LA BODEGA SALDUNGARAY A ÉTÉ FONDÉE PAR LES PARENTS DE FACUNDO PARRA. Ses quatre frères et soeurs y travaillent aussi. La production est surtout commercialisée à Bahía Blanca, la grande ville la plus proche, à 100 km au sud. PHOTOS : A. MONTOYA
MATÍAS LUCAS, DE CORDON BLANCO, exploite 4 ha à Tandil et espère en planter six de plus. Son but : produire un vin de qualité, sur une terre riche en quartz. Il doit protéger les vignes avec des filets, à cause des oiseaux.
LE CHAI DE LA BODEGA SALDUNGARAY a une capacité de 2 000 hl, dont 70 % sont des cuves en ciment recouvertes d'époxy, et le reste en inox. Il produit 500 hl par an.
LE PREMIER OENOLOGUE D'AL ESTE a été l'Italien Alberto Antonini : personne à Mendoza, d'où viennent en général les consultants, ne savait au juste comment faire du vin avec une influence maritime.
MÉDANOS, OÙ SE SITUE AL ESTE BODEGA Y VIÑEDOS, SIGNIFIE "DUNES". C'est sous le sable qu'ont été construites la salle de dégustation (ci-dessus) et la cave.
« Faire du vin près de l'Atlantique, dans une zone pluvieuse et au niveau de la mer ? Vous n'y pensez pas ! » C'est ce qu'on a dit aux producteurs de la province de Buenos Aires quand ils ont manifesté leur intention de planter des vignes au sud de la capitale de l'Argentine. Très loin de Mendoza, le vignoble majeur du pays.
« Chez nous règne l'idée qu'il est impossible de faire du vin de qualité ailleurs que dans une zone aride, loin de la mer et en altitude, comme au pied de la cordillère des Andes », explique Facundo Parra. Sa bodega Saldungaray est située dans la région de Sierra de la Ventana, à 500 km au sud de la ville de Buenos Aires, dans la province du même nom.
Dans les années 1930, une loi a interdit la viticulture dans toute autre province que Mendoza, San Juan, La Rioja ou Salta. « La province de Buenos Aires produisait alors moins de 5 000 hl », précise Humberto Chini, délégué régional de l'Institut national de vitiviniculture (INV). Autant dire, presque rien. Il n'empêche : les quelques vignes ont été arrachées. Il aura fallu attendre la levée de l'interdiction et les années 2000 pour y voir renaître cette activité.
En 1999, Daniel Di Nucci est le premier à replanter de la vigne dans cette province, avec 1,5 ha au milieu des dunes, à Médanos, à 40 km de l'océan et 600 km au sud de Buenos Aires. Le résultat est si concluant qu'en 2003, il plante 23 ha de plus et construit son chai, d'une capacité de 1 650 hl de cuverie en inox. Il crée l'entreprise Al Este Bodega y Viñedos.
Comme les régions de Narbonne ou d'Auckland. Francisco Di Nucci se souvient que lorsque son père a parlé de son projet, « les gens de Mendoza le traitaient de fou. Mais mon père ne voulait pas en démordre. Il savait qu'il y avait beaucoup de vignobles ici au début du siècle dernier. Et puis, notre région lui faisait penser à celle de Narbonne ». Il a bien fait de persister. En 2009, son chardonnay remporte une médaille d'argent au concours de la revue Decanter.
La province de Buenos Aires a élaboré quelque 1 240 hl de vin en 2013. Elle compte 100 ha plantés et six chais : Saldungaray, Al Este, Cerro Colorado, Ita-Malal, plus un chai à Tandil et le dernier à Chapadmalal.
« Notre projet a commencé en 2009, avec 11 ha, lorsque l'oenologue de Trapiche, Daniel Pi, s'est rendu compte que le climat à Chapadmalal ressemblait à celui d'Auckland, en Nouvelle-Zélande, résume Ezequiel Ortego, oenologue de cette nouvelle exploitation qui n'a pas encore de nom commercial. En 2012, nous avons vinifié la première récolte à la bodega de Trapiche, à Mendoza. Et en 2013, 45 000 bouteilles sont sorties de notre tout nouveau chai, l'idée étant de doubler sa capacité, qui est de 1 000 hl actuellement. » Chapadmalal, à 8 km de la station balnéaire de Mar del Plata, dispose d'un atout majeur : le tourisme.
Les exploitations installées dans les régions de Sierra de la Ventana et de Tandil misent sur le même débouché. Elles sont assez proches de Buenos Aires pour que ses habitants y passent de courtes vacances. « Tandil est une région connue pour sa charcuterie et ses fromages ; le vin est donc un complément idéal de ces mets », observe Andrés Blazina. Son minuscule chai ne produit encore que 20 hl. Mais il est le premier, dans cette ville, à avoir été enregistré auprès de l'INV, en 2013. Et il se vante d'être situé dans une des formations montagneuses les plus vieilles du monde, datée de deux milliards d'années.
Installée à Sierra de la Ventana, la bodega Saldungaray a des dimensions plus classiques, avec 20 ha de vignes en production. « En quatre jours, nous recevons parfois 1 500 personnes », se réjouit Facundo Parra, le propriétaire de cette bodega qui produit le premier vin mousseux de la province. L'exploitation inclut aussi un restaurant et une fabrique de confitures. Les trois premières années, toute la production de vin s'est vendue au sein même de la bodega.
Une route du vin est en cours d'élaboration. « Le problème, c'est qu'elle serait très longue : il faudrait quatre jours pour visiter quatre caves ! », regrette Francisco Di Nucci. En attendant, les producteurs ont déjà institué une fête provinciale des vendanges, en mars, faisant écho à la fête nationale organisée tous les ans à Mendoza.
Un terroir très différent de Mendoza. Tous, en tout cas, veulent trouver l'âme de leur terroir, très différent d'un vignoble à l'autre. À Tandil, avec une pluviométrie de 700 mm, il n'est pas nécessaire d'arroser, mais Saldungaray ou Al Este ont dû s'y résoudre. « Nous ne voulons pas faire un vin quelconque », affirme Matías Lucas, de CordónBlanco, qui exploite quatre hectares à Tandil et n'a pas encore commercialisé ses 3 000 bouteilles qui circulent surtout grâce aux blogs oenologiques.
« Le vent intense et la fraîcheur de notre région (avec parfois des gelées tardives) donnent des vins frais et fruités, souligne Facundo Parra. Nous ne voulons ni ne pouvons être en compétition avec Mendoza et ses vins à la robe très intense. Le terroir, ici, exprime autre chose. »
Tous espèrent l'installation de nouvelles exploitations. « Plus il y a aura de bodegas et plus la région sera prise en compte sur la carte vitivinicole du pays », soutient Francisco Di Nucci. Humberto Chini, le délégué de l'INV, estime qu'il faudra pour cela être « très prudent » en raison de l'application massive d'herbicides dans une région envahie par la culture de soja transgénique. Les vignes pourraient être victimes d'embruns phytotoxiques.
Des vins de Vitis labrusca
La province de Buenos Aires a une autre caractéristique : à Berisso et Avellaneda (respectivement à 7 et 55 km de Buenos Aires), 26 producteurs produisent du vin de manière artisanale, suivant une tradition « datant de plusieurs siècles », affirme Humberto Chini. Problème : ils l'élaborent à partir de Vitis labrusca et non de Vitis vinifera, comme l'exige la loi. L'an dernier, l'INV a décidé de faire une exception et de les inscrire comme exploitants. Une telle dérogation avait déjà été établie pour les vins de Colonia Caroya, à Córdoba (lire « La Vigne » de mars 2013). Les 26 producteurs concernés, qui exploitent 25 ha au total, ne pourront cependant pas s'étendre sans autorisation ni exporter leur production.