Mardi 17 juin, l'Inra organisait une conférence sur le thème « Viticulture et stress hydrique », à Montpellier (Hérault). Plus d'une centaine de personnes étaient présentes, le sujet étant particulièrement d'actualité dans ce département qui connaît une sécheresse précoce et intense. Cette journée a permis de mieux comprendre tous les mécanismes que la plante met en oeuvre pour économiser l'eau dès qu'elle se fait rare.
1. La croissance ralentit
L'effet le plus immédiat de la contrainte hydrique sur la vigne est le ralentissement de la croissance végétative. Elle est en premier lieu liée à la diminution de la turgescence des tissus, c'est-à-dire l'élongation cellulaire causée par l'entrée d'eau dans la plante. Rapidement après, la biosynthèse des parois cellulaires et la division cellulaire sont altérées. Cette limitation de la croissance permet à la plante de réduire sa surface évaporante, et donc de limiter ses pertes en eau.
Ce souci d'économie conduit, dans des situations de fort stress, au jaunissement puis à la chute des feuilles, à commencer par celles de la base. La capacité d'interception du rayonnement lumineux baisse, au même titre que l'activité photosynthétique.
Il ne faut pas oublier non plus qu'une contrainte hydrique est toujours associée à une contrainte azotée et minérale, car la présence d'eau dans le sol est indispensable à l'absorption des éléments nutritifs par les racines.
Lorsqu'il arrive en cours de maturation, cet arrêt de croissance est d'ailleurs souhaité. Il se caractérise par la chute des apex. Les produits issus de la photosynthèse se dirigent alors vers les grappes et non plus vers les jeunes feuilles en croissance.
2. Les stomates se ferment
Les stomates, orifices microscopiques situés sur la face inférieure des feuilles de vigne, sont à l'origine des échanges gazeux entre la plante et l'atmosphère. C'est à travers eux que la plante respire et transpire, deux phénomènes indispensables à la photosynthèse.
En situation de contrainte hydrique, la plante ferme ses stomates afin de retarder l'épuisement en eau du sol et de limiter sa déshydratation. Ce processus entraîne alors une diminution de l'entrée de CO2 et donc une réduction de la photosynthèse. Le mécanisme est déclenché soit par les feuilles elles-mêmes, soit par les racines qui synthétisent de l'acide abscissique (ABA). Cette hormone végétale migre ensuite jusqu'aux feuilles pour indiquer les premiers symptômes de dessèchement du sol.
Il est toutefois possible que les stomates se ferment alors que le sol n'est pas desséché. Cette situation intervient lorsque la demande évaporative est trop élevée, en raison d'un coup de chaleur.
La fermeture stomatique varie selon les cépages. Le grenache et le cabernet sauvignon répondent plus rapidement aux contraintes hydriques et thermiques par la fermeture de leurs stomates. Ils sont donc adaptés à des périodes de sécheresse intense et prolongée, car cela leur permet d'économiser de l'eau. À l'inverse, la syrah et le chardonnay maintiennent leurs stomates ouverts en condition de dessèchement. Ce comportement est favorable à la photosynthèse mais peut s'avérer désastreux en période de stress persistant. Ces cépages sont donc plus adaptés à de courtes sécheresses.
3. La sève se concentre
Lors d'un épisode de sécheresse soutenu, la vigne a la capacité d'accumuler des sucres et autres solutés dans ses cellules. C'est ainsi qu'elle maintient de l'eau dans ses organes, car l'eau se dirige vers les environnements les plus concentrés. On parle d'ajustement osmotique. Cette stratégie s'observe aussi bien dans les racines que dans des feuilles. Elle reste cependant consommatrice en énergie et en produits de la photosynthèse.
4. Le rendement chute
Le stress hydrique peut avoir des conséquences sévères sur le rendement en diminuant le nombre et la taille des baies. Cet effet se joue en deux temps : lors de l'année N-1 d'abord, puis pendant l'année en cours.
Le nombre d'inflorescences et de fleurs est déterminé au cours de l'année N-1, lors de l'initiation florale. Cette étape se réalise dans les bourgeons latents des jeunes rameaux. Elle démarre deux à trois semaines avant la floraison et s'achève autour de la véraison de l'année N-1. Après cela, les bourgeons contiennent tous les organes producteurs du millésime suivant.
L'initiation florale est affectée par de fortes contraintes thermiques, hydriques et azotées. Pour les chercheurs, un stress hydrique à cette période est sans doute le paramètre affectant le plus le rendement.
Durant l'année en cours, un tout autre mécanisme intervient. Les chercheurs ont observé que la taille des baies diminue durant la journée et augmente durant la nuit du fait de l'afflux d'eau provenant de la plante. La croissance des baies dépend donc de la différence entre l'expansion nocturne (liée à la contrainte hydrique) et la contraction diurne (liée en partie à la transpiration). Plus la contrainte hydrique est importante, plus la taille des baies diminue en journée et peine à croître pendant la nuit, et moins le rendement augmente.
Avant la véraison, la croissance des baies est fortement liée à l'alimentation hydrique de la vigne. C'est à ce stade que la perte de rendement peut être la plus importante. Après la véraison, le développement de la baie devient moins sensible au stress hydrique. Il dépend surtout de la quantité de sève élaborée reçue par les baies durant la journée. Un apport d'eau pendant la maturation ne pourra donc pas compenser une perte de croissance prévéraison.
5. La teneur en anthocyanes augmente
Les travaux actuels montrent une augmentation significative de la teneur en anthocyanes en condition de stress hydrique. En revanche, la teneur en tannins dans les pellicules et les pépins ne paraît pas affectée. Seule leur concentration peut augmenter en raison d'une diminution de la taille des baies en situation de stress hydrique.
Quand irrigation rime avec qualité
En 2012, l'unité expérimentale de Puech Rouge (Aude) a mené un essai comparatif entre une modalité irriguée et une modalité non irriguée. Il s'est déroulé sur une parcelle de syrah (clone 99/R140) plantée en 2001 sur un sol argilo-calcaire sur calcaire dur fissuré. Sur la modalité non irriguée, la contrainte hydrique naturelle s'est révélée très forte à sévère entre fin juillet et la récolte. La modalité irriguée a reçu 112 mm d'eau en dix-huit fois, au goutte-à-goutte, afin de maintenir une contrainte de faible à moyenne intensité (potentiel hydrique foliaire de base autour de - 0,4 MPa). Cette étude montre que les valeurs de photosynthèse nette, de transpiration et de conductance stomatique ont été significativement réduites pour la modalité non irriguée. À la récolte, la modalité irriguée présentait des baies plus lourdes, plus riches en sucres et en acidité totale mais moins riches en anthocyanes et en IPT (indice de polyphénols totaux) que la modalité non irriguée. Enfin, un jury expert de vingt personnes a jugé le vin rouge issu des vignes non irriguées moins qualitatif, tant sur les critères visuels que gustatifs.
Plus de racines chez les porte-greffes résistant à la sécheresse
Densité et profondeur du système racinaire déterminent la capacité des plantes à absorber l'eau dans le sol. Chez la vigne, ce rôle incombe aux porte-greffes. Or la densité racinaire, exprimée en terme de biomasse, semble très liée à la variété utilisée. Des chercheurs ont constaté que les porte-greffes résistants à la sécheresse (110 Richter, 140 Ruggieri, 44-53 Malègue, 1103 Paulsen et 197-17 Castel) développent davantage de racines dans les couches profondes du sol que les porte-greffes dits sensibles. Des travaux menés en 2008 ont aussi montré une différence de capacité d'adaptation à la sécheresse en fonction des variétés. Le 1103P associé au merlot présente une plus grande capacité de croissance racinaire en saison sèche en comparaison au 101-14 MGt dont la croissance racinaire intervient plutôt pendant les périodes humides printanières.