Titulaire d'un doctorat de gestion, Yann Chabin conduit ses recherches au sein du laboratoire MRM (Recherches en management) de l'université de Montpellier. Après avoir vécu aux États-Unis, il a engagé des travaux sur le pilotage stratégique des entreprises de la filière vin et sur la responsabilité sociétale, la performance durable et la compétitivité de ces entreprises.
Vous avez réalisé une étude pour le compte d'Inter Oc sur la perception des consommateurs de plusieurs pays à l'égard des messages de développement durable. Y sont-ils sensibles ?
Yann Chabin : Il y a une part de consommateurs qui l'est effectivement. En France, ils sont 21 %. En Allemagne, 16 %. Aux États-Unis, ils sont plus nombreux : un sur trois ! Sous l'influence des scandales alimentaires et de la répétition des catastrophes climatiques, cette préoccupation va continuer de progresser.
Ces messages ont-ils une réelle influence sur l'acte d'achat d'une bouteille de vin ?
Y. C. : Notre étude nous a permis de hiérarchiser les critères retenus par les consommateurs lors de l'achat d'un vin. En Grande-Bretagne, les qualités « durables » d'un vin ne participent qu'à hauteur de 0,4 % de l'acte d'achat bien après d'autres critères comme le prix, l'origine, la marque, le cépage, le statut de l'embouteilleur, la médaille, le degré d'alcool... ! Mais dans ce pays, ces qualités vraisemblablement considérées comme un prérequis rempli par l'enseigne. Les grandes chaînes de distribution Tesco et Sainsbury's sont, en effet, engagées en faveur du développement durable. En France, ce critère pèse pour 3,3 % dans le processus d'achat d'un vin. C'est loin derrière le cépage, (31 %), le prix (27 %), la marque (16 %) et la médaille (12 %). En Allemagne, en revanche, le poids du durable dans les critères de choix d'un vin grimpe à 8 % ! Au Québec, c'est 1 %. Comme en Grande-Bretagne, la Société des alcools du Québec est très engagée sur cette thématique. Pour preuve, les producteurs qui répondent à ses appels ont d'emblée un crédit de cinq points sur cent lorsqu'ils bénéficient d'une certification environnementale et sociétale. Cela représente un sacré avantage concurrentiel.
Peut-être... Mais votre enquête montre plutôt que les consommateurs se soucient peu de savoir si un vin a été produit dans le respect de l'environnement.
Y. C. : Il ne faut pas être aussi catégorique. Intéressons-nous aux consommateurs sensibles aux notions environnementales et sociétales. En Allemagne, ils sont 16 %. Pour eux, la notion de durable constitue le critère dominant de l'achat d'un vin, devant la marque, le cépage et le prix. Ce qui est loin d'être négligeable. En France, 21 % de personnes sont sensibles à ces sujets. Le « durable » pèse pour 8 % dans leurs critères de choix. La sensibilité aux questions environnementales et sociétales va croissant. Il y a fort à parier qu'elle prendra de plus en plus d'importance dans le choix des produits de grande consommation. Cela marche déjà. La marque de smoothies Innocent revendique des valeurs de durabilité. Et elle a de nombreux adeptes !
Concrètement, comment avez-vous avez testé l'intérêt des consommateurs pour les démarches durables ?
Y. C. : Nous leur avons soumis des bouteilles portant l'une des cinq mentions suivantes : verre allégé, bio, carbone zéro, Fair Trade et enfin Protect Planet, la marque de la cave coopérative Anne de Joyeuse, à Limoux (Aude). Et nous leur avons demandé s'ils étaient prêts à les acheter et à quel prix.
Quelles sont, parmi ces mentions, celles qui génèrent le plus d'intention d'achat ?
Y. C. : Surprise, au Canada anglophone, c'est Protect Planet qui suscite le plus grand nombre d'intentions d'achat ! Pourtant, il n'est pas présent là-bas. Mais, il fait sens. En France, le label bio recueille le plus grand nombre de suffrages et supplante tous les autres.
Au-delà de l'intention d'achat, les consommateurs sont-ils prêts à payer plus cher les vins qui se prévalent d'un message durable ?
Y. C. : Au Canada anglophone, les consommateurs valorisent Protect Planet de 0,78 dollars canadien. C'est 4 % du prix moyen d'une bouteille. Les New-Yorkais peuvent payer jusqu'à 20 % de plus une bouteille portant un message connoté durable. En France, il n'y a que le bio qu'ils acceptent de payer plus cher, jusqu'à un euro de plus. En Californie, c'est l'inverse. Un vin bio qui s'affiche en tant que tel perd de la valeur. S'il ne le revendique pas, il en gagne !
Pourquoi seul le label bio perce-t-il en France ?
Y. C. : En France, il y a un réel manque d'éducation du public au développement durable. De fait, les consommateurs ont du mal à accorder une valeur aux certifications existantes. L'Afrique du Sud, la Californie ou encore le Chili ont mis en place des programmes nationaux de développement durable. Les vins sud-africains engagés dans cette démarche bénéficient du certificat « Integrity and Sustainability » lorsqu'ils sont exportés. C'est pour rester dans la course qu'Inter Oc a voulu décliner la norme Iso 26 000, sur la responsabilité sociétale des entreprises, à la filière viticole.
Des viticulteurs, des coopératives s'engagent dans ces démarches de développement durable. Comment doivent-ils communiquer auprès des consommateurs ?
Y. C. :v La communication ne devrait pas porter prioritairement sur le produit. Elle doit s'étendre à l'entreprise. Les domaines et coopératives doivent montrer leur implication en faveur de l'environnement, leur ancrage au sein de leur territoire, leur engagement social... Le Château Larose Trintaudon, dans le Haut-Médoc, a ainsi créé la marque Vignoble Responsable. Des caves coopératives (Buzet, Vacqueyras, etc.) éditent aujourd'hui des rapports de développement durable. Ces initiatives me paraissent pertinentes. Mais toutes ces actions doivent être associées à un cahier des charges dont l'application est contrôlée par des organismes tiers. Larose Trintaudon est ainsi évalué par Afnor Certification.
Des attentes différentes
« Le niveau d'implication des consommateurs dans le vin ou dans l'environnement modifie leurs attentes en matière d'étiquetage sur les bouteilles de vin », assure Frédérique Jourjon, directrice de recherches à l'Esa d'Angers, et auteur de plusieurs études sur le sujet. En effet, les personnes fortement impliquées dans l'environnement réclament une information à ce sujet sur l'étiquette. À l'opposé, les amateurs de vin sont moins demandeurs et trouvent qu'il y a déjà trop d'informations. Frédérique Jourjon observe que les consommateurs ne cherchent pas spontanément d'informations environnementales lorsqu'ils choisissent un vin. Ils se concentrent sur les accords mets-vins, le prix, le cépage... S'il doit y avoir un label, il doit être très synthétique et visuel, plutôt sous forme de lettre ou d'une note globale, qui sera d'autant meilleure que le produit est respectueux de l'environnement.