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VIN

Fermentation Les levures indigènes maîtrisées

ADÈLE ARNAUD - La vigne - n°267 - septembre 2014 - page 42

Ensemencer ses cuves avec un levain indigène, c'est possible. Deux laboratoires spécialisés dans la sélection de levures autochtones expliquent comment ils procèdent.
LES ÉCHANTILLONS DE MOÛTS prélevés sont mis en culture. © MICROFLORA

LES ÉCHANTILLONS DE MOÛTS prélevés sont mis en culture. © MICROFLORA

Les souches sont ensuite évaluées par microvinifications dans un milieu synthétique représentatif du type de moût pour lequel la souche est sélectionnée.  © MICROFLORA

Les souches sont ensuite évaluées par microvinifications dans un milieu synthétique représentatif du type de moût pour lequel la souche est sélectionnée. © MICROFLORA

Née de l'association entre un microbiologiste et un maître de chai, la société Biocépage, basée à Saint-Herblain (Loire-Atlantique), est spécialisée dans la sélection de levures indigènes. Pour Antoine Pouponneau, un des deux associés, le travail commence au vignoble. « Il est préférable de récupérer les souches sur le raisin car beaucoup de caves utilisent des levures industrielles, explique-t-il. Ces dernières pourraient contaminer la sélection. Nous cueillons donc environ 5 kg de raisin que nous pressons, puis nous laissons le moût partir en fermentation spontanée dans notre laboratoire ». Au cours de la fermentation, Antoine Pouponneau isole les souches présentes à 1 070, 1 030 et 1 000 de densité « afin d'identifier les prises de relais ». Puis il les met en culture et les identifie par PCR. En moyenne, il dénombre dix à douze souches de Saccharomyces différentes par lot de raisin.

Plusieurs critères étudiés. La cellule de transfert de technologie de l'ISVV Microflora, basé à Villenave-d'Ornon (Gironde), propose également cette prestation. Mais elle procède différemment. « En général, nous prélevons du moût en cours de fermentation sur au moins trois cuves, à trois périodes de la campagne de vinification. Il s'agit évidemment de départs spontanés en fermentation issus de levures indigènes », indique Rémi Laforgue, ingénieur oenologue pour le laboratoire.

Les échantillons sont mis en culture sur milieu gélosé afin de récupérer la biomasse de levures. De cette population, dix à vingt clones sont prélevés. Une analyse par biologie moléculaire (étude de l'ADN) permet alors de les identifier au niveau de l'espèce, puis de la souche, pour ensuite les comparer à la gamme de LSA couramment utilisées à la propriété afin d'éliminer d'éventuelles souches commerciales.

Une fois l'étude de diversité des souches de Saccharomyces cerevisiae terminée, l'étape de sélection proprement dite démarre. À ce stade, les méthodes des deux laboratoires se rejoignent. La capacité fermentaire des souches isolées est évaluée par microvinifications d'un milieu synthétique représentatif du type de moût pour lequel la souche est sélectionnée. Plusieurs critères sont étudiés tels que le rendement sucres/alcool, la production de composés indésirables (AV, SO2, caractère POF-...) et les besoins en azote. Les capacités fermentaires des souches sélectionnées sont comparées à celles des souches commerciales.

Suivi sensoriel. Les souches les moins performantes sont éliminées. Les plus prometteuses, elles, sont testées par microvinifications sur des moûts du domaine conservés par congélation. Une analyse sensorielle est bien sûr réalisée en fin de fermentation.

À l'issue de cette sélection, Biocépage présente en moyenne trois à quatre levures à ses clients, chacune pouvant correspondre à des profils de vins différents. Des souches prêtes à servir in situ aux vendanges à venir. Elles se présentent sous la forme d'une crème de levure, c'est-à-dire un levain liquide. Certains levains sont constitués de deux à trois souches différentes, testées pour leur capacité à travailler ensemble. Par exemple, une souche bien adaptée au départ en fermentation peut être associée à une autre capable de bien dégrader les derniers sucres. D'autres levains ne comportent qu'une souche.

Antoine Pouponneau explique que « dans la plupart des cas, la sélection prend une année mais, parfois, certains clients souhaitent que l'on poursuive la sélection dans le temps. Pour nous, c'est idéal. Nous pouvons aller jusqu'à trois ans afin d'obtenir une plus grande diversité ».

Pour Microflora, la plupart du temps, cette étude est réalisée deux années de suite afin de voir si les souches sélectionnées se retrouvent d'un millésime à l'autre et sont donc représentatives du terroir.

Rémi Laforgue explique toutefois que personne ne peut garantir de trouver une souche intéressante à chaque sélection. « Nous travaillons avec la nature et la diversité, donc nous ne pouvons pas maîtriser les choix qui s'offrent à nous », relate-t-il. En cas d'échec, le travail de sélection est tout de même facturé au client mais pas celui de production.

Dès le départ de la sélection, les deux sociétés assurent signer avec leur client un contrat de confidentialité qui garantit une production exclusive pour le vigneron. Conservée dans une collection fermée, la crème de levure pourra être fournie sous forme pâteuse à chaque nouvelle vendange.

Tout ce travail de recherche, de sélection et de production a un prix. Microflora annonce un coût variant entre 5 000 et 10 000 euros en fonction des nombres de cuves suivies, d'individus analysés et de souches retenues pour les tests au laboratoire ainsi que pour les productions de levain. Biocépage n'a souhaité avancer que le prix de la recherche et de la sélection. Il l'évalue à environ 4 000 euros.

Les conditions de la diversité

« Pour optimiser les chances de succès, nous préférons travailler avec des personnes qui respectent le vivant », affirme Alain Pouponneau, du laboratoire Biocépage. Au cours de ses travaux, il a en effet remarqué que « moins le domaine utilise de produits de synthèse et plus il y a de diversité levurienne ». Quelques jours avant la récolte, une baie de raisin abrite entre 103 et 105 levures à sa surface. Le climat joue un rôle primordial aussi bien dans la quantité que dans la diversité de ces populations. Les situations chaudes en cours de maturation favorisent l'abondance et la variété des levures indigènes. En revanche, les traitements insecticides et certains fongicides peuvent contribuer à leur raréfaction.

Le vent en poupe

Surfant sur la tendance du retour à la nature et au terroir, la sélection privée de levures est en expansion. Comme l'indique Julie Maupeu, du laboratoire Microflora, « c'est un sujet dont tout le monde parle. Notre laboratoire a déjà travaillé pour une vingtaine de clients privés ou bien dans le cadre de projets de recherche en France et à l'étranger. Cette année, nous allons tester au chai un peu moins d'une dizaine de levures, notamment dans le cadre du projet Levain bio ».

Depuis 2012, année de sa création, Biocépage compte une petite dizaine de clients dits « historiques » qui utilisent déjà les levures sélectionnées par le laboratoire. L'entreprise a vu son chiffre d'affaires progresser de 35 % les deux dernières années grâce à de nouvelles demandes de sélection.

Le Point de vue de

ALEXIS CORNU, OENOLOGUE ET DIRECTEUR TECHNIQUE VINS ET VIGNOBLES, ORTAS CAVE DE RASTEAU (VAUCLUSE)

« C'est une marque d'originalité pour nos vins »

La cave coopérative de Rasteau possède, en plus des 700 ha cultivés par une centaine d'adhérents, le domaine de Pisan. Pour faire fermenter les sept hectares de cette propriété, Alexis Cornu, oenologue de la cave, a sélectionné avec Biocépage trois souches différentes de levures indigènes. « Nous souhaitons mettre en valeur ce terroir de marnes argilo-calcaires surmontées de galets roulés et de cailloutis. Nous avons engagé cette démarche il y a deux ans. C'est une marque d'originalité pour nos vins. Nous la mettons en avant auprès de notre clientèle. Ces souches de levures nous sont propres, à la Cave de Rasteau et à l'appellation. Elles sont donc uniques et c'est un élément différenciateur pour nous. D'un point de vue technique, l'utilisation de la crème de levure est très simple. Nous la conservons au frais puis l'intégrons à un pied de cuve. Moins de vingt-quatre heures après, nous ensemençons le moût. Les trois souches sélectionnées se révèlent tout aussi performantes que des LSA sur les critères d'implantation, de cinétique fermentaire, de faible production d'acidité volatile et d'absence de sucres résiduels. Sensoriellement, c'est prometteur. Il y a une certaine complexité aromatique en même temps qu'une belle netteté. En bouche, je trouve qu'il y a du fond et une certaine sapidité très agréable. »

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