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VENDRE - Interview

MICHEL CHAPOUTIER, nouveau président de l'UMVIN « Le malthusianisme de la production nous mène dans le mur »

PROPOS RECUEILLIS PAR AURÉLIA AUTEXIER - La vigne - n°266 - juillet 2014 - page 62

Préférant le parler franc au politiquement correct, le président du négoce juge la production trop frileuse sur les rendements et les plantations. Il en appelle à une véritable cogestion entre producteurs et négociants.

Michel Chapoutier, PDG de la maison éponyme à Tain-l'Hermitage (Drôme), a pris, en mars, la présidence de l'Union des maisons et marques du vin, le syndicat des négociants. Il dresse une analyse critique, voire alarmiste, de la politique viticole actuelle, dirigée, selon lui, par la production.

En douze ans, la France viticole a reculé de 14 % en surface et de 22 % en volume, constat que vous déplorez. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Michel Chapoutier : Nous sommes dans une logique de gestion des volumes produits, et donc commercialisés, entièrement sous le contrôle de la production. C'est une spécificité française et viticole. Dans d'autres secteurs agricoles, les négociants sont représentés au sein de l'ODG.

Dans le vin, il n'en est pas question. Chaque fois que le négoce donne des recommandations de production, il s'entend dire « Mêlez-vous de vos affaires... ». Mais justement, on s'en mêle ! Les négociants sont les premiers à faire remonter les demandes du marché. La filière gagnerait à être cogérée. Au lieu de cela, la production est seule à décider des volumes produits. Elle mène une politique malthusienne qui consiste à créer artificiellement un manque de vin pour bénéficier d'une hausse des cours.

Mais au final, ce type de stratégie conduit toujours à la crise avec, à la clé, un effondrement des prix. Cette politique nous mène dans le mur.

Comment une politique malthusienne de raréfaction des volumes peut-elle engendrer une crise de surproduction ?

M. C. : La surproduction est la conséquence d'une sous-consommation. À force de peser sur les volumes mis en marché pour augmenter les prix, ces derniers finissent par passer des seuils fatidiques.

Au départ, les hausses de prix sont indolores pour le consommateur. Sans compter que, parfois, les négociants jouent aussi sur leur marge pour absorber une partie des hausses. Mais petit à petit, ou en cas d'augmentation brutale du prix, il arrive un moment où le produit n'est plus en phase avec le marché. La sanction ne se fait pas attendre : on perd le marché.

L'exemple typique est le déréférencement en grande distribution. À un niveau plus global, l'accumulation de pertes de marchés fait que votre offre se retrouve trop importante par rapport à la demande qui a baissé. Au final, il y a surproduction et donc baisse du prix...

Cette stratégie de la production n'est-elle pas la conséquence de l'incapacité des négociants à vendre à des prix rémunérateurs pour les viticulteurs ?

M. C. : Quand on parle de fixation de prix d'un vin, beaucoup pensent qu'il s'agit de négociations de marchands de tapis. Ce n'est pas aussi simple.

Il y a des ratios économiques et marketing qu'il faut prendre en compte. Quand on arrive au point de rupture et qu'on perd un marché, c'est toujours au profit d'un concurrent. Lui reprendre le marché est bien difficile par la suite...

Comme avec le muscadet après le gel de 1991 : l'appellation n'a jamais pu regagner sa place au Royaume-Uni, même après avoir retrouvé ses prix antérieurs. Aujourd'hui, nos plus grands concurrents ne viennent pas du Nouveau Monde, mais d'Espagne et d'Italie. Ils ne suivent pas la même politique malthusienne que nous et en bénéficient pleinement en nous prenant des marchés, comme ceux des moûts concentrés et des vins de base, par exemple.

L'UMVin prône une réorientation des aides à l'export vers les entreprises en croissance - c'est-à-dire déjà installées - et une formation des primo exportateurs. Pourquoi ?

M. C. : Tous ceux qui en ont l'expérience, le savent : exporter coûte cher. L'export ne doit pas être le déversoir de ce que l'on n'arrive pas à vendre en France. Une bouteille de vin commercialisée à l'export doit forcément l'être à un prix supérieur à celui pratiqué sur le marché national.

Cela paraît évident. Pourtant, j'ai vu des vignerons proposer des vins de belles qualités sur des salons étrangers à des prix défiant toute concurrence. Ils agissaient ainsi par méconnaissance de leurs coûts commerciaux à l'export. Au final, ce type d'erreur coûte cher à toute une filière.

En vallée du Rhône, l'interprofession a mis en place des formations pour les primo ou néo exportateurs. Il s'agit d'apprendre à ceux qui n'ont pas l'expérience des marchés internationaux, ou qui débutent, comment raisonner leurs prix de vente sur ces marchés.

Concernant les vins sans indicatios géographique (VSIG), que pouvez-vous imaginer pour rassurer les producteurs des zones mixtes qui craignent de voir leurs marchés d'IGP ou d'AOC déséquilibrés par des volumes produits sur des parcelles plantées en VSIG ?

M. C. : Aujourd'hui, il existe des méthodes agronomiques de taille et d'irrigation qui pourraient permettre à des producteurs de produire 200 hl/ha sur des parcelles plantées à 1 000 pieds par hectares. Avec une telle densité, les contrôles seraient faciles à opérer.

Ces vins, commercialisés avec un bon marketing, pourraient répondre à une demande de consommateurs plutôt jeunes, peu connaisseurs et en recherche de vin de marque.

Malheureusement, en France, nous avons encore un train de retard. Ce mode de production est considéré ici comme celui des anciens vins de table, des vins de « crève-la-faim ». La production s'en méfie. On délaisse donc ces marchés à nos concurrents italiens ou espagnols. C'est une erreur. D'autant que, pour des jeunes agriculteurs, cette production de VSIG peut garantir un revenu.

Si un jeune produit 5 ha de VSIG dans les bonnes conditions agronomiques, il s'assure entre 40 000 et 50 000 euros de chiffre d'affaires. C'est souvent le point d'équilibre de l'exploitation. Il peut alors mieux se consacrer à sa production d'AOC.

L'engagement de la production vers les VSIG passe par la contractualisation. Or, les négociants sont peu enclins à s'engager sur des niveaux de prix à moyen terme...

M. C. : On ne peut pas demander aux négociants de s'engager sur des fourchettes de prix s'ils courent le risque de subir des cours spéculatifs ! Aujourd'hui, la production a la mainmise sur le robinet des volumes. Nous demandons la mise en place d'une véritable cogestion de la filière entre producteurs et négociants. C'est la seule solution pour mener une vraie politique qui sert toute la filière.

Que proposez-vous ?

M. C. : Il faut distinguer deux types de missions au sein des ODG. Celle qui a trait à la garantie de la qualité et de l'origine. Ce volet est de la compétence de la production (cahier des charges, fixation du rendement butoir, etc.).

En revanche, lorsqu'il s'agit de fixer le volume commercialisable chaque année à partir du rendement qualitatif annuel et des éventuelles réserves, on rentre dans la gestion économique. Même chose pour la gestion des plantations. Ces sujets doivent relever de la compétence des interprofessions.

Pour parvenir à cette nouvelle organisation de la politique viticole, il faudrait une modification du code rural.

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