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VIGNE

Élimination des marcs Trois nouvelles voies

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°268 - octobre 2014 - page 34

À partir de cette campagne, livrer ses marcs en distillerie n'est plus obligatoire. Les vignerons peuvent également les épandre, les composter ou les méthaniser. Mais les distilleries n'ont pas dit leur dernier mot.
À DAMBACH-LA-VILLE, dans le Bas-Rhin, des vignerons apportent sur une plateforme leurs marcs qui seront ensuite transportés jusqu'à une unité de méthanisation.  © M. FAGGIANO

À DAMBACH-LA-VILLE, dans le Bas-Rhin, des vignerons apportent sur une plateforme leurs marcs qui seront ensuite transportés jusqu'à une unité de méthanisation. © M. FAGGIANO

EN ALSACE, des adhérents de l'association Vignes Vivantes contrôlent l'évolution du compost.  © VIGNES VIVANTES

EN ALSACE, des adhérents de l'association Vignes Vivantes contrôlent l'évolution du compost. © VIGNES VIVANTES

L'ÉPANDAGE de marcs compostés peut constituer un bon apport pour les vignes mais exige un passage quotidien. © VIGNES VIVANTES

L'ÉPANDAGE de marcs compostés peut constituer un bon apport pour les vignes mais exige un passage quotidien. © VIGNES VIVANTES

DIDIER PETTERMANN, responsable de la plateforme de stockage des marcs à Dambach-la-Ville, dans le Bas-Rhin. © M. FAGGIANO

DIDIER PETTERMANN, responsable de la plateforme de stockage des marcs à Dambach-la-Ville, dans le Bas-Rhin. © M. FAGGIANO

LA DISTILLERIE de Thouarcé, en Maine-et-Loire. © C. WATIER

LA DISTILLERIE de Thouarcé, en Maine-et-Loire. © C. WATIER

Pour s'acquitter des prestations viniques, il fallait, jusqu'en 2013, livrer ses marcs en distillerie avec les bourbes et les lies. Seuls les vignerons en bio ou ceux qui étaient trop éloignés d'une distillerie pouvaient demander une dérogation pour les épandre. Mais la mobilisation des Alsaciens a fini par faire bouger les lignes. Depuis cette année, il est permis d'épandre, de composter ou de méthaniser ses marcs, sur son exploitation ou de façon collective.

Pour autant, personne n'est vraiment satisfait de ce changement. Les distilleries, déjà confrontées à une petite récolte, sont inquiètes. Elles craignent de voir leur approvisionnement diminuer encore plus, si des caves choisissent une autre option que la distillation pour leurs marcs. Cela fragiliserait leur équilibre économique à un moment où les prix de vente de leurs sous-produits s'orientent à la baisse.

Autre motif d'insatisfaction : les contraintes réglementaires imposées à ceux qui veulent composter, épandre ou distiller leurs marcs. Ces derniers doivent en effet les peser et faire analyser leur degré d'alcool (voir encadré ci-dessous). Les vignerons en bio qui épandaient ou compostaient voient ainsi leur organisation remise en cause.

Les Alsaciens protestent également. Cette nouvelle réglementation sera-t-elle appliquée à la lettre ? Tout n'est pas encore calé. En attendant, voici l'expérience des pionniers des nouvelles voies de valorisation.

Compostage : De bons résultats avec du fumier

Il est difficile de composter seuls les marcs frais car ils ne montent pas assez vite en température. Mieux vaut les mélanger avec du fumier et des bois de taille broyés pour aérer le tas. « On obtient alors un compost d'une valeur agronomique intéressante. Un apport de 1,5 à 4,5 t/ha suffit », précise Isabelle Kuntzmann, de l'association alsacienne Vignes Vivantes. Celle-ci compte quatre-vingt-dix adhérents, qui fabriquent du compost au sein de huit groupes. Ces vignerons installent leurs andains dans des prairies éloignées des habitations et des points d'eau et les recouvrent d'une bâche pour éviter le lessivage par les pluies. Les marcs représentent entre 5 et 25 % du volume mis à composter. Le reste est constitué de bois de taille et de fumier, acheté à des éleveurs entre 19 et 25 €/t. « Un à deux retournements suffisent en cours de compostage. Pour les réaliser, nous faisons appel à un éleveur équipé d'un retourneur d'andains », explique Claude Freyburger, qui est responsable du groupe de Bergheim.

Olivier Humbrecht, vigneron en bio à Turckheim, dans le Haut-Rhin, a choisi de ne pas retourner ses composts. Il en élabore 100 à 120 tonnes par an, en mélangeant des marcs et du fumier ovin. Il forme des andains posés sur une couche de paille et couverts par une bâche qui les préserve du desséchement comme de la pluie. Il les laisse ensuite composter deux à quatre mois. Au printemps, il les épand dans des quantités de 3 à 4 t/ha. L'opération mobilise deux personnes durant deux à trois semaines. « Grâce à ces composts, j'ai amélioré la structure du sol, la fertilité et les rendements. Je n'ai plus besoin d'acheter d'engrais bio, et cela me revient bien moins cher », relate le vigneron alsacien.

Dans l'Hérault, la Cuma de Gignac a fabriqué durant dix ans du compost avec des marcs distillés et du fumier acheté à des éleveurs. Elle a arrêté il y a trois ans et achète depuis un compost de marcs et de lies à la distillerie, à 15 €/t. « Cela nous revient à peu près au même prix que lorsque nous le fabriquions nous-mêmes, mais il est livré directement chez les adhérents, ce qui simplifie le transport », relève Dominique Vaillé, responsable de la Cuma. La coopérative met à la disposition de ses membres un épandeur pour un coût d'utilisation d'un euro la tonne. « L'idéal est d'épandre après la taille et avant le débourrement. Pour 80 tonnes de compost, cela me prend quatre à cinq jours », précise Dominique Vaillé.

Épandage de marcs frais : À faire tous les soirs

« Les marcs frais apportent des sucres qui stimulent la flore du sol », constate Claude Freyburger. Depuis quatre ans, ce vigneron en bio, installé à Bergheim, dans le Haut-Rhin, les épand chaque soir durant les vendanges. Comme il ne les stocke pas, ils n'ont pas le temps de fermenter.

« Je loue une remorque épandeuse. J'y mets les marcs dès leur sortie du pressoir. Je n'ai plus qu'à les épandre le soir même dans les vignes qui ont déjà été vendangées, en choisissant en priorité celles qui manquent de vigueur et en évitant d'en mettre deux ans de suite dans la même parcelle », explique-t-il.

La remorque, équipée de deux disques, émiette les marcs dans l'interrang. En comptant le déplacement jusqu'aux vignes, Claude Freyburger y passe en moyenne 45 minutes par jour. « Ce n'est pas plus long que lorsque je devais apporter les marcs au point de collecte de la distillerie. Et ils profitent à mes vignes. Celles qui étaient un peu faibles ont retrouvé de la vigueur », note-t-il.

Dans les parcelles qui n'ont pas reçu de marcs, il utilise un compost qu'il élabore avec un groupe de huit vignerons. « Le compost nous revient plus cher, car il faut acheter le fumier pour le faire. Avec les marcs, il y a moins de frais et c'est plus simple. » Avec ces deux types d'apports organiques, il est autonome pour sa fertilisation.

Il note la sortie des marcs dans son registre et transmet tous les ans son plan d'épandage à FranceAgriMer. Les marcs sont en effet considérés comme des effluents. Leur épandage est réglementé car c'est une pratique interdite en cas de gel, de neige ou de fortes pluies.

La première année, il faut réaliser une étude pour savoir dans quelles parcelles on peut mettre des marcs, et prévoir ensuite chaque année un plan d'épandage et un suivi agronomique. L'objectif est de vérifier que la capacité d'épuration des sols n'est pas dépassée et qu'il n'y a pas de risques de pollution des eaux.

L'IFV a analysé vingt-deux marcs provenant de huit régions. Leur teneur en éléments minéraux est proche de celle d'un fumier, avec plus de potasse et moins de magnésium. Leur teneur en azote, très variable, reste insuffisante pour initier le processus de décomposition. Dès lors, les micro-organismes utilisent dans un premier temps l'azote du sol. Ce phénomène, plus marqué avec les cépages rouges, peut provoquer une « faim » d'azote. L'apport net d'azote est par la suite très faible. Celui de matière organique stable peut, lui, s'apparenter à celui d'un fumier. Par ailleurs, les marcs sont acides. Leur pH varie entre 2,4 et 6,5 selon l'IFV. Si le pH du sol est inférieur à 6, il faut vérifier qu'à la dose choisie, l'apport ne va pas renforcer cette acidité.

Méthanisation : La fierté de produire de l'énergie

Pour les vendanges 2014, huit unités de méthanisation ont été agréées pour recevoir des marcs. Cinq se situent en Alsace, les trois autres en Seine-et-Marne, en Vendée et dans le Loiret. Les marcs frais intéressent les méthaniseurs car ils ont un bon rendement pour produire du biogaz. En Alsace, certains les payent à hauteur de 8 €/t. Les frais de transport sont alors à la charge des viticulteurs. D'autres prennent en charge les frais d'enlèvement, mais ne paient pas les marcs. C'est le cas d'Agrivalor Énergie, une entreprise fondée par des agriculteurs, qui a installé une unité de méthanisation à Ribeauvillé, dans le Haut-Rhin, et qui s'approvisionne dans toute la région.

À Dambach-la-Ville, dans le Bas-Rhin, cinquante vignerons portent leurs marcs sur une plateforme. Dès qu'il y a une quantité suffisante pour remplir un camion de 25 tonnes, Agrivalor Énergie les transporte jusqu'à Ribeauvillé. « Nous avons créé cette plateforme de stockage sur un terrain appartenant à la municipalité. Celle-ci a bétonné l'aire et la met gratuitement à notre disposition durant les vendanges, explique Didier Pettermann, le vigneron responsable du lieu. Seul le transport jusqu'à la plateforme est à notre charge. C'est un système simple et peu coûteux. Et nous sommes fiers de contribuer à la production d'énergie verte avec nos marcs ! »

Dans la région, trois autres projets de méthanisation sont en cours. L'arrivée de ce débouché alternatif est venue concurrencer l'unique distillerie de la région. Depuis, elle ne fait plus payer les vignerons pour éliminer leurs marcs, alors qu'auparavant elle leur facturait 23 €/t.

Livraison à la distillerie : La simplicité

« Plus que jamais, les distilleries sont au service des viticulteurs », affirme l'Union nationale des distilleries vinicoles (UNDV) dans un communiqué du 24 septembre. Au moment où des alternatives se font jour, elle tient à rappeler les atouts des distilleries, qu'il s'agisse de la simplicité des procédures ou de l'élimination à moindre coût des marcs. Ces dernières s'occupent en effet de la pesée et de la mesure du taux d'alcool. Les vignerons n'ont plus qu'à reporter ces informations dans leur registre de sortie. Les distilleries touchent une aide européenne à la transformation et une autre pour la collecte, reversée aux vignerons lorsqu'ils assurent le transport des marcs. Ceux-ci n'ont alors aucun coût à supporter.

L'UNDV rappelle également que les distilleries innovent pour optimiser le recyclage de leurs sous-produits et élargir les débouchés. Elles fournissent en outre aux vignerons des composts à moindre coût qui, s'ils répondent à la norme NFU 44-051, sont classés en amendement organique et ne sont donc plus soumis à la réglementation sur l'épandage des déchets.

Mieux vaut néanmoins demander la fiche d'analyse pour raisonner les apports, car leur valeur varie fortement en fonction de la matière première et du process utilisé.

Deux obligations contraignantes

Les vignerons qui ne livrent pas leurs marcs en distillerie doivent se déclarer au service départemental de la police de l'eau, en précisant la quantité de marcs qu'ils vont éliminer et la voie qu'ils ont choisie. Ils doivent peser leurs marcs sur une bascule homologuée et faire analyser leur teneur en alcool par un laboratoire agréé Cofrac.

Cette obligation de pesée et d'analyse permet certes de vérifier qu'il n'y a pas eu de surpressurage. Mais elle fait grincer des dents. Les vignerons en bio perdent ainsi une dérogation dont ils bénéficiaient. En effet, jusqu'ici l'administration leur demandait juste d'évaluer le poids des marcs qu'ils éliminaient eux-mêmes et de préciser le volume de récolte correspondant. Que faire quand il n'y a pas de pont-bascule homologué à proximité ? Alors que l'objectif est aussi de réduire l'impact sur l'environnement, va-t-il falloir transporter les marcs sur des kilomètres pour les peser avant de les rapporter sur l'exploitation ? Les Alsaciens font aussi remarquer qu'ils ne disposent d'aucun laboratoire agréé Cofrac. Le directeur de la Draf a promis d'étudier ces points après les vendanges.

Impact environnemental : la distillation bien notée

L'IFV a évalué l'impact environnemental de chaque filière d'élimination des marcs selon quatre critères : la santé humaine, la qualité des écosystèmes, le réchauffement climatique et les ressources. Il s'est appuyé pour cela sur une analyse du cycle de vie. La distillation est la voie qui préserve le mieux la qualité des écosystèmes car elle permet de récupérer quantité de sous-produits qui seraient polluants s'ils retournaient sans précaution dans l'environnement (acide tartrique, huile...). L'épandage des marcs a, lui, un impact plus important sur les écosystèmes et le réchauffement climatique. Ainsi, l'éthanol s'évaporant des marcs ne serait pas sans conséquence sur l'effet de serre. Pour le compostage, mieux vaut le pratiquer à la ferme que sur une plateforme collective, car cela implique moins de transport. Enfin, la méthanisation a moins d'impact que la distillation sur la santé humaine, le réchauffement climatique et les ressources naturelles, mais elle en a davantage sur la qualité des écosystèmes.

Aires de compostage : des points à clarifier

Sur son site internet, FranceAgriMer a mis en ligne des fiches expliquant la réglementation à respecter par ceux qui souhaitent composter, épandre ou méthaniser leurs marcs. La fiche sur le compostage précise ainsi que les aires de compostage doivent être bétonnées et équipées d'un dispositif de récupération des jus. Or, jusque-là, les vignerons qui bénéficiaient de dérogations pouvaient composter leurs marcs sur des prairies, à condition de respecter le règlement sanitaire départemental. De plus, l'arrêté du ministère de l'Écologie du 12 juillet 2011 sur « les prescriptions générales » applicables au compostage impose une aire bétonnée uniquement aux sites qui reçoivent plus de trois tonnes de déchets végétaux par jour. Les caves en dessous de ce seuil devraient donc pouvoir se dispenser de bétonner leur aire. Mais ce point reste à éclaircir. Car s'il faut investir dans des aires bétonnées, cela risque de freiner les ardeurs. Le compostage s'est développé dans l'élevage parce que les producteurs ont obtenu la possibilité de composter leurs fumiers sur les champs, grâce à un arrêté de 2005. De même, la fiche de FranceAgriMer sur l'épandage des marcs indique que si ces produits doivent être stockés, c'est sur une aire bétonnée équipée d'un système de récupération des jus. Cette règle est-elle valable dans tous les cas de figure ?

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