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AU COEUR DU MÉTIER

« Nous n'avons jamais cessé d'investir »

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°267 - septembre 2014 - page 28

À CERS, DANS L'HÉRAULT, Marc Robert a restructuré l'exploitation familiale pour réduire les coûts et développé l'irrigation pour sécuriser les rendements. Sa coopérative a amélioré la valorisation des vins. Il voit l'avenir sereinement.
À LA STATION DE FERTIRRIGATION, MARC ROBERT apporte une solution nutritive avec son buggy. PHOTOS : P. PARROT

À LA STATION DE FERTIRRIGATION, MARC ROBERT apporte une solution nutritive avec son buggy. PHOTOS : P. PARROT

LES JEUNES VIGNES IRRIGUÉES sécurisent les volumes, particulièrement en cette année de fort déficit hydrique.

LES JEUNES VIGNES IRRIGUÉES sécurisent les volumes, particulièrement en cette année de fort déficit hydrique.

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LA CUMA DES GRANGETTES, dont Marc Robert est adhérent, a acquis une minipelle pour installer les tuyaux d'irrigation dans les vignes. (Ici avec lui, de gauche à droite, François Garcia, Christian Cantagrill, René Andrieu et Adrien Pribille.)  ©  P. PARROT

LA CUMA DES GRANGETTES, dont Marc Robert est adhérent, a acquis une minipelle pour installer les tuyaux d'irrigation dans les vignes. (Ici avec lui, de gauche à droite, François Garcia, Christian Cantagrill, René Andrieu et Adrien Pribille.) © P. PARROT

À LA COOPÉRATIVE ALMA CERSIUS, le président est fier de faire déguster toutes les cuvées.

À LA COOPÉRATIVE ALMA CERSIUS, le président est fier de faire déguster toutes les cuvées.

« Entre 2003 et 2005, notre chiffre d'affaires a chuté de moitié. La situation ne s'est vraiment améliorée qu'en 2010. Durant toutes ces années, j'ai conservé une petite rémunération, mais il a fallu resserrer tous les boulons », raconte Marc Robert, 49 ans, vigneron à Cers, dans l'Hérault, et adhérent de la coopérative Alma Cersius.

Malgré cela, c'est au creux de la vague, en 2005, qu'il a décidé de racheter 18 hectares avec son père et son oncle. Le prix était élevé pour de vieilles vignes en gobelet. Mais c'était l'occasion de constituer un îlot de 33 hectares en regroupant ces parcelles avec celles qu'ils avaient déjà sur ce site. Les trois vignerons, associés en Gaec, n'avaient pas les fonds. « Le banquier nous a fait confiance. Il nous a prêté car il connaît notre capacité de travail. C'est notre capital ! », relève Marc.

Durant neuf ans, ils ont replanté trois à quatre hectares par an, en réalisant eux-mêmes tous les chantiers. « Les primes du plan collectif de reconversion qualitative différée nous ont bien aidés. Sans elles, nous n'aurions pas pu financer les achats de plants et de matériel », souligne-t-il. Aujourd'hui, les parcelles de cet îlot font en moyenne trois hectares, ce qui facilite le travail. Les trois vignerons y ont équipé 18 hectares avec l'irrigation au goutte-à-goutte, pour sécuriser les rendements.

« C'est dans les moments difficiles qu'il faut aller de l'avant », affirme Marc. Déjà, en 1987, il s'était installé en pleine crise. La distillation obligatoire des volumes produits au-delà de 90 hl/ha venait d'être instaurée au niveau européen. « Les acomptes avaient été revus à la baisse. Les coopérateurs qui avaient de gros rendements avaient dû rapporter leur chèque à la coopérative », se souvient-il.

Marc a rejoint son père et son oncle au sein du Gaec de Laguillou qui cultivait alors 33 hectares de vignes. « L'avenir était incertain. Notre modèle basé sur les gros rendements était à bout de souffle. Mais j'étais convaincu, avec d'autres, que le Languedoc avait un potentiel qualitatif. »

1987 est aussi l'année de création des vins de Pays d'Oc. « Nous nous sommes développés avec eux sur le marché des vins de cépage. Nous avons commencé par planter des blancs, chardonnay et sauvignon, car les prix de vente étaient très attractifs, puis des rouges, merlot, syrah et cabernet-sauvignon », détaille-t-il. Les achats de parcelles et les replantations se sont enchaînés. « Avec sept, huit ou neuf hectares de plantiers à mener chaque année, en plus des vignes en production, nous n'avions pas le temps de penser aux difficultés. Le travail remplissait bien les journées », évoque Marc.

Aujourd'hui, l'exploitation regroupe 72 ha de vignes, avec 40 % de cépages blancs. « Il ne nous reste plus que quelques vieilles vignes de carignan. Ce printemps, je viens de planter 3,2 ha de marselan, un cépage qui intéresse les acheteurs d'IGP Pays d'Oc. Et en 2015, je vais remettre du cinsault pour les rosés. »

Les parcelles ont été regroupées et agrandies. Désormais, tout est planté à 2,5 m de large. « Le même tracteur et le même outil passent partout. Nous n'avons plus besoin d'atteler et de dételer, c'est un gain de temps. » Par exemple, avec son pulvérisateur pneumatique équipé d'une cuve de 1 700 l, Marc peut traiter dix-sept hectares d'affilée en une demi-journée. Pour disposer d'une large palette d'outils à un coût accessible, il s'est également engagé dans deux Cuma.

Tout cela lui a permis de réduire les coûts et d'améliorer la productivité. Son oncle étant décédé et son père à la retraite, il a dû se réorganiser. « Sur 33 ha, en 1987, nous étions trois plus un saisonnier. Aujourd'hui, sur 72 ha, nous faisons encore tout à trois - les deux permanents et moi - avec deux ou trois saisonniers. »

La prochaine étape sera de simplifier la taille. « Je teste la taille rase par une entreprise depuis quatre ans sur 1,6 ha de cabernet-sauvignon. Il ne reste que quinze heures de travail à la main par hectare contre 80 heures précédemment. » Le coût est ainsi réduit de 1 000 euros à 450 euros par hectare. Les premières années, le rendement de cette parcelle est monté à 120 hl/ha. Puis la vigne s'est régulée autour de 90 hl/ha. « Dans mes jeunes plantations, je vais conduire du sauvignon, du chenançon et du marselan en taille rase. Mon objectif est d'arriver à dix ou quinze hectares. »

La surface irriguée est actuellement de 30 ha. L'eau, distribuée par la société du Bas-Rhône-Languedoc, coûte 90 €/ha pour un apport moyen de 300 m3/ha. Marc pratique la fertirrigation. Après la floraison, il apporte de l'azote avec l'eau, puis de la potasse à l'approche de la véraison. Pour entretenir la fertilité, il épand également des engrais organiques au sol durant l'hiver.

Ces jeunes vignes irriguées sécurisent les volumes. Cette année, avec un déficit hydrique qui a atteint 60 % au printemps, Marc observe une nette différence avec celles qui ne sont pas irriguées. « J'ai 25 ha qui souffrent, avec une végétation peu développée. Leur rendement risque d'être divisé par deux. J'espère pouvoir les irriguer aussi dans les années à venir. » Son objectif n'est pas de doubler les rendements, mais de les sécuriser autour de 90 hl/ha. « À la coopérative, nous avons pris une option qualité depuis longtemps, et il n'est pas question d'en changer ! » insiste-t-il.

Toutes ses vignes sont palissées avec une ou deux paires de fils releveurs en fonction de la vigueur. « Avant la récolte, le technicien de la cave vient les classer en cinq catégories. Pour être payé au meilleur prix, je dois avoir un mètre carré de surface foliaire par kilo de raisin, explique Marc. Je n'y parviens pas tous les ans. L'an dernier, certaines parcelles ont produit plus que prévu. La surface foliaire n'était pas suffisante. Les raisins m'ont été payés dans la catégorie inférieure. »

Des vins mieux valorisés. En 2005, la cave a décidé de se lancer dans la vente en bouteilles. Afin d'affiner le classement des parcelles, elle a introduit la dégustation des baies avant les vendanges. « Pour le chardonnay, par exemple, elle distingue cinq profils aromatiques, qui correspondent à autant de marchés différents. » Ces profils ne conditionnent pas le prix versé par la coopérative, mais déterminent les jours d'apport de la vendange.

Ce travail de sélection commence à payer. En 2005, la cave commercialisait tous ses vins en vrac. Aujourd'hui, elle vend près de deux millions de cols. Pour dénommer ses cuvées, elle a su faire preuve d'imagination : « In vino erotico », « Les pieds dans l'eau » ou « Les yeux dans les étoiles » ont séduit les consommateurs. Et pour le vrac, elle a trouvé des partenariats valorisés. « Nous avons multiplié le nombre de cuvées pour répondre à la demande », note Marc, qui est devenu président de la cave en 2012. Quand il s'est installé, il ne connaissait que le vin de la buvette. Aujourd'hui, il est fier de faire déguster toute la gamme des vins de la coopérative. « Nous avons des retours très positifs des habitants de nos trois villages (Alma Cersius est issu de la fusion des coopératives de Cers, Portiragnes et Villeneuve-lès-Béziers, NDLR) qui sont nos premiers commerciaux pour développer la vente directe », observe-t-il.

Tous ces efforts ont permis d'améliorer la rémunération des adhérents. Le produit net moyen est ainsi remonté de 2 080 €/ha en 2005 à 4 440 €/ha en 2011. Pour continuer à progresser, la coopérative a lancé une nouvelle cuvée haut de gamme. Marc y a engagé une parcelle de cabernet-sauvignon située sur des argiles rouges riches en galets. « La surface foliaire doit monter à 1,2 m2 pour un kilo de raisin. Pour y parvenir, il faut parfois faire tomber des grappes », précise-t-il.

Pour la première année, la cave a élaboré 4 200 cols, proposés à quinze euros pièce. Un mois après les avoir mis en vente, elle en avait déjà écoulé le tiers. « Nous n'avons pas fini d'explorer le potentiel qualité de nos terroirs ! », affirme Marc, qui envisage l'avenir avec confiance. « Ma fille vient de finir ses études d'oenologue. Elle a commencé à travailler sur l'exploitation, et elle pense à s'installer. »

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

L'achat de 18 hectares en pleine crise lui a permis de constituer un îlot qu'il a entièrement replanté avec son père et son oncle. Avec ces vignes jeunes et irriguées, ils ont sécurisé une partie de leurs volumes.

Sur ces parcelles restructurées, ils ont gagné du temps qu'ils ont investi dans les nouvelles plantations, l'installation du palissage et de l'irrigation, et l'entretien des plantiers.

En adhérant à deux Cuma, ils ont élargi la palette d'outils qu'ils peuvent utiliser tout en maîtrisant leurs coûts de mécanisation.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS

Marc ne replantera plus de vignes sur des terres séchantes sans les irriguer. Il estime que l'eau devient indispensable pour sécuriser l'investissement. La répartition des pluies change au fil des années, et le déficit hydrique s'accroît. Cette année, les vignes ont souffert dans ces petites terres où le rendement risque d'être divisé par deux.

SA STRATÉGIE ÉCONOMIQUE « Nous gagnons à travailler ensemble »

« En coopérative, en fusionnant avec les caves de Portiragnes et de Villeneuve-lès-Béziers pour porter notre volume à 75 000 hl, nous avons pu améliorer notre équipement tout en conservant des frais de vinification inférieurs à 11 €/hl. Pourquoi ne pas faire la même chose avec le matériel d'exploitation ? », s'est demandé Marc. Cette réflexion l'a amené à adhérer à deux Cuma. « Pour les plantations, nous avons en commun un enfonce-pieu et un dérouleur-enrouleur de fil, très utiles pour mettre en place les palissages. Et avec une minipelle, nous pouvons installer nous-mêmes les tuyaux qui amènent l'eau aux parcelles. Ce dernier outil vaut 23 000 €. Seul je ne l'aurais jamais acheté », détaille-t-il. Il utilise aussi une machine à vendanger en Cuma. « En 2013, en la faisant travailler sur 120 ha, la récolte ne nous est revenue qu'à 113 €/ha », note-t-il. À sept, au sein d'une section irrigation, les vignerons ont également pu mener à bien une extension de réseau sur 25 ha. « En nous regroupant, nous avons bénéficié d'une aide de 40 % du conseil général de l'Hérault. »

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L'exploitation

- Surface : 72 ha, dont 64 ha de vignes en production, 7,5 ha de plantiers et 0,5 ha d'oliviers ;

- Treize cépages : 40 % de surface en blancs ;

- Densité : 4 000 pieds par hectare ;

- Taille : Guyot simple, cordon de Royat et taille rase ;

- Main-d'oeuvre : Marc, deux permanents et deux ou trois saisonniers ;

- Rendement moyen 2013 : 89 hl/ha.

L'essentiel de l'offre

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