Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Black-rot Les raisons d'un retour

INGRID PROUST - La vigne - n°269 - novembre 2014 - page 64

Le black-rot a surpris nombre de vignerons cet été, dans le Bordelais et dans le Gard. La maladie a bénéficié de conditions climatiques favorables mais a aussi profité d'une protection phytosanitaire insuffisante.
ATTAQUE DE BLACK-ROT Les baies touchées prennent d'abord une couleur café au lait, puis se dessèchent et deviennent noires.  ©  F. FONTAINE/CHARRIÈRE DISTRIBUTION

ATTAQUE DE BLACK-ROT Les baies touchées prennent d'abord une couleur café au lait, puis se dessèchent et deviennent noires. © F. FONTAINE/CHARRIÈRE DISTRIBUTION

SUR LES FEUILLES, la maladie provoque des taches d'abord grises puis brun clair, bordées d'un liseret brun foncé. De petites pustules noires apparaissent à la surface : les pycnides.  ©  C. WATIER

SUR LES FEUILLES, la maladie provoque des taches d'abord grises puis brun clair, bordées d'un liseret brun foncé. De petites pustules noires apparaissent à la surface : les pycnides. © C. WATIER

LES BAIES TOUCHÉES prennent une teinte brun-rouge livide, s'altèrent, se rident et se momifient. Elles se couvrent de pycnides. ©  CA DU GARD

LES BAIES TOUCHÉES prennent une teinte brun-rouge livide, s'altèrent, se rident et se momifient. Elles se couvrent de pycnides. © CA DU GARD

Le black-rot en a surpris plus d'un lors de cette campagne dans le Bordelais. « Nous avons constaté plus de symptômes foliaires que les années précédentes », indique Carine Delacroix, conseillère viticole à l'Adar de Branne-Libourne-Targon. « Habituellement, le black-rot ne nous cause pas trop de soucis, confirme Tristan Roze des Ordons, des Établissements Touzan, à Cestas (Gironde). Mais cette année, des vignes ont été contaminées tardivement et de façon plutôt inattendue. Fin juillet, nous avons pu observer jusqu'à 50 % de baies attaquées sur les grappes, à un moment où celles-ci sont pourtant moins sensibles à la maladie. »

Installation de la pourriture grise. Cette forte pression a favorisé l'installation de la pourriture grise. « En juillet, des grains momifiés à cause des attaques de black-rot ont constitué des supports carbonés pour le botrytis. Et les pluies n'ont pas arrangé la situation », relate Cédric Élia, directeur de l'Adar des Deux Rives.

Dans le Gard, le black-rot a touché les secteurs habituellement sensibles, comme les vallées de la Cèze, du Vidourle ou du Gardon. Mais il a aussi sévi dans des vignes du sud du département jusqu'ici épargné. Les premières contaminations ont eu lieu fin avril dans les parcelles sensibles. Les premières taches sont apparues mi-mai et les premiers symptômes sur les grappes début juillet.

Par la suite, tout cet inoculum s'est propagé à la faveur d'une pluie abondante, du 4 au 7 juillet. Vers la fin du mois, une nouvelle vague de symptômes s'est exprimée. Le 1er août, le service viticulture de la chambre d'agriculture a envoyé une alerte SMS à tous les abonnés au bulletin de santé du végétal. « Il fallait intervenir rapidement, note Jacques Oustric, responsable de l'équipe viticulture. Les vignerons ont alors appliqué des IBS homologués contre l'oïdium et le black-rot. Et, avec le retour d'un temps sec et d'un peu de vent, le vignoble a été protégé. Mais ceux qui n'ont pas traité ont eu des pertes de récolte. »

François Chiappin, technicien conseil à la CAPL (Coopérative agricole Provence-Languedoc), dans le Gard confirme : « La situation a été bien maîtrisée dans l'ensemble mais il s'en est fallu de peu. Le black-rot a posé un problème alors qu'on ne s'y attendait pas, car il avait fait sec en avril et en mai. »

Chez les vignerons bio, le black-rot a été d'autant plus menaçant qu'il n'existe aucun produit homologué contre la maladie. « Le black-rot a provoqué des pertes de récolte très localisées, avec des grappes entièrement attaquées. Mais, dans la majorité des cas, il n'y a pas eu de problème. Après la nouaison, pour contrôler la pourriture noire, il fallait juste passer à 400 g de cuivre métal et à 8 kg de soufre par hectare », signale Étienne Laveau, conseiller viticole bio à la chambre d'agriculture de la Gironde.

Des failles dans la protection. « Les vignerons bio ont bien géré la pression. Outre le cuivre et le soufre, nous avons préconisé des oligo-éléments comme le manganèse pour obtenir une protection qui tient la route », relève un distributeur.

En Bourgogne, en Champagne, en Alsace et en Val de Loire, le black-rot s'est en revanche plutôt fait discret cette année.

Pourquoi une telle virulence dans le Gard et dans le Bordelais ? Première explication : la météo. Les températures fraîches et les pluies fréquentes ont favorisé le champignon. Mais celui-ci a aussi « profité » de failles dans la protection. « Ce printemps, il n'a pas été nécessaire de démarrer tôt les traitements antimildiou. Faute de protection, le black-rot a pu se développer. À la floraison, la maladie avait ainsi pu contaminer des pédicelles », commente Cédric Élia. Cyril Cassarini, conseiller en viticulture bio à la chambre d'agriculture du Gard, a lui aussi constaté des dégâts dus à un démarrage trop tardif des traitements antimildiou : « Des vignerons ont eu des pertes de récolte car, en mai et début juin, ils ont confondu absence de mildiou et absence de black-rot. Or, la maladie était en embuscade. Quand ils ont appliqué du cuivre, c'était trop tard, surtout dans les zones de bordure de rivière, propices aux brouillards. »

« Les QoI très efficaces contre le black-rot ». Pour Tristan des Ordons, certains exploitants se sont fait surprendre « car ils n'ont pas utilisé de produits homologués contre la maladie ou suffisamment performants. Les QoI (pyraclostrobine, trifloxystrobine, krésoxim-méthyl) sont très efficaces contre le black-rot, mais ils sont limités à une application par an, conformément aux préconisations officielles. Ceci a des conséquences sur la recrudescence de la maladie. » Autre facteur qui a pu aussi jouer selon Cédric Élia : « En zone de lutte obligatoire contre la cicadelle de la flavescence dorée au moment de la floraison, il est interdit de mélanger un pyréthrinoïde avec un IBS (tébuconazole, difénoconazole...). Les vignerons ont donc cessé d'appliquer ces produits. Or, beaucoup sont homologués contre le black-rot. »

Les conseillers viticoles pointent également des lacunes dans la prophylaxie. « Une parcelle contaminée l'année précédente doit être assainie en enfouissant dans le sol les baies momifiées, et les feuilles mortes, et en brûlant les sarments. Cette année, la différence était très nette entre ces vignes nettoyées et d'autres, voisines, qui ne l'étaient pas », souligne Étienne Laveau. Dans le Gard, François Chiappin conseille aussi d'être vigilant si on pratique la taille rase de précision : « Cette taille mécanisée laisse en place les baies momifiées et les vieux sarments. Il faut les retirer à la main. »

Inciter les vignerons à la prudence. La lutte contre le black-rot ne doit pas être prise à la légère. Pour Jacques Grosman, l'expert national vigne, « la maladie est redevenue problématique ». Carine Delacroix incite donc les vignerons à la prudence : « Habituellement, la protection anti-black-rot passe un peu à la trappe. Or, les vignerons doivent utiliser des anti-mildiou ou anti-oïdium homologués aussi contre cette maladie. Le black-rot s'est rappelé à notre bon souvenir. Nous avons eu une année d'avertissement sans frais. Mais l'augmentation des symptômes durant cette campagne renforce l'inoculum de l'an prochain. »

Et donc les risques épidémiques, dès lors que les conditions climatiques sont favorables. Il affectionne particulièrement les longues périodes pluvieuses et douces. À l'avenir, il faudra le surveiller de près durant de telles périodes.

Cicadelles vertes Un seuil à revoir ?

 ©  C. WATIER

© C. WATIER

Dans le Bordelais, les cicadelles vertes ont occasionné des dégâts visuellement importants, alors même que les populations étaient en dessous du seuil de nuisibilité admis qui est de 100 larves pour 100 feuilles. « Dès la mi-juillet, nous avons observé des grillures importantes. Les populations de cicadelles ont été assez nombreuses. Les générations se sont succédé, indique Cédric Élia, conseiller viticole à l'Adar des Deux Rives. Les feuillages n'étaient pas jolis mais il ne semble pas y avoir eu d'impact sur la maturité. A priori, dans les vignes touchées, la production de sucres par les feuilles a été normale. Mais nous ferons une analyse globale à l'issue des vendanges. S'il y a eu un impact, il faudra revoir le seuil. » Jacques Grosman, expert vigne au ministère de l'Agriculture, rappelle que « la pression des cicadelles vertes a été faible ces dernières années et on a eu tendance à remonter progressivement les seuils de nuisibilité. Le niveau d'intervention est en tout cas à raisonner selon l'historique de la parcelle et l'objectif produit du vigneron. » En Val de Loire, ce seuil est inférieur à celui fixé à Bordeaux, puisqu'on n'accepte que 50 cicadelles pour 100 feuilles à la fermeture de la grappe. « Mais le risque dépend aussi de la vigueur et du cépage, note Sandrine Pairel, animatrice du Groupement de développement viticole de la Sarthe. Les cicadelles apprécient les feuillages foncés et l'ombre. Une parcelle peu vigoureuse et bien exposée comptant 100 larves pour 100 feuilles n'aura pas autant de dégâts qu'une autre située à l'ombre et plus feuillue. »

Le Point de vue de

NICOLAS VILLESSÈCHE, DOMAINE VILLESSÈCHE, 70 HA, POUGNADORESSE (GARD)

« Désormais, la maladie est installée et pourra réapparaître »

« C'est un gros orage survenu début juillet qui a déclenché les attaques de black-rot dans nos vignes. À la suite de ces intempéries, nous avons renouvelé la protection contre le mildiou et l'oïdium, mais sans utiliser un produit homologué contre le black-rot, car habituellement nous n'en avons pas. Puis la grêle a frappé le vignoble, le 20 juillet. Nous sommes allés constater les dégâts. C'est alors que nous avons observé beaucoup de grains noirs dans les grappes. Nous avons fait des recherches pour savoir ce que c'était. Il s'agissait de black-rot. Nous avons alors appliqué du Mayandra, à base de tébuconazole qui a permis de "rattraper" des contaminations. Mais la durée d'incubation du black-rot est de trois semaines et nous avons eu encore des symptômes. Dix jours après le tébuconazole, nous avons fait un traitement au mancozèbe. Deux semaines plus tard, nous avons appliqué du myclobutanil (Atomium). Puis nous avons eu à nouveau des orages et des pluies au moment de la véraison, qui ont provoqué un repiquage des foyers existants, sur les feuilles et les grappes. Mais finalement nous avons stoppé la maladie. La perte de récolte est de 30 % dans les zones les plus atteintes par le black-rot et la grêle. Lors de la taille, nous allons enlever les bois touchés et les brûler. Nous éviterons de prétailler à la machine les vignes où des grains momifiés sont restés. Désormais, la maladie est installée. Elle pourra réapparaître dans deux ou quatre ans si les conditions sont favorables et si nous négligeons la protection. »

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :