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À l'école du vin de Bordeaux, le 25 octobre 2014 La dégustation comme un jeu

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°269 - novembre 2014 - page 84

POUR LES FORMATEURS DE CETTE ÉCOLE, la dégustation est une sorte d'enquête, de jeu de piste. Les participants oublient leur appréhension. En deux heures, ils découvrent les indices leur permettant de décrire un vin, pour bien l'apprécier et l'accompagner du plat adéquat.
La formatrice Elsa Lejeune, prépare des mouillettes imbibées des arômes que les élèves devront reconnaître. PHOTOS :  P. ROY

La formatrice Elsa Lejeune, prépare des mouillettes imbibées des arômes que les élèves devront reconnaître. PHOTOS : P. ROY

Le vin liquoreux est dégusté en dernier car ses arômes et ses sucres très puissants anesthésient les papilles gustatives.

Le vin liquoreux est dégusté en dernier car ses arômes et ses sucres très puissants anesthésient les papilles gustatives.

Guylaine, élève d'un jour, s'exerce à reconnaître les arômes des crayons odorants qu'Elsa a distribués à tous les participants.

Guylaine, élève d'un jour, s'exerce à reconnaître les arômes des crayons odorants qu'Elsa a distribués à tous les participants.

Samedi 25 octobre, 14 h 45 : dans le hall du CIVB, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, Frédéric, 35 ans, fait le pied de grue. Ce responsable d'affaires dans un groupe ATP est venu de la commune girondine de Léognan suivre un atelier d'initiation à la dégustation des vins de Bordeaux. « Je ne sais pas identifier les vins. Je voudrais mieux les connaître », lâche-t-il. Hubert, 63 ans, retraité, arrive de Vendée pour « essayer de différencier un médoc d'un pessac-léognan ». En attendant, un groupe se forme. Ils sont 26 hommes et femmes de tous âges, prêts à intégrer l'École du vin de Bordeaux pour deux heures d'initiation à la dégustation.

15 heures. Chacun prend place à une table. Face aux élèves d'un jour : un verre, un crachoir et une lampe. La formatrice, Elsa, les met aussitôt dans le bain en leur proposant un exercice. Il s'agit de sentir quatre stylos odorants pour identifier leur odeur. Un questionnaire aide à trouver des indices. Les participants ont dix minutes pour indiquer l'intensité de l'odeur, si elle est agréable, familière, si elle évoque un souvenir particulier, sans oublier de la décrire.

C'est parti pour la découverte des arômes. On n'entend pas une mouche voler. La concentration, à son comble, est troublée par l'arrivée d'un retardataire. La formatrice l'installe comme elle peut, en bout de table. Amélie, 23 ans, étudiante en droit, ne se laisse pas déconcentrer. « Je crois avoir trouvé des odeurs de rose et de clou de girofle », précise-t-elle. Pour Guylaine, 42 ans, psychologue, venue de Charente-Maritime, l'affaire est compliquée. « J'aime le vin mais je n'y connais rien. Je n'ai pas de mots pour définir les arômes », confie-t-elle. À plusieurs reprises, elle approche le stylo olfactif de son nez sans reconnaître la moindre odeur. « Plus j'essaie, moins je trouve. C'est difficile. »

Elsa sonne la fin de l'exercice. La formatrice demande aux participants quels arômes ils ont perçus. Dans un joyeux brouhaha, les qualificatifs fusent : du fruit, du grillé, du brûlé. Et pour le premier stylo ? demande Elsa. Les doigts se lèvent. C'est une fleur lance l'un, une rose lâche un autre. Exact. Pour le second stylo, Elsa donne un coup de pouce : « Pensez au dentiste ». Eh oui, c'est l'odeur du clou de girofle. Le troisième stylo évoque l'herbe coupée, « une note végétale qui, selon son intensité, peut être désagréable ». Pour le dernier stylo, on laisse aller son imagination : odeur de champignon, d'oignon, de selle de cheval en sueur, pour finir avec le cuir. « C'est cela. Attention, le cuir peut être lié à un défaut », prévient Elsa.

Vient le moment clé, la dégustation. Premier vin : un blanc, Château Barbé, un blaye-côtes-de-bordeaux 2013. Elsa donne les consignes : d'abord la technique du rétronasal. Tout en faisant aller et venir le vin dans la bouche, il faut aspirer un filet d'air puis l'expulser par le nez. Cela permet de faire remonter les arômes vers la muqueuse nasale. Catherine, professeur d'anglais à Clermont-Ferrand, a du mal avec cette technique. « Je n'y arrive pas. Je ne sais pas respirer », déplore-t-elle.

Ensuite, il faut définir la teinte du vin dans la palette des jaunes. Est-il jaune vert, jaune pâle, or blanc ou paille ? Pour cela, il faut pencher le verre sous la lampe et ne pas faire d'emblée des moulinets avec le poignet. On s'accorde sur un jaune vert. Au passage, Elsa rappelle les fondamentaux : si le vin est jeune, prévoyez une carafe large, ample. Si le vin est vieux, sensible à l'oxydation, prenez une carafe resserrée.

Au mur, une grande carte des vins de Bordeaux. Elsa explique les AOC, la diversité des sols selon que l'on est sur la rive droite de la Dordogne, entre Garonne et Dordogne ou sur la rive gauche de la Garonne. Elle enchaîne sur les cépages et les six familles de vins de Bordeaux. Son débit est rapide. Le temps file. Il est déjà 16 h 15 : « Il y a beaucoup de participants, je ne peux pas m'attarder dans les détails », nous explique-t-elle plus tard.

On vide son verre. Une gorgée d'eau et c'est parti pour le second vin : un rouge, Château de Broglie, côtes-de-bourg 2010, médaille d'or 2013 au challenge international du vin. La couleur rouge rubis fait des adeptes. « Est-on sur du fruit rouge ou sur du cassis ? » Aïe ! Aucun participant ne sait répondre. Un brin maternelle, la prof se veut rassurante : « Ce n'est pas grave si vous ne trouvez pas. » Et les tanins ? Sont-ils soyeux ou astringents ? Pour expliquer la rugosité d'un tanin, elle fait référence au crépi d'une maison : « Ce côté râpeux du mur évoque l'astringence et la rugosité du tanin. » La leçon est reçue cinq sur cinq : ce vin n'est pas astringent. Ouf !

Le troisième vin est un cru bourgeois 2009, un moulis-en-médoc du Château Guitignan, médaille d'or au concours de Bordeaux 2012. Couleur plus chaude ? Oui. Des arômes plus confits ? Oui, répond l'assistance. L'ambiance est de plus en plus joyeuse et dissipée.

Le quatrième vin est un liquoreux, un cadillac 2010 du Domaine du Vic. Elsa évoque le fameux botrytis. Tous sont imbattables sur les arômes de coing et de miel. Un jeune homme veut savoir quel est le meilleur bouchon. La formatrice est catégorique : « La capsule à vis, c'est le top. Pourtant, en France, c'est un sujet tabou. Le marché n'est pas prêt. »

Amélie s'interroge sur les accords mets et vins. Pourquoi pas ce cadillac avec un fromage bleu ou un roquefort ? Histoire de sortir du sempiternel foie gras. Mais retenez bien la règle d'or : le vin ne doit pas cannibaliser le met et vice versa. C'est le dernier conseil délivré par la formatrice. Il est 17 heures. Avant de quitter la salle, les participants remplissent un questionnaire de satisfaction. Catherine salue la pédagogie de la formatrice : « J'ai beaucoup appris. Mais il y a beaucoup d'informations à ingurgiter en trop de peu de temps. » Michel, le retardataire mal assis en bout de table, n'est pas rancunier. « C'était vraiment intéressant », reconnaît-il.

Les vins dégustés

Château Barbé

C'est un blaye-côtes-de-bordeaux blanc, à base de cépage sauvignon, frais et vif.

Château de Broglie

Ce côtes-de bourg issu de vieilles vignes de merlot et de cabernet franc offre des notes de fruits rouges et des tanins soyeux.

Château Guitignan

Ce moulis est le seul vin boisé dégusté ce jour-là. Plus mûr, plus confit que le côtes-de-bourg, il présente des arômes de fruits noirs.

Domaine du Vic

Ce cadillac a des notes de coing et d'acacia. La formatrice de l'école du vin, conseille de le boire, comme tous les liquoreux, en fin de repas plutôt qu'à l'apéritif car le sucre anesthésie les papilles.

DEBRIEFING

Lors d'une dégustation :

utilisez des supports pour vos explications. Une grande carte des appellations de votre région, situant votre exploitation, aidera vos visiteurs à se repérer et vous permettra d'illustrer votre discours. Dans le même esprit, vous pouvez montrer des photos ou des dessins de fruits, de fleurs ou d'épices pour aider vos interlocuteurs à identifier les arômes présents dans vos vins.

Donnez des explications simples.

Lorsque vous parlez de cépage, n'hésitez pas à rappeler qu'il s'agit d'une variété de vigne. De même, expliquez que la vinification, c'est l'ensemble des opérations permettant la transformation du raisin en vin.

Illustrez vos propos. Par exemple, pour expliquer qu'un vin n'a pas de longueur en bouche, dites qu'à peine avalé, son goût disparaît.

Attention à ne pas noyer votre auditoire avec un trop-plein d'informations. Le risque qu'il n'assimile pas tout est bien réel.

Le Point de vue de

ELSA LEJEUNE, 37 ANS, FORMATRICE EN DÉGUSTATION DEPUIS DEUX ANS AU CIVB

« J'essaie de décomplexer mon auditoire »

« Je reste ludique. J'utilise un vocabulaire basique, avec des images qui parlent aux participants, comme le crépi d'une maison pour évoquer la rugosité du tanin. J'essaie de les faire "jouer". Je leur pose des questions. Je leur donne des indices. C'est un peu comme un jeu de piste et ça marche. Très vite, des gens d'horizons différents, qui ne se connaissent pas, échangent leurs impressions et leurs commentaires. Je m'adapte à mon auditoire. J'essaie de les faire rire, et j'évite de jouer au professeur. Ça permet de décomplexer l'assistance et de briser la glace. Certains veulent du formel et du rigide dans cette initiation des vins de Bordeaux. Mais pour beaucoup, il s'agit d'apprendre de façon décontractée. Dans l'initiation, il y a une part de psychologie importante. Il m'arrive "d'aller chercher" ceux qui n'osent pas s'exprimer. Il faut vraiment faire sauter l'a priori que peut avoir quelqu'un. Ainsi, je mets l'accent sur le fait que les vins de Bordeaux, ce ne sont pas que des grands crus et qu'il y a aussi des vins de très bon rapport qualité-prix. »

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