Retour

imprimer l'article Imprimer

VENDRE - Paroles de pros

VALÉRY MICHAUX, professeur de management « Les clés du succès d'un vignoble »

PROPOS RECUEILLIS PAR AUDE LUTUN - La vigne - n°267 - septembre 2014 - page 56

Pour cette spécialiste de la dynamique des territoires, l'essentiel est de se regrouper pour défendre une « marque ombrelle » en maintenant une concurrence active, car elle est source d'émulation.

Valéry Michaux est enseignante et directrice de la recherche à Neoma Business School, l'école de management de Reims. Avec Steve Charters - directeur du centre de recherche School of Wine and Spirits Business, à l'ESC Dijon -, elle a coordonné les travaux de chercheurs français et étrangers sur les succès de différents vignobles. Le fruit de ces recherches est paru en mai dans un livre intitulé « Stratégies des territoires vitivinicoles : clusters, gouvernance et marque territoriale ». Elle répond aux questions de « La Vigne ».

La Vigne : Votre livre détaille les conditions du succès de plusieurs vignobles dans le monde. Vous expliquez qu'un cluster doit se mette en place pour qu'il y ait succès. Qu'est-ce qu'un cluster ?

Valéry Michaux : Le cluster est le fait que dans une zone géographique donnée, une spécialisation économique (vignoble, industrie, etc.) se développe avec succès. L'effet cluster s'appuie sur des stratégies de coopération et sur une émulation forte due à une concurrence directe. Un effet d'apprentissage mutuel et d'innovation explique que ces territoires sont beaucoup plus performants que les autres. L'exemple emblématique est la Silicon Valley, en Californie (USA), où les entreprises du domaine des nouvelles technologies et la recherche ont créé un cercle vertueux d'innovation. Les savoirs informels circulent facilement d'une personne à l'autre. Cela permet un apprentissage collectif de haut niveau qui éclôt sur un degré d'innovation bien plus performant qu'ailleurs. Le même phénomène s'est produit dans plusieurs vignobles.

Parmi ces vignobles, vous avez choisi Sancerre et la Champagne. Quels sont les ingrédients de leur réussite ?

V.M. : Ces deux vignobles n'ont pas la même taille, pas la même histoire ni le même fonctionnement, mais ce sont tous deux des modèles économiques gagnants. À Sancerre, les 350 vignerons indépendants ont depuis longtemps intégré toutes les tâches de la filière, de la culture de la vigne à la vente directe de leur vin. Ils ont une culture entrepreuneuriale très forte et ont toujours prôné l'esprit collectif en défendant une seule et même « marque ombrelle » : Sancerre. En Champagne, l'esprit collectif autour de la marque ombrelle « Champagne » est également très fort. Mais, contrairement à Sancerre, on y observe une division des tâches. Le négoce vend 70 % des bouteilles et assure le développement marketing. Les viticulteurs sont majoritairement producteurs de raisin même si un nombre croissant se lance dans la vente directe. Dans ces deux régions, il y a eu des leaders forts, visionnaires, qui ont su fixer un cap clair. Et surtout faire adhérer tout le monde à ce projet de marque ombrelle.

L'un des secrets de la réussite tient donc dans le leadership ?

V.M. : Oui. Pour qu'une appellation réussisse, outre les qualités qui lui sont propres (climat, sol, etc.), il faut absolument qu'il y ait des histoires fortes. En Champagne, c'est le cas avec Dom Pérignon, la Veuve Clicquot ou d'autres vignerons qui ont su rassembler sur l'essentiel, à savoir le développement du champagne. La dimension émotionnelle et psychologique est importante. En Champagne, c'est ensemble que vignerons et négociants ont reconstruit le vignoble dévasté par la première guerre mondiale. On ne peut pas être uniquement dans le fonctionnel (tel budget pour la communication, etc.).

Vous insistez également sur la gouvernance...

V.M. : Le terme de gouvernance - décision partagée entre des parties prenantes ayant un poids égal - s'oppose au terme de gouvernement, qui évoque une hiérarchie. Il faut un outil de gouvernance pour qu'un vignoble réussisse. À Sancerre, c'est le syndicat des vignerons ; en Champagne, l'interprofession. Il faut un équilibre des forces pour qu'émerge une stratégie commune à long terme : surveiller la qualité, protéger juridiquement l'AOC, communiquer, etc. Mais j'insiste : pour que le consensus prenne corps et soit suivi d'effets, il faut absolument qu'il résulte d'une confrontation. Sinon, on rejoint la cohorte des projets où personne ne passe à l'acte ! C'est tout de même ce qui se passe dans 90 % des cas !

Votre livre met aussi l'accent sur l'effet d'entraînement derrière des locomotives qui sont souvent des pionniers. Pourquoi est-ce tellement important ?

V.M. : Comme je l'ai déjà évoqué, la dimension humaine est essentielle dans la réussite d'un vignoble. La réussite des uns donne confiance et envie de réussir aux autres. Si mon voisin vend des bouteilles à New York, pourquoi pas moi ? Pour qu'une région viticole fonctionne bien, il faut un effet d'entraînement très fort derrière des locomotives, mais il faut également de la concurrence, qui pousse à innover. Les deux sont indispensables. S'il n'y a que de la concurrence, cela ne marche pas.

Vous évoquez les difficultés de certaines interprofessions à bien fonctionner. Quels sont les freins identifiés ?

V.M. : Pour qu'une gouvernance réussisse, il faut créer une ligne directrice forte. Il ne faut pas chercher à être d'accord sur tous les détails dès le départ. Quel est le projet de l'interprofession ? Est-ce économiser des coûts pour aller à l'export ? Communiquer ensemble ? Bénéficier de services sophistiqués en oenologie ? Qu'est-ce qu'on vient faire ensemble ? Il faut un projet clair et juste. J'ajouterais qu'on ne s'unit bien que si on a des problèmes communs.

C'est la notion de destin commun ?

V.M. : Oui, la réussite d'un vignoble passe par le fait que chacun, qu'il soit gros ou petit, intègre que sa survie est liée à un destin commun. Là où la notion de destin commun existe, tout est possible...

UN LIVRE À PLUSIEURS MAINS

Le livre « Stratégies des territoires vitivinicoles : clusters, gouvernance et marque territoriale », paru aux éditions EMS, identifie les facteurs de réussite ou d'échec d'un vignoble. Qu'est-ce qui explique que certaines histoires collectives ont été aussi gagnantes alors qu'à quelques kilomètres de là, aucune histoire collective n'a émergé ?

Ce livre regroupe 18 contributions de chercheurs français et étrangers, qui se sont penchés sur plusieurs vignobles français (Sancerre, Chablis, Cahors, Champagne), mais aussi sur des vignobles espagnols, allemands, libanais ou arméniens. La plupart des vignobles étudiés ont « ce petit quelque chose en plus » qui explique leur réussite.

Les chercheurs parlent « d'effet cluster », où une spirale vertueuse se met en place, en plus d'une gouvernance et d'une marque territoriale forte.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :