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Magazine - Histoire

Période : Première Guerre mondiale Lieu : France Le vin, soutien capital des poilus

FLORENCE BAL - La vigne - n°269 - novembre 2014 - page 115

Dans l'enfer des tranchées, le vin, utilisé comme instrument de propagande par l'état-major, a été abondamment distribué aux hommes du front pour qu'ils puissent supporter l'horreur.
 PHOTOS :  HISTORIAL DE LA GRANDE GUERRE, PERONNE - Y. MEDMOUN

PHOTOS : HISTORIAL DE LA GRANDE GUERRE, PERONNE - Y. MEDMOUN

Le 2 août 1914, 3,7 millions de Français sont mobilisés. Le lendemain, l'empire allemand déclare la guerre à la France, alliée de la Russie. Fin septembre, la nation déplore déjà 300 000 morts. La guerre des tranchées s'installe sur un front de 800 km. Annoncée « courte et glorieuse », elle sera longue et horrible.

À l'époque, personne à l'arrière ne sait ce que vivent les soldats. Alors qu'ils ont ordre de se faire tuer plutôt que de reculer, entre souffrance et épouvante leurs conditions de vie sont exécrables. Dans les tranchées, les poilus survivent dans la boue, au milieu des rats, de la vermine, des poux, dans la peur des assauts et des armes chimiques. Ils ne peuvent même pas aller aux toilettes sans risquer leur peau. Aux injonctions des officiers, ils se jettent dans l'enfer du no man's land... les obus explosent, ils tombent comme des mouches. Dans les tranchées, l'eau manque ou est souillée, ils crèvent de soif. Pour supporter l'insupportable, reste la gnôle et le vin. Le « pinard » va être ainsi distribué abondamment pendant toute la durée du conflit.

« Le vin a été pour les combattants le stimulant bienfaisant des forces morales comme des forces physiques. Ainsi a-t-il largement concouru à sa manière à la victoire », écrira le maréchal Philippe Pétain en 1935. La ration réglementaire passera de 0,25 l de vin par jour et par soldat au début de la guerre, à 0,5 l en février 1915 puis 0,75 l en 1918. Les hommes ont en outre droit à 1/16 l par jour de gnôle ou d'alcool. Et puis il y a « des rations fortes » supplémentaires que le commandement distribue souvent avant les assauts. En réalité, les soldats boiront bien davantage.

Le vin n'est pas considéré alors comme un alcool mais comme une boisson hygiénique. « Boisson aliment », il titre de 8 à 9° et apporte des calories aux soldats, il est microbicide et fortifiant. Les médecins des armées et l'Académie de médecine le préconisent. Il remonte le moral, c'est un stimulant qui fait passer le cafard.

« Le vin est considéré comme une boisson nationale, identitaire. À travers lui, c'est la France que l'on boit, explique Charles Ridel, chercheur et professeur agrégé d'histoire. Beaucoup de poilus diront soixante-dix ans après : "Sans le vin je n'aurais pas pu tenir". Le vin les renvoie à leur vie civile d'avant-guerre, les humanise. Aller chercher ou boire du vin est un moment d'évasion, où ils quittent leur condition de combattants rendus bestiaux par la guerre. Le vin est également une façon pour l'armée de gérer les liens hiérarchiques. Le commandement rétribue le sacrifice du soldat - le don de sa vie -, par des distributions supplémentaires de vin. »

Dès 1914, l'état-major livre du champagne aux soldats lors du réveillon de fin d'année. En 1916, pour la fête nationale, il distribue le champagne de la victoire, une bouteille pour quatre soldats. Très vite le vin va être personnifié par le « père Pinard ». Il devient un symbole « du bon vin français » qui fait tenir les hommes contre le « sale alcool boche ». La propagande de l'armée s'en empare : sur des cartes postales et affiches publicitaires, l'armée diffuse des images de poilus un quart à la main, dans des moments de convivialité. Bien loin de la réalité, elle montre que les soldats sont bien traités. Des chansons militaires fleurissent dont La Madelon : « Quand Madelon vient nous servir à boire ». De nombreux chants et poèmes ayant pour thème « le pinard » sont écrits par les poilus eux-mêmes, comme L'Ode au pinard apparue en 1915 et qui en résume bien l'esprit : « Salut ! Pinard. [...] Grand Élixir du militaire ! [...] T'es à la fois plaisir et r'mède, quand t'es là, on s' sent veinard ; Tu nous consol' et tu nous aides ». Ce vin est « louche », « vaseux », il pue « l'phénol ou ben l'purin ». Mais à travers lui, chacun revoit « l'Pays », « son pat'lin », « sa p'tit'maison », « sa douc'promise », « les p'tits » ou « la vieill'mère », « Et l'on s'sent chaud sous les paupières ».

Le 11 novembre 1918, à 11 heures, l'Armistice est signé. Le vin devient symbole de la victoire dont tout le monde connaît le prix. Dix millions de morts, le double de blessés, toutes les familles endeuillées et 3 millions d'hectares à jamais incultivables, souillés par les armes chimiques.

Sources : Apocalypse, la Première Guerre mondiale, documentaire de D. Costelle et I. Clarke ; Le Vin à travers les âges, de J.-F. Gautier, « L'Armée et les boissons alcoolisées entre 1914 et 1918 : des liaisons dangereuses ? » par Charles Ridel, lors du colloque « Manger et boire en 14-18 », organisé par la bibliothèque municipale de Dijon en novembre 2014.

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