Le greffage en place consiste à planter d'abord le porte-greffe puis à le greffer à la main avec le cépage voulu. Encore pratiqué dans les années 1970, il a progressivement été abandonné. Aujourd'hui, la majorité des plantations se fait avec des greffés-soudés. Mais des vignerons s'intéressent à nouveau au greffage en place. Ils espèrent qu'ainsi ils auront moins de maladies du bois dans leurs jeunes vignes. Ce regain d'intérêt est aussi porté par des vignerons en bio qui veulent maîtriser leur matériel végétal.
Les prestataires spécialisés dans le greffage constatent une progression de la demande. « Entre 2012 et 2014, le greffage en place est passé de 3 à 5 % de notre chiffre d'affaires », relève Marc Birebent, directeur de Worldwide Vineyards, une entreprise basée à Carnoules, dans le Var. « Depuis quelques années, je suis davantage sollicité, que ce soit pour des chantiers de greffage ou des formations », note de son côté François Chaudière, fondateur de l'Épibiote, prestataire de greffage basé à Pézenas, dans l'Hérault.
L'implantation se fait en deux étapes. On plante d'abord les porte-greffes. Ceux-ci doivent bien s'enraciner avant d'être greffés. « Dans le Midi, lorsque la vigueur est bonne, un à deux ans suffisent. Plus au nord, il faut compter deux à trois ans », précise Marc Birebent. Une fois la greffe réalisée, la pousse est rapide, car le système racinaire est déjà installé. « Avec un greffage en place en troisième feuille, j'ai obtenu dès la quatrième feuille une production équivalente à celle que j'aurais eue avec des greffés-soudés du même âge », estime Agnès Henry-Hocquard, du domaine de la Tour du Bon, au Brûlat-du-Castellet, dans le Var.
Le principal inconvénient de cette technique reste son coût. En prestation, le tarif varie de 1,85 € à 2,60 € par greffe. Il faut y ajouter le prix du porte-greffe raciné, autour d'un euro la pièce, et celui des greffons s'ils sont achetés à un pépiniériste. À l'arrivée, le coût est multiplié par deux ou trois par rapport à des greffés-soudés.
Greffer soi-même revient moins cher. Mais cela prend beaucoup de temps, et nécessite un savoir-faire ainsi que de la rigueur. Avec la greffe en fente, les greffeurs expérimentés obtiennent un taux de réussite de 80 à 90 %. Avec la greffe au bourgeon, celui-ci atteint 90 à 95 %. « Les résultats varient d'une année sur l'autre », note Éric Noémie, conseiller du GDA du cru Banyuls où le greffage en place se pratique encore ponctuellement.
Laurent Escapa, un des trois associés du domaine La Casa Blanca, à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), a ainsi planté une parcelle de syrah de 25 ares en 1998. « J'ai testé le greffage en place pour essayer de réduire le dépérissement. Pour le moment, j'ai eu moins de 10 % de mortalité, alors que dans une autre parcelle plantée avec des greffés-soudés, j'en suis à plus de 30 % », note-t-il. Ce vigneron a réalisé lui-même le greffage en fente, après s'être formé avec le GDA. « Il faut ensuite acquérir de l'expérience. Aujourd'hui, j'approche les 90 % de reprise. »
Le greffage en place intéresse aussi les vignerons qui veulent utiliser leurs sélections massales pour conserver la complexité de leurs vins. « J'ai ainsi fait planter une parcelle de 60 ares de mourvèdre. Le prestataire a sélectionné les greffons dans la vieille vigne juste à côté et les a greffés en fente sur les racinés que nous avions plantés trois ans auparavant », raconte Agnès Henry-Hocquard. Le chantier a duré une semaine. Le taux de reprise a été de 86 %. Deux de ses salariés, à qui elle a assuré une formation, ont complété ensuite la plantation. « Cela a un coût. Il faut se rendre disponible au printemps. Mais ces ceps, ce sont des enfants du domaine. Ils amènent une belle continuité qualitative. »
La technique est particulièrement intéressante pour la complantation. « Les racinés, avant d'être greffés, peuvent consacrer toute leur vigueur à faire leur place au milieu des racines des autres ceps plus âgés », constate Laurent Escapa. Il plante ceux-ci en janvier et les arrose un peu pour amener de la terre fine autour des racines. Ensuite, il n'a plus besoin d'arroser, car ils bénéficient des pluies de l'hiver. Il les greffe un ou deux ans après, « en mars, au début de la montée de sève, tant que le sol est encore humide et qu'il ne fait pas trop chaud », précise-t-il. Il recouvre le point de greffe par une butte de terre qui conserve l'humidité et dispense d'arrosage. « Dans les vignes difficiles d'accès, c'est un gros avantage. »
Le travail est très physique, car il faut se pencher au ras du sol pour bien voir ce que l'on fait. « Durant deux semaines, je greffe près de 80 ceps par jour. C'est intensif pour le dos ! Mais quand je vois de belles pousses de 50 ou 60 cm sortir au printemps, c'est une satisfaction. »
Trois techniques de greffage à la main
La greffe en fente. Elle se réalise en mars ou avril. Le greffeur sectionne le porte-greffe au-dessus du sol, puis le fend. En fonction de son diamètre, il insère un ou deux greffons taillés en biseau dans la fente. Après ligature, il recouvre la greffe d'une butte de terre bien tassée, qui conserve l'humidité. Cette méthode est adaptée aux situations dans lesquelles il est difficile d'arroser. Mais si la greffe ne prend pas, il faut arracher le porte-greffe et en replanter un avant de regreffer.
Les greffes au bourgeon. On distingue la T-bud et la chip bud.
- Dans le premier cas, le greffeur prélève un oeil sur la variété à multiplier et l'insère dans une fente en T sur le côté du porte-greffe.
Il faut ensuite bien ligaturer. Cette méthode se pratique autour de la floraison, lorsque la montée de sève facilite le décollage de l'écorce.
- La greffe en chip-bud est plus technique. Elle peut être réalisée durant dix semaines après le débourrement. Le greffeur pratique une encoche sur le porte-greffe et donne la même forme au greffon pour que celui-ci se cale bien dans l'encoche avant d'être ligaturé. Avec les greffes au bourgeon, le porte-greffe conserve un tire-sève. Si la greffe ne prend pas, il est possible de le regreffer l'année suivante.
Un impact sur les dépérissements
Dépérissement de la syrah. « Dans deux essais observés de 1997 à 2011, nous avons constaté que le greffage en place repoussait de sept à huit ans l'apparition des symptômes du dépérissement, sans les éviter totalement. À long terme, la prévention la plus efficace reste d'utiliser des clones peu sensibles à ce problème », note Anne-Sophie Spilmont, de l'IFV.
Maladies du bois. Dans un réseau de 49 parcelles de Gironde et du Midi méditerranéen, Vitinnov a effectué en 2013 et 2014 un suivi des symptômes de l'esca. « Nous avons observé chez les mêmes vignerons des parcelles greffées en place et des parcelles plantées avec des greffés-soudés formés par greffe anglaise ou par greffe oméga. Nous avons constaté des différences la première année. Si elles se confirment la deuxième année, nous mettrons alors en place des essais comparatifs de longue durée », explique Coralie Laveau, directrice de Vitinnov, à Bordeaux, en Gironde.