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VIN - POUR APPROFONDIR

La chauffe des barriques Toute une alchimie

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°269 - novembre 2014 - page 74

C'est, avec la sélection des bois, l'étape la plus déterminante pour le style d'une barrique. Malgré cela, il n'existe aucune norme commune à la profession. Chaque tonnelier suit sa recette héritée d'une longue expérience.
 © M. JOLY

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Chaque tonnelier définit lui-même les durées et les degrés de la chauffe. © M. JOLY

Chaque tonnelier définit lui-même les durées et les degrés de la chauffe. © M. JOLY

 © S. MOREAU (FOND SCHÉMA)

© S. MOREAU (FOND SCHÉMA)

Le cintrage intervient après la première chauffe au cours de laquelle la température ne dépasse pas 150 °C. © RADOUX

Le cintrage intervient après la première chauffe au cours de laquelle la température ne dépasse pas 150 °C. © RADOUX

Pourquoi chauffer les barriques ?

Pour deux raisons : assouplir le bois, pour permettre son cintrage, et développer des composés aromatiques qui contribuent à la complexité des vins. Depuis les années quatre-vingt-dix, à la suite de travaux menés par Seguin Moreau, la plupart des tonneliers différencient la chauffe de cintrage, dont les fins sont mécaniques, de la cuisson oenologique, baptisée bousinage. Aujourd'hui, la chauffe se décompose en trois temps : une première phase assez rapide, dite de cintrage, durant laquelle la température à l'intérieur de la barrique est portée de 120 à 150 °C et où les fûts sont généralement mouillés pour faciliter le cintrage ; une préchauffe entre 180 et 190 °C ; et la cuisson oenologique durant laquelle les températures sont les plus hautes (de 220 à 240 °C). C'est surtout cette dernière phase qui déterminera le style de la barrique avec une proportion plus ou moins élevée d'arômes grillés et toastés.

Comment la chauffe se fait-elle ?

La chauffe traditionnelle au brasero reste la plus répandue. La source de chaleur est un feu de bois alimenté par des chutes de chêne. L'intensité de la chauffe varie en fonction du diamètre du brasero, de sa géométrie (avec ou sans trous), de l'alimentation en bois, de la pose ou non d'un couvercle sur le haut de la barrique. Traditionnellement, la chauffe bordelaise était fermée et donc plus intense que la chauffe bourguignonne, ouverte. Mais la tendance va vers des chauffes plus douces. La chauffe fermée se perd progressivement.

Y a-t-il de nouveaux procédés ?

Oui. Certains tonneliers ont développé des variantes de cette chauffe traditionnelle avec un procédé d'immersion des barriques avant la chauffe. Les douelles sont ainsi saturées d'eau et le chauffage est plus doux, l'eau amortissant l'effet de température.

Plus récemment, des systèmes de chauffe par radiation ont été développés. Pour son modèle Paradox, la tonnellerie Demptos utilise une chauffe par convection où le bois n'est plus en contact avec les flammes. Le feu de bois chauffe une gangue métallique, qui rayonne vers le bois. La tonnellerie Vinéa a, quant à elle, mis au point une chauffe à la céramique. Ce procédé permet de cuire le bois en profondeur sans le brûler. Il brunit très peu. Selon Vinéa, il apporte de la sucrosité plutôt que des notes fumées.

Il y a quelques années, Seguin Moreau a testé la chauffe électrique, mais les essais n'ont pas été concluants car ils n'ont jamais donné la richesse qualitative de la chauffe artisanale au brasero.

Que se passe-t-il pendant la chauffe ?

Des composés aromatiques se forment. Le bois est essentiellement constitué de composés glucidiques (cellulose, hémicellulose) et polyphénoliques (lignine et tanins).

Ces deux familles de composés sont des polymères qui se dépolymérisent quand on les chauffe. Cellulose et hémicellulose sont des sucres (pentose et hexose) qui donnent naissance à des composés à caractère grillé/caramel : cyclotène, maltol, dihydromaltol, furanéol. La lignine, qui a besoin de plus de chaleur pour se dégrader, libère dans un premier temps des phénols simples comme la vanilline (arôme de vanille), le syringaldéhyde... Si on maintient une température élevée, ces deux composés se transforment à nouveau. La vanilline se dégrade en gaïacol, le syringaldéhyde en syringol, tous deux conférant des notes épicées et fumées.

Une troisième dégradation de ces composés peut se produire sous l'effet de la température avec formation de composés tirant sur le côté minéral, cendré, pierreux. La chauffe a également un effet sur les tannins du bois dont elle fait baisser la concentration.

D'où viennent les notes de torréfaction ?

De la réaction entre les sucres polymérisés et les acides aminés du bois. Cette réaction conduit à la formation de mélanoïdes qui, sous l'effet de la chaleur, se transforment en petites molécules azotées, très nombreuses, qui donnent les arômes de torréfaction : café, chocolat, grillé...

La chauffe est-elle standardisée ?

Non, il n'existe aucune codification au sein de la profession. Même si les notions de chauffe légère, moyenne ou forte sont adoptées par tous les tonneliers, elles ne correspondent à aucun standard. Chaque entreprise définit elle-même ses degrés et durées de chauffe. Ces données relèvent du secret de fabrication et sont jalousement gardées. L'atelier de chauffe est d'ailleurs un espace que les tonneliers ne font jamais visiter à leurs confrères. « La chauffe, c'est la patte du tonnelier. Comme les grands chefs qui ont leurs recettes et leur tour de main, nous donnons un style à nos barriques, notamment à travers la chauffe. La variabilité de la matière première et des process de chauffe contribuent à l'extraordinaire diversité des styles de fûts proposés sur le marché », expliquent les tonneliers.

Est-elle reproductible ?

C'est un sujet sur lequel les tonneliers ont beaucoup travaillé ces dernières années. Autrefois, la méthode était empirique et basée sur l'évolution de la couleur des fûts. Les recherches ont porté sur la calibration des diverses chauffes pour garantir des résultats constants pour un même type de chauffe. Aujourd'hui, la plupart des tonneliers ont mis en place des protocoles précis et contrôlables. Chaque chauffe est définie par une courbe d'évolution de la température dans le temps. Des sondes ou des pistolets à infrarouge permettent de mesurer la température dans le foyer du brasero et dans le bois. Malgré ces protocoles, le savoir-faire du tonnelier reste prépondérant pour tenir compte des aléas et autres imprévus. La montée en température des fûts dépend en effet de la météo, de la température initiale des douelles, de la qualité des bois... « Lors de nos contrôles, nous nous sommes rendu compte que nos tonneliers étaient capables d'évaluer, à 0,5 °C près, la température de surface de la face externe des fûts, avec leur paume de main ou leur avant-bras », confie Nicolas Vivas, de la tonnellerie Demptos. Chaque entreprise a d'ailleurs son équipe de tonneliers dédiée à la chauffe.

Pourquoi des cloques apparaissent-elles ?

Parce que 63 % du volume du bois est constitué d'air. Sous l'effet de la chaleur cet air se dilate et prend plus de place. Cet effet est renforcé par la présence d'humidité qui, avec la chaleur, se transforme également en vapeur. Si la montée en température est très rapide ou si la chauffe très intense, cet air n'a pas le temps de s'évacuer. Les tissus du bois se soulèvent et forment des cloques. Elles sont souvent considérées comme des nids à microbes, car elles renferment de petites quantités de vin, quand on vide les fûts. Mais les observations réalisées à l'aide d'un microscope électronique à balayage par la tonnellerie Demptos ont montré que ces aspérités ne présentent pas plus de micro-organismes que des parties de douelles intactes. Les barriques sur lesquelles apparaissent des cloques ne sont donc pas plus redoutables que les autres sur le plan microbiologique.

Quelle chauffe pour quel vin ?

Les tonneliers sont unanimes : il n'y a pas de règle absolue en la matière. C'est au vigneron de se faire son opinion en dégustant chez des confrères et en menant ses propres essais. Les tonneliers l'orienteront vers un ou plusieurs types de chauffe en fonction du style de vin qu'il veut obtenir. En règle générale, les chauffes les plus douces conviennent mieux aux vins les plus délicats ou très mûrs dont elles respectent le fruit. Les plus fortes s'adaptent plus à des vins moins mûrs dont elles pourront atténuer les notes végétales et « arrondir les angles ».

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