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VIGNE

Marché des plants Les pépiniéristes reprennent la main

FLORENCE JACQUEMOUD - La vigne - n°268 - octobre 2014 - page 40

Plus question pour les pépiniéristes de greffer plus de plants que nécessaire car l'opération, coûteuse en main-d'oeuvre, n'est alors plus rentable. Les vignerons doivent dès lors passer leur commande bien à l'avance s'ils veulent obtenir les assemblages qu'ils désirent.
MISE EN TERRE de plants traditionnels à la pépinière Mercier Frères, établie à Vix, en Vendée. PHOTOS : P. AUBRY

MISE EN TERRE de plants traditionnels à la pépinière Mercier Frères, établie à Vix, en Vendée. PHOTOS : P. AUBRY

PRODUCTION de plants en pots sous serre. © P. BAUDRY

PRODUCTION de plants en pots sous serre. © P. BAUDRY

« La consommation repart, observe Jean-François Barnier, pépiniériste à Sarrians (Vaucluse). On manque de vin. Les viticulteurs replantent pour redresser leur potentiel de production et, depuis deux ans, demandent davantage de plants. Ils ont parfois dix années de non-renouvellement à rattraper. »

« À cela s'ajoute le fait que la plupart des régions bénéficient de plans collectifs de restructuration, explique David Amblevert, pépiniériste à Sainte-Florence (Gironde) et président de la Fédération française de la pépinière viticole (FFPV). La demande des viticulteurs était déjà soutenue en 2014, elle devrait être encore plus forte en 2015, ce qui risque d'entraîner des tensions sur certains cépages. »

Pour satisfaire cette demande, les pépiniéristes produisent davantage. Selon les estimations de la profession (les chiffres officiels seront connus le 22 octobre), ils auraient réalisé 200 millions de greffes-boutures en 2014 contre 197,4 millions en 2013. « Certes, la production augmente un peu, mais n'oublions pas qu'au début des années 2000, nous étions à 300 millions de greffes-boutures par an, souligne Pierre-Marie Guillaume, pépiniériste à Charcenne (Haute-Saône). Sur dix à quinze ans, la production de plants est donc plutôt en baisse. »

Échaudés par la crise viticole des années 2000, les pépiniéristes sont devenus prudents et ne semblent pas prêts à se remettre à greffer à tour de bras. « Nous avons changé notre façon de travailler, reprend Jean-François Barnier. Nous ne pouvons plus prendre le risque de greffer à l'aveugle sans savoir ce que nous allons vendre. La main-d'oeuvre représente 55 à 60 % du prix du plant et nous réalisons de faibles marges. Cela nous reviendrait trop cher, en cas de mévente. Aujourd'hui, nous greffons à la demande. Ce qui implique que les vignerons commandent très en amont. C'est ce qui se produit pour notre entreprise. Nous avons de plus en plus de clients qui passent commande un an et demi avant la livraison. »

Patrice Gentié, pépiniériste à Sainte-Livrade-sur-Lot (Lot-et-Garonne), est lui aussi prudent. « Nous avons enregistré une hausse significative de nos ventes pour 2014. Afin d'anticiper, nous avons produit un peu plus de greffés-soudés pour 2015, mais sans prendre trop de risque. Nous produisons autant de plants en pots que de greffes-boutures. Nous préférons jouer sur cette variable d'ajustement pour produire davantage si besoin. »

L'absence de stock de plants et cette nouvelle façon de travailler des pépiniéristes obligent les viticulteurs à planifier leurs plantations longtemps à l'avance, ce qui commence à passer dans les moeurs. « C'est une garantie pour eux d'obtenir l'assemblage qu'ils souhaitent, adapté à leur terroir et au cépage demandé, poursuit Jean-François Barnier. De plus en plus de vignerons prennent le pli, mais ce n'est pas la majorité. Dans le Sud-Est, où nous avons beaucoup de restructurations, nous observons toujours un manque d'anticipation dans les commandes. Des demandes ne seront pas satisfaites. Les pépiniéristes de la région vont avoir une production tout juste suffisante pour fournir le cépage grenache. À cela s'ajoutent, pour nous aussi, les aléas climatiques. Ainsi, cette année, nous allons manquer de porte-greffes Richter 110 car la production a été mauvaise. »

François Bodin, responsable des pépinières Gergaud, à Nercillac (Charente), renchérit : « En 2015, nous aurons juste assez de plants d'ugni blanc pour honorer nos commandes, même si, depuis quatre ans, notre production augmente de 15 à 20 % par an. Les ventes de cognac progressent. Les viticulteurs veulent donc renouveler leurs vignes ou s'agrandir. Pour ma part, je les invite à planifier leurs besoins et à passer leur commande à l'avance. En novembre de cette année, je bouclerai déjà mes prises de commandes pour 2016. Cela me permet de connaître la demande et de produire en conséquence. Dans la région, nous avons de quoi fournir, mais le marché est tendu. Un plant produit est un plant vendu. D'autant que nous ne sommes pas à l'abri des aléas climatiques. En 2014, 15 ha de pépinières sur les 100 ha que compte la Charente ont été grêlés. Il risque donc d'y avoir des pertes. Si nous venons à en manquer, nous devrons compenser par des plants en pot pour fournir le marché. »

Dans ce nouveau contexte, les pépiniéristes ont édité des bulletins de réservation qu'ils remettent à leur client. Une fois que ces derniers l'ont rempli, les fournisseurs adressent un devis aux viticulteurs pour les variétés et les quantités demandées. La commande formelle n'intervient qu'après. François Bodin a son astuce pour inciter ses clients à se décider le plus en amont possible. « Plus ils s'engagent tôt, plus ils ont de chance qu'on leur propose des plants au prix de la précédente campagne pour une livraison à l'horizon d'un à deux ans plus tard. Dans mon entreprise, plus de 50 % de mes clients acceptent ces conditions. »

Les pépiniéristes sont aussi de plus en plus nombreux à demander le versement d'un acompte à la commande. Mais c'est loin d'être passé dans les moeurs. « Obtenir un acompte de 10 à 15 % serait une bonne chose, reconnaît Pierre-Marie Guillaume, mais culturellement, c'est difficile à mettre en place. »

Des tensions sur plusieurs cépages

Selon Patrice Gentié, « le marché prévoit d'être tendu pour les cépages grenache, colombard et ugni blanc, voire aussi le malbec. Ce dernier est en effet davantage intégré dans les encépagements bordelais depuis qu'il permet de percevoir des aides à la restructuration. Mais en termes de disponibilité globale de plants, il devrait y avoir de quoi servir tout le monde, d'autant que, pour les vignobles de la façade ouest, nous avons la possibilité de faire des plants en pots. »

« Nous nous attendons aussi à ce que le marché soit tendu sur le cinsault, la syrah et le viognier, ajoute Pierre-Marie Guillaume. Nous avons greffé en fonction d'une demande que l'on pensait normale, or elle est beaucoup plus forte que prévue. »

« Lorsqu'ils ne peuvent pas obtenir de grenache, les viticulteurs du bassin méditerranéen se rabattent sur des cépages comme le carignan ou la syrah qui vont connaître de grosses tensions car on manque de greffons, renchérit Jean-François Barnier. Cette année, nous serons également justes en porte-greffes Richter 110. »

Les viticulteurs qui passent commande trop tard devront donc se contenter de variétés moins demandées, ou alors reporter d'un an leur plantation.

Dans le Cognaçais, François Bodin se veut rassurant. « La pépinière charentaise a doublé sa production d'ugni blanc sur ces quatre dernières années, ce qui montre notre réactivité. Nous avons produit 20 millions de plants cette année. Tout sera utilisé car la demande est soutenue, le plan collectif de restructuration s'arrêtant en 2015. »

Des vignes mères vieillissantes

RÉCOLTE DE GREFFONS et mise en fagots pour l'atelier de coupe.

RÉCOLTE DE GREFFONS et mise en fagots pour l'atelier de coupe.

« Un pied de vigne mère produit 80 à 100 greffons par an, indique François Bodin des pépinières Gergaud en Charente. Sur un hectare de 3 000 à 4 000 pieds, on obtient 240 000 à 400 000 greffons, qui sont vendus 0,04 € l'oeil. Une vigne mère de greffons est rentable pendant 15 à 20 ans. Ensuite, il vaut mieux l'arracher. » Mais les pépiniéristes n'ont pas suivi le rythme. Comme les vignerons, ils ont laissé vieillir leur vignoble de vignes mères de greffons. « La situation risque de devenir rapidement problématique », avertit Patrice Gentié, pépiniériste dans le Lot-et-Garonne.

La production de greffons est peu rentable. Le prix de vente des plants, entre 1,20 € et 1,45 € selon les régions, stagne depuis vingt ans. Celui des yeux également alors que les producteurs supportent de coûteux tests d'autocontrôle pour l'enroulement de type 1 et 3 et pour le court-noué. De plus, il faut attendre douze ans avant de replanter une vigne mère, derrière une ancienne. Il faut donc des réserves de terres qu'il n'est pas toujours facile de trouver. Et ce d'autant plus que les pépiniéristes réservent des parcelles pour planter de nouvelles variétés de vignes mères résistantes au mildiou et à l'oïdium, obtenues par l'INRA, et qui devraient être disponibles en 2016.

Pour anticiper la demande d'ugni blanc, les pépiniéristes de Cognac ont initié, en 2013, un plan de renouvellement et d'extension de leurs vignes mères de greffons. Ils ont déjà planté 40 ha, dont les premiers produiront dans deux ans.

Pour les porte-greffes, la situation est moins délicate. Les vignes mères durent plus longtemps que celles de greffons, jusqu'à vingt-cinq ans environ, car elles sont plus rustiques. Bien que les surfaces stagnent, la production est suffisante. « On pourrait en manquer d'ici quatre à cinq ans, si on ne plante pas de nouvelles vignes mères dès maintenant », avertit Patrice Gentié.

Sous le coup des aléas climatiques

Les pépiniéristes doivent aussi tenir compte des maladies de la vigne, comme le mildiou, virulent aujourd'hui. « Les plantations effectuées cette année sont très fortement touchées par le mildiou dans presque toutes les régions, alerte David Amblevert. Certains pieds n'ont pas de réserves et risquent de mourir cet hiver. Si les pertes sont fortes, la demande en plants sera accrue l'année prochaine, et nous devrons prévoir d'en fournir davantage pour 2016. »

Dans le Cognaçais, 15 ha de vignes mères de greffons ont été grêlés en 2014. Les pépiniéristes ont demandé à FranceAgriMer d'inscrire environ 30 ha de vignes filles non certifiées pour produire des greffons standards. FranceAgriMer doit visiter les parcelles afin de valider leur utilisation comme vignes mères pour les deux prochaines campagnes. Ces bois donneront des plants standards destinés aux vignes non primées. Cette production subira les mêmes tests sanitaires et les mêmes contrôles que celle issue des vignes mères.

Le Point de vue de

PHILIPPE DELOUME, VITICULTEUR À CHASSORS (CHARENTE), EXPLOITE 72 HECTARES D'UGNI BLANC

« Je réserve mes plants un an et demi à l'avance »

« J'ai toujours renouvelé régulièrement mon vignoble, mais, depuis dix ans, à cause des dégâts causés par les maladies du bois, j'ai accéléré la cadence. Tous les deux ans, je replante trois ou quatre hectares, selon les terrains disponibles. Les autres années, j'utilise 3 000 à 5 000 plants pour la complantation et l'entreplantation. J'ai également revu ma politique de densité. Je plante 20 % de pieds en plus à l'hectare, soit 3 300 pieds/ha. Les aides de FranceAgriMer ne m'ont pas fait changer de cap, même si je reconnais que j'en profite. Le renouvellement de la vigne est indispensable. Il permet au vigneron de maintenir son capital. Je commande 80 % de mes plants aux pépinières Gergaud, à Nercillac (Charente), tout près de chez moi. Je remplis un formulaire de réservation au plus tard en hiver, au moment où le pépiniériste débute ses greffes, pour réserver les plants dont j'aurai besoin pour le printemps de l'année suivante. En 2014, j'achète 5 000 plants d'ugni blanc pour les complantations d'hiver. Au printemps 2016, je sais déjà que je renouvellerai 4 ha et qu'il me faudra 13 000 pieds. Je les ai réservés cet été. J'ai apporté ma réservation à mon pépiniériste, afin de discuter des nouveautés et du choix de porte-greffes le plus judicieux. Pour mes vignes en coteaux calcaires, j'ai choisi des 41B, très réguliers en alcool, et des 161-49. Le rupestris tient, lui aussi, bien la route en termes de mortalité. Je l'utilise pour mes vignes situées dans la vallée, en terres argileuses. En procédant ainsi, je peux choisir les assemblages que je veux et être sûr de recevoir ma commande. Mon pépiniériste m'a fait un devis. Je ne verse pas d'acompte, car il s'agit d'un accord moral entre lui et moi qui nous satisfait. Et lorsque les plants sont prêts, je me débrouille toujours pour planter, même s'ils arrivent plus tard que prévu. Je n'annule jamais une commande. »

Le Point de vue de

JACK ROUBY, PROPRIÉTAIRE DU DOMAINE DE LA GRANDE VIGNE, À SAINT-JULIEN-D'EYMET (DORDOGNE), EXPLOITE 53 HA DE VIGNES POUR 3 000 HL/AN.

« J'accélère le renouvellement de mon vignoble »

« La moyenne d'âge de notre vignoble est de 35 ans. Certaines de nos vignes sont très vieilles et produisent peu, surtout ces dernières années où le climat a été difficile. Nous avons commencé à les renouveler par petites touches, il y a une dizaine d'années. En 2012 et 2013, nous avons replanté 1,5 ha par an. Cette année, nous sommes passés à 3 ha, et il nous reste encore 15 ha à replanter. Nous accélérons le renouvellement pour renforcer notre potentiel de production. Parallèlement, nous mettons en oeuvre un plan de restructuration totale de notre exploitation. Nous avons arraché 13 ha de pruniers d'Ente, à l'automne 2013, dont 10 ha sur l'aire de l'AOC Bergerac. Nous allons les convertir en vignes petit à petit. Nous voulons désormais nous consacrer uniquement à la viticulture. En mai dernier, nous avons ainsi planté trois hectares en renouvellement et trois autres relevant de droits nouveaux. Nous avons choisi de mettre de la muscadelle, du sémillon, du malbec, du cabernet-sauvignon et du sauvignon. Le malbec peut se révéler intéressant pour nos rouges et nos rosés, et la muscadelle ajoutera de la complexité aromatique aux blancs. En septembre, l'Inao nous a autorisés à planter 3 ha supplémentaires de cabernet-sauvignon et de sémillon, au printemps 2015. J'ai aussitôt mis mon pépiniériste au courant de cet accord. Ce dernier avait déjà connaissance de nos projets et, en prévision, avait anticipé en greffant les plants nécessaires l'hiver dernier. Cela m'a permis de lui confirmer que j'allais bien les lui acheter. »

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