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VIN

Les recettes du thermomix

La vigne - n°268 - octobre 2014 - page 50

Mélanger de la vendange fraîche avec des raisins ou du moût chauffés porte un nom : le thermomix. La technique reste très empirique. Ses vins seraient moins technologiques et plus variétaux que ceux de thermovinifications classiques. Deux caves témoignent.
JEAN-LUC ANDRIEU chauffe les raisins avant de les encuver avec de la vendange fraîche. Il fait des thermomix depuis une dizaine d'années.  © P. PARROT

JEAN-LUC ANDRIEU chauffe les raisins avant de les encuver avec de la vendange fraîche. Il fait des thermomix depuis une dizaine d'années. © P. PARROT

Non, il ne s'agit pas du célèbre robot culinaire multifonctions qui trône dans les cuisines depuis les années soixante-dix. Le thermomix est bien une pratique oenologique. Elle consiste à mélanger du raisin frais avec de la vendange ou du moût chauffés. « L'objectif est d'avoir le caractère positif de la thermovinification sans les défauts », explique Laurent Vial, oenologue-consultant à l'ICV de Béziers (Hérault).

Concrètement, cette technique permet de produire des vins fruités avec l'intensité aromatique typique de la thermo, sans son côté technologique. « On a des notes plus variétales, le milieu de bouche est moins fuyant et un peu plus riche qu'un vin issu uniquement de thermo », ajoute-t-il. Pour le moment, le thermomix reste une cuisine propre à chaque chef de cave.

Jean-Luc Andrieu, directeur du Caveau d'Héraclès, à Vergèze (Gard), est un des précurseurs de ce nouvel art. Il pratique depuis une dizaine d'années l'une des variantes les plus classiques. Il mélange tout simplement de la vendange chaude à de la vendange fraîche. « Les vins de thermo traditionnelle sont trop technologiques. Ils sont très fermentaires, amyliques. Pour caricaturer, on ne sait pas toujours si on a à faire à un merlot ou à un cabernet-sauvignon, indique-t-il. Les vins issus d'une vinification traditionnelle, sont très variétaux. Les thermomix se situent entre les deux. Les consommateurs veulent de plus en plus des vins faciles à boire. Les thermomix correspondent à cela. »

Jean-Luc Andrieu applique le procédé à des merlots et des cabernets-sauvignons, plus rarement à des syrahs.

Comment pratique-t-il ? Il saigne des cuves à 40 %. Il vinifie les jus de saignée en rosé. Puis, il passe les raisins restants dans un Gulfstream de la société Péra, un appareil qui annonce un débit de 8 t/h. Là, ils sont chauffés aux alentours de 65°C. « À la sortie, nous faisons une MPC, macération préfermentaire à chaud. Nous laissons macérer la vendange sans la brasser entre 6 et 24 heures dans une cuve. Cela permet d'extraire la couleur et les tanins », détaille-t-il. Il envoie ensuite cette vendange, qui a perdu près de 5°C, dans une cuve remplie aux deux tiers de vendange fraîche, afin de la compléter.

« Nous faisons généralement les thermomix avec des raisins ramassés le matin, pour que leur température soit proche de 15°C à l'encuvage. Si on ajoute un tiers de vendange chaude à 60°C à deux tiers de vendange froide à 15°C, on obtient un milieu à 30°C environ. Ce qui nous convient tout à fait. En revanche, si la vendange rentre en milieu d'après-midi à 32-34°C, et qu'on y ajoute celle chauffée à 60°C, le résultat est trop chaud. Je n'ai pas la capacité pour le refroidir. »

Une fois la cuve remplie, il laisse la vendange chaude sur la vendange froide sans les mélanger. Le temps que cette dernière, levurée à l'encuvage, parte en fermentation. « Au bout de 24 heures, la fermentation alcoolique démarre. Il se crée une phase solide et une phase liquide. J'utilise un pulseur qui souffle de l'air comprimé dans le chapeau pour mélanger l'ensemble. C'est aussi pour ça que je dois attendre 24 heures : la fermentation a commencé, on est en milieu réducteur, on peut envoyer de l'air comprimé » ajoute-t-il.

Il refroidit ensuite la cuve pour la faire fermenter à 26°C. Dans ces conditions, la FA dure environ sept jours. La Cave d'Héraclès produit près de 70 000 hl de vin par an dont 9 000 hl de thermomix.

La cave des collines du Bourdic (Gard) en produit moins : environ 6 000 hl chaque année depuis trois ans, sur les 120 000 hl qu'elle vinifie au total. « C'est l'ICV qui nous a proposé cette technique. Elle permet de relever la qualité des raisins », explique Edwige Hoareau, technicienne du vignoble de la cave, qui participe aux vinifications. Car la cave du Bourdic pratique le thermomix sur ses raisins moins qualitatifs. Edwige Hoareau estime que cette technique donne, sur ces raisins, de meilleurs résultats que la vinification traditionnelle et que la thermovinification classique. « En revanche, nous vinifions toujours nos meilleurs raisins de façon traditionnelle », ajoute-t-elle.

Pour renforcer la structure des cabernets-sauvignons déficients, la cave ajoute des raisins chauds à de la vendange fraîche. Elle incorpore les premiers aux seconds directement après leur sortie de thermo. Contrairement au caveau d'Héraclès, à Bourdic, il n'y a donc pas de MPC. Mais ce mélange n'est pas le thermomix le plus « classique » de la cave.

Lorsqu'elle veut seulement améliorer le profil aromatique des syrahs, merlots, marselans ou cabernets-sauvignons de faible qualité, sans renforcer leur structure, la coopérative procède autrement. Elle chauffe ces raisins à 65-70°C puis les envoie dans une cuve en Inox pour une MPC de 4 à 12 heures. Le jus est ensuite pompé, refroidi, clarifié entre 50 et 600 NTU par flottation ou en passant sur un filtre rotatif. Il est envoyé à 18°C dans la cuve contenant la vendange fraîche saignée entre 15 et 30 % dès la réception. Ce jus de saignée est utilisé pour faire du rosé. La vendange fraîche est quant à elle levurée à l'encuvage. Vendange fraîche et jus de thermo sont ensuite immédiatement homogénéisés. « Nous obtenons un milieu qui fermente en sept jours », indique Edwige Hoarau.

La cave de Bourdic a déjà fait du thermomix sans clarifier les jus issus de MPC alors que « leur turbidité peut dépasser 2 000 NTU », précise -t-elle. Dans ce cas-là, les vins obtenus n'étaient pas aussi fruités et qualitatifs qu'avec du jus clair. Malgré cela, des caves continuent de pratiquer ainsi. D'autres font fermenter séparément vendange fraîche et jus de thermo et ne rajoutent ce dernier qu'en fin de fermentation alcoolique pour remplir les cuves. Enfin, il se pratique également des fermentations séparées de vendange fraîche et de jus ou de vendange issus de thermo. Les vins sont ensuite assemblés et font la FML ensemble. Toute une cuisine !

Pour le moment, chaque cave a sa petite recette. À l'avenir les choses pourraient changer. L'ICV va en effet mener des essais sur le sujet cette année. Espérons qu'ils permettront de décerner des étoiles aux meilleures recettes mises au point dans les caves.

Thermovinification : des résultats intéressants sur les rosés

ANNE BUCHET, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher

ANNE BUCHET, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher

Appréciée pour son efficacité à gommer la géosmine et les défauts liés au botrytis, la thermovinification se développe en val de Loire pour élaborer des vins rouges mais aussi des rosés. « Dans ce cas, on ne chauffe que les jus, après pressurage », indique Anne Buchet, responsable du laboratoire oenologique de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. Ce traitement renforce la couleur des vins au point que les rosés peuvent afficher une robe intense dans les tons violacés ou fuchsia. « Afin de maîtriser ce paramètre, il faut travailler avec des jus clarifiés, après le débourbage », poursuit l'oenologue.

La chambre d'agriculture a mené des essais sur des gamays de 2013, récoltés autour de 11% vol. alc. potentiels, soit en légère sous-maturité. Les jus ont été débourbés à 100-150 NTU, puis chauffés à 60°C ou à 70°C. Après cela, ils ont été soit immédiatement refroidis, soit maintenus à température pendant 5 heures ou 24 heures. Au total, Anne Buchet a donc testé six modalités. Les rosés chauffés à 70°C puis maintenus à chaud pendant 5 ou 24 h ont présenté des couleurs bien plus intenses que le témoin non thermovinifié. À la dégustation, tous les vins obtenus par thermovinification ont été préférés au témoin, jugé plus végétal, empyreumatique, acide et amer. « Les rosés chauffés sont très fruités. Le jury de dégustateurs a particulièrement apprécié la modalité à 70°C, mais non maintenue à chaud ». Ce vin s'est distingué par sa note fruitée, l'intensité de sa couleur et sa complexité au nez. Cette année, la chambre d'agriculture poursuit ses essais avec différentes températures et durées de chauffe.

Une alternative à la flash détente

L'ICV étudie une technique inédite de chauffage de la vendange : la flash partielle. Les caves pratiquent actuellement des flashs détentes « classiques ». Dans ce cas, la vendange est chauffée à plus de 80°C puis brutalement soumises à un vide de l'ordre de 50 hectopascals (environ 0.05 bars, sachant que la pression atmosphérique normale est de 1013 hPa soit 1,013 bar). Cette chute de pression provoque une ébullition et une chute de la température à 30°C. Les parois des baies sont fragilisées. La couleur et les polyphénols s'extraient plus facilement. Dans la flash partielle, la température de chauffage des raisins est la même, mais le vide appliqué n'est que partiel. Il est proche de 400 hPa (environ 0,4 bar). La température chute alors beaucoup moins pour s'établir entre 50 et 55°C. D'après Daniel Granès, directeur scientifique de l'ICV, les vendanges issues de flash partielle ont plusieurs intérêts : « Elles peuvent faire des thermomix ou des macérations préfermentaires à chaud. Leur enzymage est très efficace car à ces températures les enzymes sont très actives. Le contrôle microbiologique est plus facile car le SO2 est plus actif à chaud. Lorsque les raisins manquent de maturité, la flash partielle élimine le côté végétal. On obtient des vins avec un équilibre global plus intéressant qu'avec une flash traditionnel. Enfin sur les vendanges altérées, on élimine la laccase et un certain nombre d'arômes moisis, qui peuvent se retrouver dans les vins lorsque l'on fait une flash complète ».

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