nicoletti, qui cible cette clientèle internationale haut de gamme. Pour les recevoir, il s'est inspiré des domaines qu'il a visités à l'étranger. Il y a été frappé par la qualité de l'accueil. « Celui-ci doit être parfait et très professionnel », relate-t-il. Au domaine de Toasc, les vins sont dégustés dans de très grands et très beaux verres, les locaux sont accueillants, les toilettes très propres et le lieu bénéficie d'un accès handicapé. Outre ses vins, le domaine vend des produits de la région (verres de Biot, parfums Fragonard, etc.) et expose une vingtaine d'oeuvres d'art contemporain de l'école de Nice. Les dégustations et visites sont payantes (10 et 30 euros par personne). Autre piste pour faire venir ces amateurs aisés : « Les croisières haut de gamme qui font halte à Nice visitent Monaco, la fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, Grasse et ses parfums, explique-t-il. Je leur propose désormais une offre visite et dégustation au domaine. »