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VIN

Vinification des blancs L'éloge de la patience

CÉDRIC MICHELIN - La vigne - n°268 - octobre 2014 - page 56

Des Bourguignons obtiennent des vins blancs très réussis après de très longues fermentations spontanées. La Vigne s'est rendue chez trois d'entre eux.
MALLORY TALMARD ET BENJAMIN GONÇALVES ont 41 cuves thermorégulées et aimeraient faire tous leurs vins en fermentation spontanée. © CREDIT PHOTO

MALLORY TALMARD ET BENJAMIN GONÇALVES ont 41 cuves thermorégulées et aimeraient faire tous leurs vins en fermentation spontanée. © CREDIT PHOTO

Entre 2005 et 2011, Patrice Joseph, l'oenologue du Vinipôle Sud Bourgogne, à Davayé, en Saône-et-Loire, a étudié les pratiques et les vins de 67 vignerons et caves coopératives du département. Il a ainsi recueilli des informations sur 536 cuvées dont 282 de chardonnay, 69 de gamay et 185 de pinots noirs. Tous ces vins ont été dégustés à l'aveugle par trois oenologues qui les ont classés dans quatre catégories : A (très bon), B (bon), C (correct) et D (défectueux ; deux vins seulement).

Résultat inattendu de ce travail : beaucoup de vins de fermentations spontanées de plus de 50 jours figurent dans le top du classement. « Preuve qu'il est possible de faire des vins blancs de qualité avec la flore indigène, si elle est bien contrôlée », constate Patrice Joseph.

Au domaine Talmard, à Uchizy, Mallory Talmard et Benjamin Gonçalves en sont convaincus.

Ce couple exploite plus de 30 ha d'appellations Mâcon (Mâcon-Uchizy, Mâcon-Montbellet et Mâcon-Chardonnay). Ils ont commencé à travailler avec les levures indigènes en 1999. Leurs bâtiments isolés abritent 41 cuves thermorégulées « pour faire des vinifications parcellaires ».

Benjamin Gonçalves sulfite entre 5 et 6 g/hl et débourbe « très sévèrement » ses chardonnays, durant au moins 48 heures. « J'aime avoir des jus limpides », explique-t-il. Il les refroidit ensuite à 15°C et les laisse remonter en température pour faciliter le démarrage en fermentation. Arrivé à 1 070-1 060 de densité, il les refroidit à nouveau pour « relâcher le contrôle des températures à 1 010. Durant la fermentation, je cherche l'extrême : les températures basses, vers 10°C ». Mais quand ce niveau s'avère trop froid pour le bon déroulement de la fermentation, il remonte le moût jusqu'à 14°C.

« Qualité inouïe et régularité, c'est la marque de fabrique de ce domaine », résume un restaurateur lyonnais, venu s'approvisionner sur place lors de notre visite, fin septembre. « J'aimerais tout faire en fermentation spontanée », explique Benjamin. Mais il exporte 60 % de ses vins. Ses clients étrangers lui imposent des cahiers des charges comportant notamment des seuils maximaux d'acidité volatile. Pour respecter cette contrainte, il levure encore la moitié de ses vins. Il obtient ainsi des cuvées moins riches en acidité volatile qu'il assemble, si besoin, avec ses fermentations spontanées pour respecter les normes de ses clients.

Frédéric Servais, responsable technique du domaine des Poncétys, n'a pas ces contraintes. L'ancien journaliste belge est arrivé en 2004 sur l'exploitation du lycée viticole de Davayé pour « faire des vins bio naturels ». Dès le départ, il diminue le sulfitage et laisse deux cuves de saint-véran premier cru issues d'une vendange saine partir en fermentation spontanée. « Avec une telle matière première, ça devait marcher. » Et ce fut le cas, malgré l'absence de régulation thermique.

En 2005, il passe un tiers des chardonnays en fermentation spontanée, les deux tiers en 2006 et la totalité en 2007. En 2009, le domaine du lycée se lance dans la conversion au bio. À ce jour, il réalise 35 cuvées différentes sur 16,8 ha, majoritairement en AOC Saint-Véran, Pouilly-Fuissé et Mâcon-Davayé.

Là encore, la base du succès est de travailler sur une récolte saine et mûre avec un débourbage « extrêmement fort ». Pour obtenir des jus fins, le pressurage se fait à faible pression, en partant de 0,2 bar pendant environ 1 h 30 selon les cas, puis en montant progressivement jusqu'à 2 bars.

Frédéric Servais sulfite ses jus à raison de 2 à 3 g/hl. « Cela suffit pour supprimer les levures oxydatives et les non-Saccharomyces de mauvaise qualité. Il n'y a pas d'apparition d'éthanal », explique Patrice Joseph.

La vinification débute entre 12 et 14°C, fourchette que Frédéric Servais maintient grâce au contrôle des températures. En hiver, le chai descend entre 10 et 12°C. Dans ces conditions, les fermentations durent cinq mois en moyenne, et jusqu'à neuf mois. « L'objectif est qu'elles ne s'arrêtent jamais », souligne le vigneron. Lorsque c'est le cas, il y remédie par la micro-oxygénation (3 mg/l/j pendant un jour en blancs) ou en remettant les lies en suspension par bâtonnage. Les vins finis ne sont ni élevés ni bâtonnés. La mise se fait en juin ou en août selon les cuvées.

Du fait de l'allongement de la durée de fermentation, ses vins lui paraissent « plus riches, plus complexes et plus gras ». Ils ont des expressions fruitées avec des finales fraîches malgré des acidités faibles, sans agressivité, pour des bourgognes (pH entre 3,30 et 3,45).

Pour Patrice Joseph, des fermentations aussi longues « ne sont pas une aberration. Autrefois, les vins faisaient leurs Pâques : ils n'étaient pas finis à cette époque ».

Nicolas Maillet, du domaine du même nom, à Verzé, en est persuadé : « Pour faire des grands vins, il faut des fermentations longues. » Les siennes durent 8 à 18 mois. « J'ai le temps de voir venir. C'est confortable. Les vinifications se déroulent sans stress. Et en plus, elles me coûtent moins cher en intrants oenologiques », explique-t-il, alors que ses vendanges se terminent.

La première cuvée qu'il a récoltée vient tout juste de démarrer, 17 jours après être entrée en cave. Et pour cause : ses jus sont très clairs et maintenus à 12°C ! « Je les bride pour qu'ils ne perdent pas plus de deux points de densité par jour. » Une telle situation en inquiéterait plus d'un. Pas lui. « À force de vouloir tout sécuriser, les vignerons ne savent plus ce qu'ils sécurisent », proclame-t-il.

Ses vins finis présentent quelquefois une acidité volatile comprise entre 0,45 et 0,60 g de H2SO4/l qui exalte leur bouquet. « C'est même un atout », tranche-t-il. Et ses clients en redemandent.

Au final, Patrice Joseph recommande de se familiariser avec les fermentations spontanées en vinifiant d'abord une seule cuvée, puis au fil des ans d'augmenter progressivement en fonction de la capitalisation de l'expérience.

Deux fermentations simultanées

Au domaine Talmard, dans 30 % des cas, les malos débutent avant la fin des fermentations alcooliques des chardonnays. Le domaine des Poncétys est lui aussi habitué à voir les deux fermentations se dérouler simultanément sur ses vins blancs. Les malos démarrent souvent vers le 15 décembre lorsque les cuves sont entre 11 et 12°C. Dans bien des cas, elles « patinent », explique Frédéric Servais, le responsable technique. Dans les deux caves, la superposition des deux fermentations est suivie de près, mais n'entraîne pas de déviation.

Vinification en rouge, à chacun sa méthode

Au domaine des Poncétys, Frédéric Servais prépare toujours un pied de cuves pour ses gamays. Dix jours avant la date prévue pour les vendanges, il cueille 50 kg de raisin, qu'il place dans une cuve entre 25 et 28°C après un léger sulfitage. Il ajoute ce pied de cuve, dès l'encuvage de ses raisins foulés et égrappés. Durant la macération, il réalise un pigeage léger matin et soir pour enfoncer le chapeau et éviter les déviations organo-leptiques. Après décuvage, les vins sont élevés en fûts, pour une mise en août sans filtration, ni intrant, ni sulfitage. Au domaine Maillet, après une semaine de macération préfermentaire à froid, Nicolas Maillet réchauffe ses pinots noirs autour de 20 °C. Les fermentations démarrent alors, sans autre précaution. « Je n'ai jamais vu de fruits sucrés ne pas fermenter », dit-il confiant. Une fois les fermentations enclenchées, il réalise un remontage par jour, mais ne pratique pas de pigeage. Il suit les macérations un « verre à la main ». Celles-ci durent trois semaines à un mois, le temps d'extraire les tanins. La suite est un long éloge à la patience. Il attend en effet que ses vins se clarifient naturellement, avant de les embouteiller. Pour le plus grand plaisir de ses clients.

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