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VIN - POUR APPROFONDIR

L'astringence Une sensation tactile

ADÈLE ARNAUD - La vigne - n°267 - septembre 2014 - page 50

Râpeux, soyeux, souples... Ces adjectifs sont souvent utilisés pour décrire les tanins du vin, responsables de l'astringence. Voici ce qu'il faut savoir pour agir sur cette sensation tactile essentielle dans l'équilibre d'un vin rouge.
 © P. ROY

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Les tanins, ici colorés en orange, migrent dans les parois cellulaires de la pellicule entre le stade fermeture de la grappe (A) et la récolte (B). Ces clichés, tirés de la thèse de Soizic Lacampagne « Localisation et caractérisation des tanins dans la pellicule de raisin », illustrent bien ce phénomène.

Les tanins, ici colorés en orange, migrent dans les parois cellulaires de la pellicule entre le stade fermeture de la grappe (A) et la récolte (B). Ces clichés, tirés de la thèse de Soizic Lacampagne « Localisation et caractérisation des tanins dans la pellicule de raisin », illustrent bien ce phénomène.

Au moment de déguster, l'astringence est un critère de choix, autant pour les professionnels que pour les particuliers. © P. ROY

Au moment de déguster, l'astringence est un critère de choix, autant pour les professionnels que pour les particuliers. © P. ROY

Qu'est-ce que l'astringence ?

L'American Society for Testing and Materials définit l'astringence comme « l'ensemble des sensations de rétrécissement, d'étirement ou de plissement de la muqueuse de la cavité buccale ». C'est donc une sensation tactile en bouche. Le dégustateur perçoit de la sécheresse, de la rugosité ou un manque de lubrification. Cette sensation gustative est très importante dans l'équilibre des vins rouges. Lorsqu'elle est trop présente, le vin devient agressif, désagréable à la dégustation. Insuffisante, elle révèle un manque de structure et de mâche qui déséquilibre le vin. L'astringence est toujours perçue après avoir avalé ou recraché le vin. Elle est souvent confondue avec l'amertume.

Quelles sont les molécules responsables ?

L'astringence résulte de la réaction des tanins avec des protéines de la salive et de la paroi buccale : les protéines riches en proline (PRP). En 2013, les chercheurs de l'Inra, de l'Université Paris-Sud, du CNRS et du Synchrotron ont, pour la première fois, localisé le site d'interaction d'un tanin sur une PRP. L'étape suivante sera de déterminer si l'astringence est liée à la précipitation de protéines et de tanins sur la paroi buccale ou à la fixation directe sur le film salivaire des tanins en excès par rapport à la quantité de protéines piégeuses.

Tous les tanins sont-ils également astringents ?

Non. Des travaux menés par l'Inra et l'Australian Wine Research Institute (AWRI) ont montré que plus les tanins sont polymérisés, c'est-à-dire gros, plus ils sont astringents. Stéphane Vidal, responsable de ces travaux, ajoute que « plus les tanins sont gros et plus l'astringence est perçue négativement. Les tanins sont alors décrits comme rugueux ». C'est au cours de la maturation que le degré de polymérisation des tanins augmente. Ils forment alors les tanins condensés capables de réagir avec les protéines salivaires.

Mais la structure moléculaire des tanins joue également un rôle. L'oenologie moderne regroupe ces substances en quatre grandes familles : la catéchine, l'épicatéchine, l'épicatéchine gallate et l'épigallocatéchine. L'étude de l'Inra et de l'AWRI a révélé que l'épicatéchine est plus amère et plus astringente que la catéchine. Par ailleurs, les tanins contenant de l'épicatéchine sont toujours plus astringents que ceux qui n'en contiennent pas. Les travaux de Stéphane Vidal montrent également que le taux de galloylation (estérification par l'acide gallique) renforce l'astringence. « C'est pourquoi les tanins des pépins, souvent plus galloylés que ceux de la pellicule, sont plus astringents », souligne-t-il.

Comment évolue-t-elle au cours de la macération ?

Elle augmente progressivement car l'alcool est le principal facteur d'extraction des tanins. On explique ainsi que les macérations courtes diminuent le potentiel astringent d'un vin. À l'inverse, les longues macérations augmentent la diffusion des tanins. Elles donnent donc des vins plus astringents.

Comment agir durant la vinification ?

D'abord par la température. L'extraction des tanins est optimale entre 30 et 35°C. Les macérations finales à chaud sont donc un moyen de renforcer la structure d'un vin. Il est toutefois plus commun de conduire les fermentations à moins de 30°C, afin de ne pas trop handicaper l'activité des levures, déjà mise à rude épreuve par la présence d'alcool. En dessous de 25°C, en revanche, l'extraction des tanins est plus lente.

Les techniques permettant de renouveler le jus au niveau du chapeau de marc sont un autre moyen d'agir sur l'extraction des tanins. En effet, la diffusion d'un composé dans un milieu dépend de sa concentration dans ce milieu. Sans renouvellement du jus au contact du marc, celui-ci est vite saturé en tanins. Ces composés ne peuvent plus diffuser depuis les peaux et les pépins. Apportant du jus frais, chaque remontage, pigeage ou délestage relance leur extraction.

Enfin, d'autres techniques qui permettent d'intensifier l'astringence d'un vin peuvent être citées. Il s'agit de la saignée de 10 à 30 % maximum du jus à l'encuvage, le non-éraflage, la macération sulfitique, l'assemblage avec le vin de presse et le tanisage.

Dépend-elle uniquement de la teneur en tanins ?

Non. Le vin est une matrice complexe qui comprend plusieurs composés sensoriels tels que les sucres, les acides, les polysaccharides et l'alcool. Des travaux conduits par l'université de Naples (Italie) montrent que tous ces éléments agissent sur la perception de l'astringence.

Une acidité élevée semble renforcer la sensation d'astringence d'un vin. En effet, un milieu acide a tendance à faire précipiter les protéines de la salive, renforçant ainsi la liaison avec les tanins.

À l'inverse, l'alcool tend à diminuer la sensation d'astringence car il modifie les liaisons hydrogènes entre protéines et polyphénols. Il en est de même pour le sucre. En revanche, des concentrations élevées en alcool semblent renforcer l'amertume.

Quant aux polysaccharides, ils ont la pro-priété de s'associer aux tanins, limitant ainsi leur réaction avec les protéines. C'est pourquoi un élevage sur lies, qui favorise la libération de mannoprotéines dans le vin, tend à diminuer la dureté tannique.

Quelle est son évolution dans le vin ?

L'astringence a tendance à diminuer avec le temps. « Au cours de l'élevage, le degré de polymérisation des tanins baisse par hydrolyse acide. Ceci conduit à une diminution dans le temps de la sensation d'astringence », explique Stéphane Vidal. L'oxygène joue aussi un rôle important en permettant la combinaison entre tanins et anthocyanes. Ces composés peuvent aboutir à des molécules instables qui précipitent. Il en résulte alors une diminution de la concentration en tanins et donc de l'astringence. C'est pourquoi l'élevage en barrique et la micro-oxygénation sont utilisés pour, entre autres, moduler l'astringence d'un vin. La qualité du bouchon et sa capacité à laisser passer l'oxygène dans le vin sont des facteurs à prendre en compte lors du vieillissement en bouteille.

Comment la mesure-t-on ?

Il est possible de doser les tanins mais les résultats de ces analyses ne sont pas toujours corrélés avec la perception de l'astringence à la dégustation. Les travaux les plus actuels sont menés par Alessandra Rinaldi, de l'université de Naples, qui est à l'origine de l'indice de protéine salivaire (IPS). Ce test repose sur le dosage des protéines d'un échantillon de salive avant et après réaction avec le vin. La chercheuse l'a comparé à l'indice de gélatine et à l'indice d'éthanol, tous deux considérés comme des moyens de doser les tanins, donc l'astringence. L'IPS s'avère être le seul de ces tests correctement corrélé avec la notation de l'astringence par des dégustateurs. « Nous réalisons un mélange de la salive de plusieurs personnes afin de se rapprocher le plus possible d'une salive standard. Puis, nous y ajoutons le vin à tester », explique Virginie Moine, directrice du secteur recherche et développement chez Laffort, la société qui a financé la thèse d'Alessandra Rinaldi. À ce jour, Laffort propose une échelle de 1 (très souple) à 5 (très astringent) selon la quantité de protéines précipitées par le vin. Virginie Moine confie que « l'IPS est un test très pertinent pour évaluer différentes techniques oenologiques sur une même vendange. Il le devient un peu moins pour comparer des vins aux profils très différents car beaucoup d'autres facteurs entrent en jeu dans la perception de l'astringence ». Des travaux sont en cours pour simplifier et modéliser ce test qui semble aujourd'hui le plus proche des réponses humaines.

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