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Pied de cuve Les astuces d'un expert

GRÉGORY PASQUIER - La vigne - n°266 - juillet 2014 - page 44

Alain Poulard, de l'IFV pôle Val de Loire, travaille depuis longtemps sur les pieds de cuve. Il connaît les astuces pour les mettre en oeuvre et sécuriser ainsi les fermentations alcooliques. Voici ses conseils.
ALAIN POULARD, DE L'IFV : « Les pieds de cuve permettent d'apporter rapidement des levures fermentaires en activité à un moût, avant qu'il puisse être contaminé par des bactéries ou des levures indésirables. » © M. BALUE/GFA

ALAIN POULARD, DE L'IFV : « Les pieds de cuve permettent d'apporter rapidement des levures fermentaires en activité à un moût, avant qu'il puisse être contaminé par des bactéries ou des levures indésirables. » © M. BALUE/GFA

Avec la mode du « sans intrant », certains viticulteurs délaissent les fermentations avec des levures sélectionnées au profit des fermentations alcooliques (FA) spontanées. Cependant, celles-ci ne sont pas sans risques. L'utilisation de pieds de cuve avec des levures indigènes permet de les minimiser.

« Ils apportent rapidement au moût des levures fermentaires en activité avant que celui-ci puisse être contaminé par des bactéries ou des levures indésirables », décrit Alain Poulard, de l'IFV pôle Val de Loire. La mise en oeuvre des pieds de cuve n'est pas nouvelle mais il est « possible d'utiliser les techniques modernes et les connaissances actuelles pour ne plus faire des pieds de cuve à la papa ! », assure cet expert.

1. Récoltez des raisins huit jours à l'avance

Pour réaliser un bon pied de cuve, il faut « récolter des raisins sains dans les parcelles les plus précoces, huit jours avant la date estimée des vendanges », précise Alain Poulard. Ce temps permet aux levures indigènes de se développer pour être en pleine activité et en nombre suffisant lorsque le pied de cuve sera incorporé au moût.

Mais certains pieds de cuves peuvent mettre du temps à entrer en fermentation. « Avant les vendanges 2012, la pluviométrie était importante dans le Val de Loire. Les levures présentes sur la pellicule avaient été lessivées, ese souvient Alain Poulard. Lors d'essais que nous avons menés cette année-là, les pieds de cuve ont parfois mis plus de dix jours pour bien fermenter. »

En pratique, il est bien difficile de prévoir le temps que cela prendra. Si le pied de cuve tarde à fermenter, il faudra conserver la cuve à ensemencer au froid en attendant.

2. Préférez les levains liquides

Alain Poulard préfère réaliser des pieds de cuve liquides qui s'incorporent mieux au moût que les levains en phase solide (raisins entiers). Pour cela, il faut presser les raisins. Mais, en pratique, comment fait-on, sachant que le volume de pied de cuve doit représenter « 3 à 5 % du volume de la cuve à ensemencer » ? La quantité de raisin à presser est donc faible. Les pressoirs pneumatiques le permettent. Mais toutes les exploitations viticoles n'en sont pas forcément équipées.

Dans ce cas, il est toujours possible de faire le levain en phase solide, notamment pour les rouges, ou de presser une plus grande quantité de raisin. Une partie du jus peut alors servir au pied de cuve et le reste est conservé à basse température jusqu'au moment où il sera assemblé à un autre moût ou utilisé pour alimenter le pied de cuve tout au long des vendanges.

3. Ne débourbez pas le moût

« Il faut éviter les débourbages car on veut conserver les nutriments et la biomasse », prévient Alain Poulard. Donc pas de collage, seulement un sulfitage du jus à 3 g/hl, pour sélectionner les levures et « éviter les souches indésirables et les levures apiculées ». Il explique qu'il n'est pas obligatoire de faire le pied de cuve dans une cuve particulière.

4. Maintenez la température entre 24 et 26 °C

« Si nécessaire, il faut réajuster le pied de cuve en azote à 180-200 mg/l », indique l'expert. Ensuite, il faut que le levain parte vite en fermentation. Pour cela, Alain Poulard conseille de le porter à une température entre 24 et 26°C. « Il faut éviter d'atteindre 30°C pour ne pas accélérer la mortalité des levures », ajoute-t-il. Au deuxième et au troisième jour de la FA, il faut apporter de l'oxygène. « Il faut oxygéner soit par remontage soit avec une céramique en injectant deux fois 4 mg/l d'oxygène », précise-t-il. Le suivi des densités et températures se fait tous les jours, comme pour une cuve classique.

5. À 1030, votre levain est prêt

« Lorsque le jus se trouve environ à 1030, on est sûr d'avoir essentiellement des Saccharomyces cerevisiæ », assure Alain Poulard. C'est le meilleur moment pour incorporer le pied de cuve au moût. Mais au cours des vendanges, ce timing est parfois difficile à respecter. Comment faire pour incorporer le pied de cuve au bon moment ? « 1030, c'est un ordre d'idée. Le viticulteur peut se fixer une fourchette entre 1045 et 1030. Cela lui laisse le temps d'agir », tempère Alain Poulard. Il ajoute qu'à ces densités, le pied de cuve renferme entre 107 et 108 levures par millilitre (10 millions et 100 millions, NDLR). Et si l'on voit que la fermentation progresse trop rapidement, il est toujours possible de refroidir un peu le levain.

Alain Poulard conseille de déguster le pied de cuve avant de l'incorporer. « Il faut vérifier qu'il n'y a pas de défaut pour ne pas déprécier la cuve. » En complément, il est également possible de réaliser un dosage d'acidité volatile pour vérifier qu'il n'y a pas de déviations microbiologiques.

La cuve à ensemencer, rajustée en azote si nécessaire, peut être sulfitée entre 3 et 5 g/hl. « On envoie généralement le pied de cuve par le bas de la cuve à ensemencer », raconte l'expert. Il indique qu'au bout de 24 heures, il commence déjà à y avoir un dégagement de gaz carbonique car, en ensemençant « 5 % du volume avec un levain renfermant une population de levure de 107 à 108 cellules par millilitre, on atteint environ 106 cellules/ml dans la cuve, ce qui permet un démarrage rapide de la FA », détaille Alain Poulard.

Meilleurs que les FA spontanées

Lors d'essais menés en 2012 et 2013, l'IFV pôle Bordeaux-Aquitaine a montré que des cuves ensemencées par un pied de cuve partent en fermentation plus rapidement que par fermentation spontanée. Cette technique réduit donc le temps de latence après l'encuvage, qui peut être propice au développement de levures indésirables. La durée des FA est également plus courte. La fermentation est généralement complète, ce qui n'est pas toujours le cas des fermentations spontanées. Mais les premiers résultats obtenus par l'IVF ne montrent pas de différences significatives au niveau analytique ou sensoriel entre les vins, à la fin des FA. L'IFV a également prouvé que lorsque le pied de cuve est sulfité à 3 g/hl, celui-ci renferme plus de Saccharomyces cerevisiæ qu'en l'absence de sulfitage. Il y a donc moins de risque d'ensemencer la cuve avec des levures de contamination. Enfin, lorsque le pied de cuve est tenu à une température élevée (maximum 24°C dans les essais), cela favorise la prolifération des Saccharomyces cerevisiæ et accélère la fermentation.

La cytométrie en flux suit les levures

Depuis deux ans, le laboratoire Gresser, à Andlau (Bas-Rhin), utilise la cytométrie en flux pour suivre l'activité des levures dans des pieds de cuve. « En fonction du nombre de Saccharomyces cerevisiæ et de leur état physiologique, on peut indiquer au viticulteur le bon moment pour inoculer sa cuve et dans quelle proportion », explique Stéphane Gresser, gérant du laboratoire. En effet, si la population levurienne est faible, il conseille au viticulteur d'apporter un volume de pied de cuve plus important que si elle est dense. « La cytométrie en flux est une technique encore confidentielle et très peu démocratisée », assure-t-il. Son laboratoire a acheté un appareil de ce type en 2008. « Il permet de déterminer le nombre, la structure, la taille et la physiologie des levures. On peut même différencier les Saccharomyces cerevisiae des levures apiculées », décrit-il. Ces informations sont intéressantes pour savoir si les Saccharomyces cerevisiæ se sont bien implantées dans un moût, contrôler leur évolution au cours de la FA et même appréhender un éventuel arrêt de fermentation. Cette analyse est plus rapide qu'un dénombrement sur boîte de Pétri, puisque les résultats sont obtenus en quelques minutes, et moins chère qu'une PCR quantitative (25 euros au laboratoire Gresser).

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