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VIGNE

La chirurgie au secours des ceps atteints d'esca

ADÈLE ARNAUD - La vigne - n°267 - septembre 2014 - page 32

Dans le Centre-Loire, le curetage des ceps s'impose comme solution curative contre l'esca. L'opération consiste à ouvrir les troncs à la tronçonneuse pour les vider de leur amadou, ce bois spongieux qui les empoisonne.
AVEC L'EXPÉRIENCE, FRANÇOIS DAL identifie rapidement le bois mort par simple observation du tronc. © PHOTOS : A. ARNAUD

AVEC L'EXPÉRIENCE, FRANÇOIS DAL identifie rapidement le bois mort par simple observation du tronc. © PHOTOS : A. ARNAUD

L'ERREUR LA PLUS FRÉQUENTE EST D'OUBLIER UNE PETITE ZONE D'AMADOU. François Dal conseille « d'ouvrir le cep en largeur et en longueur si l'on constate que la zone contaminée s'étend sur une grande partie ».

L'ERREUR LA PLUS FRÉQUENTE EST D'OUBLIER UNE PETITE ZONE D'AMADOU. François Dal conseille « d'ouvrir le cep en largeur et en longueur si l'on constate que la zone contaminée s'étend sur une grande partie ».

LE CURETAGE PEUT PARAÎTRE RADICAL mais il doit être envisagé comme une opération chirurgicale dont l'objectif est de sortir le mal. Souvent, l'amadou se trouve au niveau de la tête du cep.

LE CURETAGE PEUT PARAÎTRE RADICAL mais il doit être envisagé comme une opération chirurgicale dont l'objectif est de sortir le mal. Souvent, l'amadou se trouve au niveau de la tête du cep.

Dans la lutte contre l'esca, le curetage des ceps semble faire ses preuves. À l'occasion de la Journée Tech & Bio organisée par le lycée viticole d'Amboise (Indre-et-Loire), le 10 juillet dernier, François Dal, conseiller en viticulture au Sicavac (Service interprofessionnel de conseil agronomique, de vinification et d'analyse du Centre), a réalisé une démonstration. « La Vigne » était sur place.

Le curetage consiste à supprimer le bois contaminé qui se développe au sein des souches. D'un premier abord, le procédé peut paraître radical mais il doit être envisagé comme une opération chirurgicale qui a pour objectif de débarrasser la souche de sa partie malade. François Dal assure « que cela n'est pas du tout traumatisant pour le cep. Au contraire, il retrouve de la vigueur dès l'année d'après ». Les résultats sont même très concluants. La Sicavac réalise des essais depuis deux ans. Selon ses premiers relevés, le taux de réussite dépasserait les 90 % : sur dix pieds curetés, plus de neuf ne montrent plus de symptômes d'esca l'année suivante. François Dal souligne toutefois qu'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives de ces observations.

Enlever l'origine du mal

« L'idée fondamentale est d'enlever l'origine du mal, c'est-à-dire l'amadou, sans toucher au bois vivant », explique le technicien. Selon ses observations, « l'amadou semble avoir une influence très significative sur la forme lente de l'esca. Plus il y en a, plus une souche exprime de symptômes. Ce n'est pas étonnant car l'amadou contient les champignons responsables de la maladie ».

Mais ce bois spongieux, révélateur de l'esca, n'est pas apparent. Il se cache sous du bois mort mais intègre. Pour le mettre à jour, François Dal se penche sur le tronc des ceps malades afin de repérer la zone de bois mort. La tâche est assez facile. Le technicien reconnaît le bois mort à sa couleur foncée, grisâtre, alors que les parties vivantes sont d'un brun plus clair. Sur les ceps conduits en cordon de Royat, une autre observation le guide. Il a remarqué que souvent le bois vivant se situe sur les parties basses des bras puis longe le tronc de part et d'autre de la souche. Les souches n'ont pas besoin d'être écorcées pour que ces signes soient visibles.

Le technicien conseille à ceux qui veulent se lancer « d'entailler très légèrement la surface du bois ». Il est alors très facile de visualiser la différence entre le bois vivant, qui est vert en surface puis blanc crème un peu plus en profondeur, et le bois mort, qui est brun. Il préconise aussi « de démarrer l'incision au niveau de la tête du cep, en haut du tronc, et lorsqu'il y a deux bras, entre ces deux bras. Selon mes observations, dans 60 % des cas, c'est ici que se trouve le bois contaminé. Avec l'habitude, l'identification du bois mort devient évidente à la simple observation des troncs ».

Ouvrir largement le tronc

Une fois la zone repérée, François Dal s'arme de sa tronçonneuse. Il attaque le bois mort avec la pointe de la lame, tout en restant à une distance d'environ 1,5 cm du bois vivant afin de ne pas rompre le courant de sève. Puis il ouvre le tronc en réalisant deux entailles qui se rejoignent vers le centre du tronc. Il souligne pourtant que « parfois, il est nécessaire d'attaquer une partie de bois vivant. Dans ce cas, on détruit du bois, mais on sort le mal ». Il n'hésite pas à ouvrir largement le tronc afin d'être certain de trouver l'amadou. « À un moment, la lame pénètre bien plus facilement dans la souche. On sait alors que l'on a atteint la zone contaminée. »

À ceux qui démarrent, le technicien suggère « de commencer par des pieds de gros diamètre. Pour les jeunes vignes, il faut déjà être un peu expérimenté pour ne pas compromettre la circulation de la sève ».

Extraire tout l'amadou

Une fois l'origine du mal mise à nue, François Dal s'applique à l'éliminer avec sa tronçonneuse. Il racle le bois de préférence avec le côté de la lame. Mais en fonction de la profondeur de l'amadou et de la configuration de la souche, cela n'est pas toujours possible. Pour pénétrer dans les secteurs étroits, il doit se servir de la pointe de la lame.

Lors de la démonstration du 10 juillet, François Dal a cureté trois souches. En fonction des souches, le bois spongieux occupait un espace plus ou moins volumineux. Sur la première, l'amadou s'étendait de la tête du pied jusqu'à mi-hauteur du tronc. François Dal a donc cureté l'ensemble de cette zone. Pour la deuxième, seul un petit secteur de bois malade demandait à être cureté. Pour la troisième, en revanche, c'est tout le tronc, de la tête au pied, qui a dû être ouvert puis cureté en profondeur. La quasi-totalité du bois était contaminée.

François Dal insiste : « Il ne faut pas hésiter à ouvrir le cep en largeur et en longueur si l'on constate que l'amadou s'étend sur une grande partie. L'erreur la plus fréquente est d'oublier une petite zone d'amadou. Dans ce cas, si la souche réexprime des symptômes l'année d'après, il ne faut pas hésiter à réaliser un nouveau curetage. »

Après curetage, le sol se trouve recouvert de bois contaminé posant la question de la dissémination de la maladie. Pour François Dal, il n'y a pas de risque car « les champignons responsables de l'esca sont vite dégradés par les conditions du milieu (air, ensoleillement) et par d'autres champignons très présents dans le sol ».

Un travail assez long

En fonction du cépage, de l'âge et de la contamination de la souche, le curetage dure entre 30 secondes et plusieurs minutes. Une personne expérimentée, nettoie ainsi 100 à 150 souches par jour. Selon les cas, cette tâche peut donc prendre beaucoup de temps. François Dal souligne que « ce sont les premières années qui demandent beaucoup de travail. Ensuite, il y a de moins en moins de ceps malades ».

Il semblerait également que plus le curetage est réalisé tôt en saison, meilleure est la reprise. Il est donc conseillé d'intervenir dès l'apparition des premiers symptômes, en juin ou juillet. La récolte de l'année peut alors être sauvée et le cep aoûte correctement. Pour une question d'organisation, les souches peuvent aussi être marquées puis curetées en hiver, lors de périodes plus calmes. Des essais menés par la Sicavac montrent qu'il est tout aussi efficace à cette période.

Un matériel adapté

Plus le guide de la tronçonneuse est petit, plus elle est adaptée au curetage car l'utilisateur gagne en précision. Pour le reste, chacun choisira ! Les tronçonneuses thermiques, pesant entre 5 et 6 kg, sont vendues à un prix proche de 400 euros. Les tronçonneuses électriques, plus légères et moins bruyantes, sont aussi plus coûteuses. Il faut compter environ 1 800 euros pour un modèle de 2 kg avec batterie. François Dal, technicien au Sicavac, conseille d'affûter la lame tous les cent pieds environ. Pour sa part, il utilise un modèle électrique de chez Pellenc présentant une lame de 17 cm.

Le pionnier du curetage

Joël Cirotte cure ses ceps depuis maintenant treize ans sur son exploitation de Bué (Cher), une commune de l'appellation Sancerre. L'idée lui est venue lorsqu'il a appris que pour lutter contre les maladies du bois, certains Charentais fendaient les souches et y positionnaient un caillou pour aérer l'intérieur des ceps. « Je me suis dit que l'air élimine le mal et que l'extraire totalement de la souche pouvait être une solution. L'idée de cureter les souches malades à la tronçonneuse s'est alors imposée. » À ce jour, Joël Cirotte affirme qu'entre 98 et 99 % des souches curetées sont sauvées. « Au début, personne ne prenait ça au sérieux, mais aujourd'hui, on entend le bruit des tronçonneuses dans toute l'appellation Sancerre », constate-t-il. Sur ses dix hectares de vignes, dont six de sauvignon, Joël Cirotte passe environ une journée par semaine au curetage entre juillet et septembre. Il insiste sur « la nécessité de commencer dès le début de la saison car il est impensable d'accomplir tout le travail en fin de campagne. De plus, pour les cépages à bois dur comme le pinot noir, il est essentiel d'intervenir dès les premiers symptômes pour avoir un résultat ». Le curetage prend donc du temps mais « quand je prends en compte le coût d'une complantation, entre la plantation, l'entretien et la perte de récolte sur plusieurs années, je m'y retrouve. Réalisé tôt, on sauve même la récolte de l'année car, après un curetage en juin et juillet, les entre-coeurs repartent et certaines feuilles pourtant sénescentes reverdissent ». Il soutient qu'« après les vendanges, la tarière tourne très peu sur mon exploitation ». Il convient que cette technique « n'est pas la panacée et qu'elle ne remplacera pas le futur produit que nous attendons tous mais lorsqu'on aime ses vignes, le courage ne manque pas. À la sueur de notre front, nous arriverons à les sauver ».

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