Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

La fertirrigation progresse au goutte-à-goutte

MARTIN CAILLON - La vigne - n°266 - juillet 2014 - page 28

La fertirrigation se développe lentement dans le pourtour méditerranéen. La technique, encore très empirique, est avant tout utilisée pour garantir des rendements élevés. Les carences semblent se corriger plus rapidement.
STÉPHANE RAPICAULT, salarié de L'EARL Bedos, à Quarante (Hérault), introduit l'engrais dans le tank fertiliseur. © M. CAILLON

STÉPHANE RAPICAULT, salarié de L'EARL Bedos, à Quarante (Hérault), introduit l'engrais dans le tank fertiliseur. © M. CAILLON

« Depuis que je fertirrigue mes vignes, j'ai une récolte normale et régulière. Je produis les 80 hl/ha autorisés en IGP Pays d'Oc sans difficulté », se réjouit François Garcia, gérant de l'EARL Bedos, à Quarante (Hérault). Le viticulteur exploite 19 ha de vignes en AOC Saint-Chinian et en IGP Pays d'Oc. Une dizaine sont irrigués depuis le début des années 2000 grâce au réseau du Bas Rhône Languedoc (BRL) « J'ai commencé à irriguer avec un canon. Deux ans plus tard, pour gaspiller moins d'eau, j'ai mis en place le goutte-à-goutte. Puis en 2007, j'ai opté pour la fertirrigation pour maîtriser la production avec plus de précision. »

Pour cela, François Garcia s'est équipé d'un tank fertiliseur de 250 litres dans lequel il déverse des engrais solubles : de l'azote et de la potasse essentiellement. L'équipement est branché en dérivation sur les canalisations qui alimentent ses parcelles en eau (voir photo). Après l'avoir rempli d'engrais, il ouvre la vanne d'alimentation. De l'eau y pénètre, venant dissoudre les fertilisants qu'elle dépose ensuite au pied de chaque cep de vigne. « Je mets 25 unités d'azote par hectare avec un peu de potasse à la veille de la floraison, et autant d'azote à la nouaison. Chaque apport est réalisé en deux fois. »

Nombreux avantages. La fertirrigation présente de nombreux avantages. Sur le plan agronomique d'abord, elle permet de s'affranchir de la dépendance climatique. En apportant les engrais en même temps que l'eau, il n'est pas nécessaire de compter sur la pluie pour les amener jusqu'aux racines. Le risque de lessivage est aussi écarté. François Garcia estime qu'il y a une meilleure assimilation par la vigne. « La dose est plus précise. On apporte juste ce qu'il faut », ajoute-t-il. Le système, en outre, réduit le nombre de passages de tracteur dans les vignes puisqu'il n'y a pas d'épandage.

Laurent Obiols, du Gaec des Goudailles, à Puisserguier (Hérault), poursuit le même objectif de régulariser sa production. Depuis cinq ans, 70 % des 37 ha de vignes de son exploitation sont irriguées et fertirriguées. « Nous visons les 90 hl/ha » indique le viticulteur. Il utilise deux tanks de 90 l qu'il déplace d'une parcelle à l'autre. Il apporte 40 kg de nitrate de potasse à l'hectare au printemps et 50 kg d'urée après les vendanges pour favoriser la reconstitution des réserves de la plante.

Le viticulteur diffuse l'engrais lentement dans le réseau. À cet effet, il ouvre plus ou moins une vanne guillotine installée sur la canalisation principale. « Laisser les engrais se diffuser pendant deux ou trois heures permet une application plus homogène de la solution dans les parcelles. »

Dans trois d'entre elles, très sensibles à la chlorose, Laurent Obiols instille également entre 10 et 50 kg de chélate de fer par hectare. Selon lui, la correction d'une carence par fertirrigation est beaucoup plus efficace que par pulvérisation foliaire. « À condition toutefois d'intervenir tôt », nuance-t-il.

Jean-Philippe Fournier, gérant du domaine Saint Jean Gavotin, à Aubord (Gard), partage cet avis. Il se sert principalement de la fertirrigation pour corriger les carences en magnésium de ses grenaches. Lorsque les premiers symptômes apparaissent, début juillet, il apporte dix unités de magnésie et autant d'azote à l'hectare. « La plante réagit en trois jours seulement. »

À la différence de ses deux confrères héraultais, le viticulteur gardois continue de fertiliser ses vignes avec un semoir. « Dans notre parcellaire morcelé, la fertirrigation avec un tank prend beaucoup de temps. Il faut déplacer le fertiliseur et apporter l'engrais à chaque poste d'irrigation. »

« Quand les parcelles sont petites, il est plus commode d'appliquer l'engrais avec un semoir », confirme Gabriel Ruetsch, responsable vigne des Vignobles Foncalieu. La cave coopérative audoise, qui gère 6 500 ha de vignes, dont 1 000 ha irrigués et près de la moitié fertirrigués, concentre, dans son giron la plus grande zone de vignes fertirriguées de France. Entre vingt et trente adhérents pratiquent cette technique dans des parcelles de moins d'un hectare en moyenne.

Une tâche compliquée. En pratique, la fertirrigation est moins simple qu'il n'y paraît. La préparation de la solution mère et le réglage du débit d'injection dans le réseau d'irrigation requièrent de la technicité. Le risque de fuite, ou de colmatage du goutte-à-goutte si l'eau est chargée en calcaire, implique une surveillance de la part de l'applicateur.

François Garcia trouve lui aussi le système contraignant. Mais il projette de l'améliorer. « J'installe cette année des programmateurs. Ils permettront de piloter l'irrigation plus facilement et avec plus de précision. D'ici un an, je vais m'équiper de deux autres tanks. À terme, chacun de mes quinze postes d'irrigation disposera d'un bac fertilisant. »

Une pratique peu répandue et méconnue

La surface précise de vignes fertirriguées en France est inconnue. Sur les 30 000 ha environ irrigués, moins de la moitié sont équipés de goutte-à-goutte. Les vignes fertirriguées se situent principalement dans les départements de l'Aude, de l'Hérault et du Gard.

Les expérimentations conduites pour évaluer la fertirrigation sont rares. Selon une étude espagnole récente menée par l'université de Castilla la Mancha, cette pratique permettrait une économie d'engrais de 20 % d'azote et de potasse et de 38 % de phosphore par rapport à un apport d'engrais au sol classique. En France, une expérimentation, pilotée par la chambre d'agriculture du Gard entre 2008 et 2011, a montré qu'il n'y a pas d'intérêt à fractionner les apports de fertilisants.

L'efficacité de la fertirrigation dépend du type d'installation. Le système du tank fertiliseur, le plus couramment utilisé, est le moins performant. Avec ce procédé, la solution diffusée dans le réseau est beaucoup plus concentrée en engrais en début qu'en fin d'application. L'utilisation d'une pompe doseuse donne de meilleurs résultats. Elle garantit une diffusion proportionnelle des fertilisants dans le réseau d'irrigation. Mais l'investissement revient environ deux fois plus cher.

Des analyses indispensables

« Pour fertirriguer, il faut d'abord bien maîtriser la quantité d'eau à apporter à la vigne, rappelle Hernan Ojeda, directeur de l'unité expérimentale de Pech Rouge, à Gruissan (Aude). Il ne suffit pas de mouiller le sol. Il faut contrôler l'état hydrique de la plante. »

Des méthodes existent pour cela. « L'analyse de sol fonctionne bien en maraîchage, où les plantes n'exploitent que 30 cm de terre. Pour la vigne, cette méthode est moins pertinente car les racines plongent bien plus profondément dans le sol. » Selon Hernan Ojeda, une analyse pétiolaire permet de mieux déterminer les besoins de la plante en nutriments. « Avant d'ajouter des fertilisants dans l'eau, il faut être certain qu'il en manque. » On sait que les éléments minéraux sont plutôt absorbés à partir de la floraison, après la phase de croissance racinaire, puis après la récolte. Qu'apporte-t-on par la fertirrigation ? De l'azote, du phosphore, de la potasse et, en fonction des besoins de la plante, des micro-éléments : du magnésium, du fer et du manganèse. En revanche, l'apport de calcium est difficile, sinon impossible, car cet élément risque de boucher le goutte-à-goutte en précipitant sous forme de calcaire. La fertirrigation peut être accompagnée d'une fertilisation classique et complétée par des apports au sol ou foliaires.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :