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DROSOPHILE SUZUKII Un nouveau parasite débarque

CHRISTELLE STEF AVEC CHRISTOPHE REIBEL - La vigne - n°268 - octobre 2014 - page 8

Plusieurs vignobles ont essuyé des attaques inhabituelles de pourriture acide sur les cépages rouges, alors que la drosophile suzukii a gagné tout le territoire.

C'est l'invité surprise des vendanges 2014. Véhiculée par des drosophiles très présentes, la pourriture acide a donné du fil à retordre à bien des viticulteurs. En Alsace, la Fredon et la chambre régionale d'agriculture ont noté la présence de la maladie dans 58 parcelles sur les 100 observées les 11 et 12 septembre dans le cadre de leur bilan phytosanitaire prévendanges. Cette situation a conduit les viticulteurs à bousculer leur calendrier de récolte. « Nous rentrons les gewurztraminers avant les pinots gris. D'habitude, c'est l'inverse », expliquait Cécile Esnault, technicienne à la Cave du Roi Dagobert (1 000 ha de vignes) à Traenheim, dans le Bas-Rhin, le 23 septembre. Nous réceptionnons en urgence les raisins les plus abîmés et nous séparons les jus. » Beaucoup d'Alsaciens ont dû effectuer des tris drastiques, ce qui risque d'affecter le volume de récolte estimé fin juillet à 1,17 million d'hl.

En Gironde, la pourriture acide s'est manifestée un peu partout, notamment dans le Libournais. Et, même les rouges ont été touchés. Mais selon Pascal Hénot, du centre oenologique de Coutras, les attaques sont restées limitées en intensité. Les baies atteintes sentaient le piqué et étaient marquées par « des goûts anormaux de fromage, de l'amertume et des déviations diverses ».

En Bourgogne aussi, les viticulteurs ont vu voler quantité de moucherons et fait face à des attaques de pourriture acide sur le pinot noir, notamment en Côte-d'Or. Des parcelles ont subi d'important dégâts et il a fallu trier. Mais dans la majorité des cas, les viticulteurs ont rentré une belle récolte. « Les conditions climatiques du mois de septembre ont stabilisé le phénomène », assure Ève Gueydon, la responsable de la communication technique au BIVB.

De même, fin août dans la vallée du Rhône, la pourriture acide était observée un peu partout. Puis le mistral s'est levé. « Les foyers ont littéralement coulé. Les baies percées se sont vidées de leur contenu. Les pupes et les larves de drosophiles sont tombées au sol. Les adultes ont été chassés par le vent », rapporte Cédric Hallereau, consultant au centre oenologique de la vallée du Rhône.

Un peu partout, on signale des attaques très inégales, avec des parcelles sévèrement touchées et leurs voisines épargnées. Dans le Maine-et-Loire, Guillaume Reynouard en témoigne. Ce viticulteur, propriétaire du Manoir de la Tête Rouge, au Puy-Notre-Dame, conduit 18 ha de vignes en bio. Il a vu une de ses parcelles de 90 ares de pineau d'Aunis entièrement attaquée, contrairement aux cabernets francs. « 90 % des grappes sont touchées avec trois à quatre baies atteintes. Et de nombreuses drosophiles sont présentes », expliquait-il le 29 septembre. Il a dû trier très soigneusement pendant la vendange.

Drosophile suzukii, nouvelle menace ? Ce qui inquiète les professionnels, c'est l'arrivée de la drosophile suzukii (voir encadré ci-dessous) parmi les drosophiles autochtones. En Gironde, elle est présente depuis 2011. Cette année, elle a également été détectée en Champagne, en Bourgogne, dans le Maine-et-Loire, dans la vallée du Rhône et en Alsace. Dans cette dernière région, elle se rencontre dans les parcelles de gewurztraminer, pinot gris, pinot noir et muscat rouge et, dans une moindre proportion, dans les cépages blancs. Cependant, elle représente moins de 10 % des mouches piégées, le reste étant des drosophiles autochtones, comme l'atteste les BSV des 2 et 23 septembre.

Pourquoi de telles attaques ? Pour Pascal Hénot, les conditions moites de cet été ont favorisé le développement des drosophiles qui transmettent les bactéries responsables de la pourriture acide. « Elles ont pondu dans les raisins blessés et fragilisés par le développement précoce du botrytis », explique l'oenologue.

Quel est le rôle de la drosophile suzukii dans les attaques de pourriture acide observées cette année ? Pour y voir clair, la Draaf d'Aquitaine a lancé une enquête dès le 22 septembre. « Depuis, nous avons reçu une centaine de signalements de pourriture acide. Nous allons effectuer des prélèvements sur les parcelles non encore récoltées pour voir de quelle espèce il s'agit », expliquait, fin septembre, Sygrid Launes, en charge du dossier. Dans le Maine-et-Loire, l'ATV 49 a fait éclore des asticots présents dans des baies de chenin touchées par la pourriture acide : plusieurs espèces de drosophiles en ont émergé, dont des suzukii. Mais sa responsabilité reste difficile à estimer. En Champagne, pour le CIVC, la drosophile suzukii participe vraisemblablement, comme les drosophiles indigènes, à la propagation de la maladie, mais elle ne semble pas en être la cause principale. Et d'avancer une autre explication : « Les zones les plus concernées par la pourriture acide sont celles qui ont essuyé les plus fortes quantités d'eau au cours de la période juillet-août », indique Marie-Laure Panon. De son côté, Cédric Hallereau estime qu'en vallée du Rhône le développement de la maladie a été favorisé par des attaques tardives d'oïdium. Affaire à suivre...

Une mouche venue d'Asie

D. SUZUKII : le mâle a une tache sombre à l'extrémité des ailes, ce qui le distingue des autres drosophiles. © F. VON ERICHSEN/DPA/AFP

D. SUZUKII : le mâle a une tache sombre à l'extrémité des ailes, ce qui le distingue des autres drosophiles. © F. VON ERICHSEN/DPA/AFP

La Drosophila suzukii est une nouvelle espèce originaire d'Asie (Chine, Japon, Corée) qui mesure de 2 à 4 mm de long. Elle est apparue en 2008 en Italie et Espagne puis en France deux ans plus tard. En 2011, elle provoque les premiers gros dégâts sur des cerisiers et des pêchers dans la vallée du Rhône. Sa particularité ? La femelle possède un organe de ponte qui lui permet de percer la peau des fruits pour y déposer ses oeufs. Contrairement aux drosophiles autochtones (Drosophila melanogaster) qui attaquent les fruits abîmés, elle peut donc se développer sur des fruits sains qui n'ont pas atteint leur pleine maturité. « Elle est très opportuniste et très polyphage. Elle ne subit pas la compétition d'autres ravageurs », explique Jean-Luc Gatti, de l'Inra de Sophia-Antipolis. S'attaque-t-elle aux baies de raisin ? Plusieurs auteurs l'affirment. Mais tous les experts n'en sont pas convaincus. À la suite des attaques observées cette année, quantité de baies hébergeant des larves ont été prélevées et mises en incubation afin de déterminer l'espèce en cause. Les résultats obtenus dans le Maine-et-Loire ne laissent pas de doute : D. suzukii a été retrouvée dans des baies de chenin.

Le Point de vue de

Jean-Jacques Muller, domaine Charles Muller et fils, à Traenheim (Bas-Rhin), 11 hectares de vignes en bio

« 20 % de perte sur un hectare »

JEAN-JACQUES MULLER, chef d'exploitation, sent une baie suspecte pour vérifier à l'odorat la présence de piqûre acétique. © M. FAGGIANO

JEAN-JACQUES MULLER, chef d'exploitation, sent une baie suspecte pour vérifier à l'odorat la présence de piqûre acétique. © M. FAGGIANO

J'ai observé les premiers symptômes de pourriture acide début septembre sur du pinot noir et du gewurztraminer. Plusieurs de mes parcelles, soit un hectare au total, sont touchées. Les vignes concernées sont plutôt vigoureuses et situées à proximité de vergers qui ne sont plus entretenus. Les fruits pourrissent sur les arbres et attirent les drosophiles.

Certes, la drosophile suzukii est présente, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit la seule responsable. Les drosophiles autochtones sont là depuis toujours et elles ont certainement participé davantage à la propagation de la pourriture acide.

Dans les parcelles concernées, 30 % des grappes pouvaient être atteintes avec souvent juste quelques baies touchées. Je les ai alors effeuillées et j'ai l'impression que cela a stoppé la progression de la maladie. Comme les nuits ont été fraîches et qu'il n'a pas plu, les baies atteintes se sont desséchées et j'ai pu attendre la pleine maturité pour vendanger. Dans les vignes rentrées à la main, nous avons trié. Dans celles récoltées à la machine, les vendangeurs sont passés avant pour couper les grappes touchées. Au total, j'estime que avoir 20 % de perte sur un hectare. Ce n'est pas énorme et, économiquement, je pourrai le supporter. Mais je ne suis pas le plus touché de la région. Au niveau des vinifications, je n'ai pas eu de montée de volatile. Mais il fallait être vigilant car les moûts pouvaient partir en fermentation très rapidement. Je les ai donc débourbés à froid et j'ai ajouté 3 g/hl de SO2 pour limiter la prolifération des bactéries acétiques. Comme j'utilise des levures indigènes, j'ai également fait un pied de cuve pour avoir un ensemencement tout de suite après le débourbage.

Le Point de vue de

NICOLAS SEINTOURENS, CHEF DE CULTURE DU CHÂTEAU GRIMONT, À QUINSAC (GIRONDE)

« Nous restons très vigilants »

« Outre la vigne, nous cultivons des arbres fruitiers (des pommiers) et nous savions par nos confrères arboriculteurs que la drosophile suzukii peut provoquer de gros dégâts sur les cerises. Nous l'attendions donc depuis trois ans. De ce fait, nous surveillons attentivement nos vignes dès la fin août. Début septembre, nous avons observé sur du merlot et du cabernet-sauvignon des baies évidées, d'autres contenant des larves, avec des piqûres de sortie de mouches et un début de pourriture acide. Le phénomène est très insignifiant et n'aura pas de conséquences sur la qualité ni sur le volume de la récolte. Mais comme nous l'avons observé sur des parcelles jamais touchées jusque-là, nous restons très vigilants. Nous savons que le malbec peut être sujet à la piqûre acétique. Mais sur du merlot et du cabernet-sauvignon, c'est très atypique. »

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