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VIN

Vins de presse La méthode douce

ADÈLE ARNAUD - La vigne - n°267 - septembre 2014 - page 40

De bons vins de presse permettent d'élaborer des rouges fins et puissants. Voici les clés pour en obtenir, la première étant de faire preuve de patience et de douceur durant les fermentations.
UNE EXTRACTION DOUCE est préconisée pour obtenir des vins de presse de qualité. © R. WATIER

UNE EXTRACTION DOUCE est préconisée pour obtenir des vins de presse de qualité. © R. WATIER

Pour certains oenologues, élaborer un grand vin rime encore avec une extraction élevée. Émilien Delalande n'est pas l'un eux. Il constate que ce type de vinification conduit à un lessivage du marc trop important. Les vins de presse sont alors de piètre qualité. Œnologue-conseil au laboratoire Médeville, situé à Pauillac (Médoc), il affiche pour objectif de « réaliser des presses de grande qualité ». Avant tout, il rappelle que « leur qualité dépend du millésime. Plus la maturité est élevée, plus on a de chances d'obtenir de bons vins de presse. A contrario, plus le millésime est faible et plus il sera difficile d'intégrer les presses au vin de goutte ».

1. Favoriser l'extraction par diffusion

Denis Dubourdieu, oenologue et professeur à l'Institut des sciences de la vigne et du vin de Villenave-d'Ornon (Gironde), ajoute : « La qualité d'un vin de presse dépend beaucoup de la conduite de la macération ». En effet, les remontages, pigeages ou délestages jouent un grand rôle dans la diffusion vers le jus des composés phénoliques contenus dans la pellicule et les pépins. Plus ces opérations seront nombreuses et intenses et plus l'extraction sera élevée, au risque de dépouiller le marc.

Denis Dubourdieu cherche « à favoriser l'extraction naturelle par simple diffusion. L'objectif est alors de renouveler simplement le jus qui se situe au niveau du chapeau de marc. Si l'on considère que le chapeau de marc occupe environ un tiers de la cuve et que, dans ce chapeau, 50 % du volume est occupé par du jus, renouveler quotidiennement un sixième du volume de la cuve est suffisant ».

Pour des vendanges de bonne maturité, il considère qu' « il est possible d'aller jusqu'à remonter un tiers du volume de la cuve par jour en début de fermentation mais il faudra ensuite ralentir avec l'augmentation de la teneur en alcool, car ce dernier est le principal facteur d'extraction de la matière polyphénolique ». Dans le même objectif, il relate « avoir tendance à arrêter toutes opérations mécaniques à une densité proche de 1 000 ».

Éric Boissenot, oenologue-conseil à Pauillac, a toujours privilégié les extractions douces. Pour lui, les vins de presse doivent apporter force et structure aux assemblages. Il souligne que « notre expérience des parcelles dicte notre conduite. Il est possible d'extraire un peu plus sur les raisins de grande qualité ».

Dans le cas de macérations longues, Denis Dubourdieu préconise de ne plus toucher au marc après la fermentation alcoolique. « Pour éviter le développement d'organismes de contamination, il est préférable de saturer la cuve en CO2 plutôt que de mouiller le chapeau », conseille-t-il. En cas de réduction, il convient d'aérer par remontage environ 20 % du volume de la cuve « mais la réintégration du vin devra se faire en dessous du chapeau de marc, en enfonçant bien le tuyau jusqu'à la phase liquide ».

2. Maîtriser la température du marc

La température de macération est un autre paramètre qui influence fortement l'extraction. Plus elle est élevée, plus les composés du marc se diffusent dans le vin.

Or, durant la fermentation, le chapeau de marc peut facilement atteindre 35°C. Pour Denis Dubourdieu, c'est trop chaud. « Il n'est pas nécessaire que le chapeau dépasse 30°C. C'est la raison pour laquelle je préconise une fermentation à 25°C. Au moment des remontages, l'apport de ce jus plus frais sur le chapeau permet de le maintenir à la température souhaitée. »

3. Fractionner les pressées

Durant le décuvage, il faut acheminer le marc jusqu'au pressoir en évitant de le dilacérer. Un tapis à bande est préférable à la pompe à vendange. Durant le pressurage, Denis Dubourdieu conseille « d'opter pour une montée en pression lente et régulière et d'arrêter à 1 bar maximum ». Pour l'oenologue, « il est essentiel de séparer les différentes pressées en lots ». Émilien Delalande affirme lui aussi « la nécessité de segmenter au maximum les lots de presse afin de se constituer un choix pour les assemblages ».

Les pressoirs pneumatiques conviennent bien au fractionnement des jus mais Émilien Delalande constate que « les pressoirs verticaux sont eux aussi très bien adaptés ». Avec ces appareils, la pressée se réalise en une seule fois, sans rebêchage et à faible pression. Les vins s'écoulent en traversant le marc qui fait office de filtre. Ils sont peu bourbeux.

Souvent, les pressées les plus qualitatives sont recueillies à faible pression. Émilien Delalande le constate. « Les premiers jus sont chargés mais qualitatifs alors que la troisième presse est assez végétale. Si elle se révèle trop asséchante, elle est vendue en vrac. »

Mais cette règle n'est pas absolue. « Nous ne savons jamais où se trouve la meilleure presse, observe Denis Dubourdieu. Nous choisissons les presses en fonction de ce que nous voulons apporter au vin de goutte,explique Éric Boissenot. S'il faut de l'astringence, il peut m'arriver d'utiliser des vins de troisième pressée, dès lors que les tanins restent qualitatifs. »

Dans le Bordelais, on estime que les vins de presse représentent environ 15 % du volume d'une cuve. Un pourcentage qu'il vaut mieux valoriser que vendre au rabais, ce qui est possible dès lors qu'ils ne sont pas décharnés, asséchants ou végétaux. Ils renforcent alors la structure des assemblages. Ils apportent aussi des colloïdes et des polysaccharides qui développent le gras et l'ampleur en bouche. Les vins sont alors plus complets, plus aptes au vieillissement.

Collage et enzymage pour une mise au propre rapide

Avant un élevage long en barrique, Éric Boissenot et Denis Dubourdieu ne préconisent pas de clarifier les vins de presse. Selon ces deux oenologues, un ou deux soutirages durant l'élevage suffisent pour les clarifier. Mais lorsqu'il faut intégrer rapidement les presses aux vins de goutte, Christophe Veyssière, oenologue conseil pour l'Oenocentre de Soussac (Gironde), préconise « une mise au propre afin d'améliorer l'efficacité du SO2 et de réduire les populations d'organismes de contaminations ». Il recommande de « réaliser en premier lieu un enzymage pectolytique suivi d'un collage à la bentonite simple ou associée à de la PVPP ou à des protéines végétales. Les vins peuvent alors être filtrés sans risque de colmatage et être intégrés au vin de goutte sans risque d'altérer sa stabilité ». Des travaux menés par Sarco confirment l'intérêt de coller et d'enzymer les presses dès la sortie du pressoir. Ce laboratoire du groupe Laffort a ainsi traité des deuxièmes et troisièmes presses. Il a fortement réduit les populations de Brettanomyces et de bactéries de ces vins qui étaient bien plus chargés en germes que les vins de goutte. Sarco a testé plusieurs colles. La Polymust AF, combinant PVPP, bentonite et colle de poisson, a donné les meilleurs résultats en termes de stabilisation de la matière colorante et de gommage de l'astringence et des notes métalliques.

Le Point de vue de

LAURENT FOUNIER, RESPONSABLE DU DOMAINE JEAN FOURNIER, À MARSANNAY (CÔTE-D'OR)

« En diminuant les pigeages, nous retrouvons des presses bien meilleures »

« Pour moi, les presses font partie du vin. Elles apportent structure et force à mes gouttes », relate Laurent Fournier, du Domaine Jean Fournier, à Marsannay (Côte-d'Or). Ce domaine réputé de Bourgogne a depuis plusieurs années changé de philosophie dans l'élaboration de ses vins. Comme le souligne Laurent Fournier: « On a longtemps confondu extraction et concentration alors que la différence est claire : la concentration nous la trouvons à la vigne, alors que l'extraction est une pratique oenologique. Un travail plus poussé à la vigne a permis d'améliorer la qualité de la matière première et en cave, suite aux dégustations durant la cuvaison, les choix se sont imposés d'eux-mêmes ». Il a diminué la fréquence de ses pigeages, passant de deux à un par jour. Il a aussi arrêté d'en faire en cours de fermentation. « Il n'y a pas de recette précise mais, à environ 1 040 ou 1 030 de densité, j'arrête de piger pour passer à un remontage d'environ 20 % du volume de mes cuves. En fonction de mon ressenti, car je pense que l'instinct du vigneron prend une part très importante dans la vinification, je remonte le volume de jus en une seule fois ou en deux temps. Nous retrouvons des presses bien meilleures depuis que nous avons opté pour ce type de vinification. » Une fois les cuves écoulées, les marcs sont acheminés jusqu'à un pressoir pneumatique où la pression ne dépasse que rarement 1 bar. « Je conduis mes pressurages en fonction de la dégustation et de mon feeling vis-à-vis des caractéristiques de la cuve », précise Laurent Fournier. Les presses sont ensuite élevées en barriques « afin d'optimiser l'oxygénation et de réduire l'astringence » avant d'être assemblées avec le vin de goutte. En règle générale, Laurent Fournier ne réalise pas de traitements de clarification sur ses vins de presse mais « je ne suis pas contre non plus lors de millésimes difficiles ».

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