Qu'est-ce que c'est ?
L'éthanal, ou acétaldéhyde, est une molécule volatile de la famille des aldéhydes. « Les vins en contiennent toujours des traces », explique Nicolas Vivas, directeur du centre de recherche Demptos. Il peut y être présent à des concentrations allant de quelques milligrammes par litre à 150 mg/l. C'est la principale molécule associée au défaut d'évent.
« Son odeur est très chimique, elle se rapproche de la pomme », précise Adrien Debaud, oenologue consultant du groupe ICV. Mais c'est une pomme un peu particulière puisque plusieurs descripteurs lui sont accolés, au gré des dégustateurs : « verte », « pelée », « coupée », « flétrie » ou encore « au four ». Son seuil de perception dépend du type de vin. Il est proche de 40 à 45 mg/l d'éthanal libre.
S'associe-t-il avec le SO2 ?
Oui. C'est même la principale molécule qui combine le SO2. On considère que 1 mg d'éthanal combine 1,5 mg de SO2. Cette combinaison est totale en 5 heures à un pH de 3,3 selon le traité d'oenologie. Lorsqu'il est combiné au SO2, l'éthanal n'a pas d'odeur. Dans un vin contenant du SO2 libre, la présence d'éthanal libre est supposée impossible.
Quand se forme-t-il ?
Soit pendant la fermentation alcoolique, soit durant l'élevage. Les levures Saccharomyces cerevisiae en produisent lors de la première étape de la transformation du sucre en alcool, que l'on appelle la glycolyse. Pendant l'élevage, lorsqu'on apporte de l'air au vin, « l'éthanol subit une oxydation couplée », indique Nicolas Vivas. Les polyphénols du vin transforment l'oxygène en peroxyde d'hydrogène. Ce dernier oxyde alors l'éthanol en éthanal. Mais la quantité d'éthanal formée durant cette phase est plus faible que celle produite par les levures. Elle est généralement inférieure à 20 mg/l.
Comment évolue-t-il au cours de la fermentation alcoolique ?
« Les levures produisent de l'éthanal jusqu'à mi-fermentation, où la concentration atteint un pic. Puis elles en consomment une partie », décrit Adrien Debaud. Au cours de la FA certaines souches de S. cerevisiae produisent plus de 100 mg/l d'éthanal. Mais la plupart en produisent moins puis « en consomment 20 à 30 mg/l, si bien qu'en fin de fermentation, les vins renferment en moyenne 40 à 50 mg/l d'éthanal », ajoute-t-il.
Et au cours de la fermentation malolactique ?
nococcus oeni consomme l'éthanal libre ou combiné au SO2. « Elle le transforme en éthanol », relève Christian Sapin, directeur de l'ICV Vallon-Pont-d'Arc (Ardèche). L'ICV a montré que cette bactérie lactique peut dégrader jusqu'à 120 mg/l d'éthanal.
Mais cette dégradation est retardée de sept à dix jours par rapport à celle de l'acide malique. « Si le risque microbiologique est maîtrisé, il faut donc attendre quelques jours après la fin de la malo pour sulfiter afin d'obtenir une réduction de la teneur en éthanal dans les vins. Par la suite, le SO2 combinera moins », assure Adrien Debaud.
De quoi dépend la production d'éthanal par les levures ?
Surtout du niveau de SO2 ajouté au moût. « Plus un moût est sulfité, plus les levures produisent de l'éthanal », signale Adrien Debaut. L'ICV a montré qu'un ajout de 3 g/hl de SO2 à un moût de chardonnay entraîne une augmentation de 20 mg/l d'éthanal après la FA par rapport à un moût non sulfité.
L'autre facteur est la souche de levures. « Toutes les levures produisent de l'éthanal, mais certaines en produisent plus que d'autres », nuance Christian Sapin. Elles en consomment également plus ou moins.
Quel est l'impact de la composition du moût ?
« Les travaux concernant le pH du moût, sa composition azotée ainsi que la température de fermentation sont contradictoires », regrette Adrien Debaud. Il semblerait quand même que les moûts acides, pauvres en azote et les FA froides favorisent la production d'éthanal par les levures. « D'après des essais que nous avons menés, les apports d'oxygène durant la FA, l'ajout d'acide ascorbique ou la turbidité (de 100 à 250 NTU) n'ont pas d'effet sur les teneurs en éthanal après la fermentation alcoolique », expose-t-il.
Qu'est-ce qui favorise son apparition pendant l'élevage ?
Toutes les opérations qui aèrent le vin. Cependant, « pour que l'éthanal se forme par oxydation chimique, il est nécessaire d'avoir des traces de métaux dans le vin, comme du cuivre ou du fer », spécifie Nicolas Vivas. Par ailleurs, deux éléments vont accélérer la formation d'éthanal : une température et surtout un pH élevés. « La formation d'éthanal est plus importante lorsque le pH est élevé », confirme Nicolas Vivas. Le chercheur a montré qu'en apportant une même quantité d'oxygène, un vin rouge à pH 4 forme près de deux fois plus d'éthanal qu'un vin à pH 3 après cent jours.
Quel impact a-t-il sur les composés phénoliques ?
L'éthanal est l'un des pivots de la stabilisation de la couleur et de l'assouplissement des vins au cours de l'élevage. Il permet de former des liaisons, appelées pont éthyle, entre deux molécules de tanins, deux molécules d'anthocyane ou entre une molécule de tanin et une d'anthocyane. Lorsqu'il condense des tanins, il assouplit les vins. Les petits tanins étant plus astringents que les gros, lorsqu'il condense des anthocyanes, il forme des grosses molécules colorées plus stables que les anthocyanes libres.
Y a-t-il des moyens d'en éliminer une partie dans les vins ?
Pour l'éthanal combiné, non. Pour la fraction libre, qui est odorante, oui. Les barbottages à l'azote sont une solution pour faire disparaître l'éthanal libre. « Par exemple, si un vin atteint 5 mg/l d'éthanal libre après FA, un barbottage avec une céramique à 3 bars pendant trois à dix secondes par hectolitre sur un vin à 20°C peut l'éliminer », décrit Christian Sapin. L'effet du barbottage s'observe en quelques heures. Cependant, il faut bien le raisonner, car il peut aussi éliminer une partie des arômes thiolés des vins.
« Nous avons également essayé de rajouter du bois, différents types de tanins, des lies fraîches, des levures sèches inactivées ou du glutathion. Mais aux doses réglementaires, aucun de ces intrants n'a permis de réduire les niveaux d'éthanal », complète Adrien Debaud.
Peut-on raisonner le sulfitage par rapport aux teneurs en éthanal ?
Oui. L'ICV a mis au point un calculateur qui permet, en connaissant le niveau d'éthanal, d'ajuster le sulfitage. « Prenons l'exemple d'un vin blanc à pH 3,5 avec un degré alcoolique de 13 % vol. dont le SO2 libre est inférieur à 10 mg/l, propose Christian Sapin. Si on mesure un niveau d'éthanal de 30 mg/l, le calculateur nous indique qu'il faut sulfiter à 1,5 g/hl pour atteindre 20 mg/l de SO2 libre. Si on mesure 40 mg/l d'éthanal, il faut apporter 2,5 g/hl de SO2. » Pour lui, il faudrait connaître la teneur en éthanal total avant tout sulfitage. L'ICV utilise une méthode enzymatique pour le mesurer.
Nicolas Vivas suit l'éthanal durant l'élevage « de façon indirecte, en mesurant le pourcentage de bleu dans la couleur ». En effet, les combinaisons formées entre les tanins et les anthocyanes par l'intermédiaire de l'éthanal ont une couleur rouge aux nuances bleues. « Le pourcentage de bleu augmente donc avec la polymérisation des tanins et des anthocyanes par l'éthanal », précise-t-il.