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VIGNE

Le retour des troupeaux dans les vignes

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°270 - décembre 2014 - page 30

En hiver, des vignerons font pâturer des brebis, des vaches ou encore des ânes dans leurs vignes pour tondre et apporter de la vie microbienne au sol. Quatre d'entre eux témoignent de leur expérience.
LES VACHES HIGHLANDS de Marc Castan ont dû s'habituer à la végétation méditerranéenne. « Elles trient et mangent la roquette en dernier car elle a un goût piquant », observe le jeune vigneron, installé dans l'Aude.  © F. EHRHARD

LES VACHES HIGHLANDS de Marc Castan ont dû s'habituer à la végétation méditerranéenne. « Elles trient et mangent la roquette en dernier car elle a un goût piquant », observe le jeune vigneron, installé dans l'Aude. © F. EHRHARD

CHEZ JOSEPH ET BERNADETTE ARBO, à Francs, en Gironde, ce troupeau pâture depuis plus de vingt ans dans les vignes l'hiver. L'enherbement naturel s'est enrichi et compte aujourd'hui près de 80 espèces. © VIGNOBLES ARBO

CHEZ JOSEPH ET BERNADETTE ARBO, à Francs, en Gironde, ce troupeau pâture depuis plus de vingt ans dans les vignes l'hiver. L'enherbement naturel s'est enrichi et compte aujourd'hui près de 80 espèces. © VIGNOBLES ARBO

Vignobles Arbo (Gironde). Des brebis qui retardent la première tonte

« Depuis plus de vingt ans, un voisin éleveur vient faire pâturer ses brebis dans nos vignes, qui sont enherbées sur le rang et l'interrang. Elles tondent l'herbe à ras avant le débourrement. Nous pouvons ainsi retarder la première tonte de plusieurs semaines. Au printemps, quand tout se bouscule, c'est appréciable », expliquent Joseph et Bernadette Arbo, qui cultivent 40 hectares de vignes à Francs, en Gironde.

Durant l'hiver, cet éleveur conduit son troupeau sur plusieurs propriétés. Il est inutile de clôturer les parcelles car il garde ses 120 brebis avec ses chiens. « Chez nous, entre novembre et mars, elles entretiennent 27 ha, les autres parcelles étant trop éloignées », précise Joseph. L'enherbement naturel compte près de 80 espèces de plantes et fournit une bonne ressource fourragère.

« Quand j'ai fini la taille dans une parcelle, je broie rapidement les sarments pour que le troupeau puisse y revenir », précise Joseph. Au cours de la journée, l'éleveur déplace ses bêtes dans plusieurs parcelles, ce qui limite le piétinement. « Les brebis ne laissent pas assez de crottes pour que ce soit une vraie fumure. Mais elles amènent de la vie microbienne ainsi que des graines provenant des fourrages consommés. Tout cela améliore la biodiversité », note Joseph, engagé dans la protection raisonnée.

Il n'y a pas d'échange d'argent mais seulement de services entre l'éleveur et lui. « Mes vignes sont bien tondues sans que j'aie à sortir le tracteur durant cette période. L'éleveur, de son côté, dispose d'une ressource fourragère gratuite. » Le troupeau, bien surveillé, ne provoque pas de dégâts. « Il vient même pâturer au printemps dans les tournières que, du coup, je n'ai plus besoin de tondre », précise Joseph. Mais, à cette période, il faut rester vigilant, les jeunes pousses de la vigne étant particulièrement tentantes pour les brebis.

La Tour Grise (Maine-et-Loire). Les vaches apportent une présence

Depuis deux ans, deux vaches jersiaises pâturent de novembre à mars sur les dix hectares de vignes de Philippe et Françoise Gourdon, au Puy-Notre-Dame, dans le Maine-et-Loire. « Nous voulions recréer un équilibre naturel en associant animal et végétal sur notre exploitation », explique Philippe. Pour les parquer, il installe une clôture électrique qu'il déplace d'une parcelle à l'autre. Il s'est également équipé d'une petite bétaillère qu'il utilise pour les transporter dans une nouvelle parcelle lorsqu'elles ont fini de raser l'herbe.

En revanche, il retire les vaches des parcelles une fois celles-ci taillées. « La première année, je les avais laissées. Elles ont alors rogné les baguettes libres, et j'ai perdu de la production », raconte-t-il. Depuis, il plie les baguettes immédiatement après la taille pour ensuite pouvoir y amener à nouveau ses vaches.

Grâce à leur petit gabarit, ces jersiaises se faufilent facilement dans les rangs palissés sans abîmer la vigne. Durant le printemps et l'été, elles pâturent dans une prairie irriguée de 1,5 ha à côté du chai. Philippe a aussi quelques prairies qu'il fauche pour avoir du foin à leur donner en complément. « Tout cela demande un peu de travail. Mais ces vaches amènent une présence apaisante. J'ai remarqué que les salariés se retrouvaient souvent à côté d'elles pour bavarder le matin avant de démarrer le travail ».

Château Montfin (Aude). Des ânes qui participent à la taille

« J'ai acheté trois ânes pour entretenir la pinède située à côté de la maison. Puis j'ai cherché d'autres pâturages, et j'ai commencé à les installer dans mes 18 ha de vignes. Après la chute des feuilles, ils mangent les derniers grapillons, les feuilles et l'herbe. Ils nettoient bien les parcelles, mais finissent par les piétiner s'ils restent trop longtemps au même endroit », explique Jérôme Estève, vigneron à Peyriac-de-Mer, dans l'Aude.

Les ânes broutent volontiers les sarments. « Ils ne mangent que la partie la plus tendre et laissent au moins 30 à 40 cm de longueur. Dans des vignes en gobelet ou en cordon de Royat, cela ne pose pas de problèmes. Cela m'évite même un peu de travail. Dans les parcelles où ils sont le plus souvent, j'ai moins de bois à sortir au moment de la taille. » Au printemps et en été, les ânes pâturent sur des friches et sur la pinède.« Il faut clôturer avec soin pour éviter qu'ils ne s'échappent », précise-t-il.

Domaine Mamaruta (Aude). Des vaches bien apprivoisées

En octobre 2013, quatre vaches et un taureau de race highland sont arrivés chez Marc Castan, qui cultive 14 ha de vignes en bio à La Palme, dans l'Aude. « J'ai dû les apprivoiser. Au début ce n'était pas facile de les mener d'une parcelle à l'autre. » Aujourd'hui, le contact est bien établi. De novembre à mars, ces bêtes vivent dans ses vignes. Rustiques, elles n'ont pas besoin d'une étable pour la nuit. « Je les laisse quinze jours dans chaque parcelle, clôturée avec un fil électrique, et je leur fournis de l'eau et du foin en complément », précise Marc. Au printemps, elles vont paître dans des friches, puis l'été dans des prés en bord d'étang. En mars, il démarre avec de l'herbe tondue à ras dans ses vignes, ce qui facilite le décavaillonnage. « Je peux ainsi retarder la première fauche. » Autour des bouses, il a observé un grand nombre d'insectes. « Cela accroît la biodiversité du sol et c'est un bon complément à l'apport de compost », relève Marc, qui espère ainsi améliorer la nutrition de ses vignes.

L'achat du troupeau lui est revenu à 3 600 €. La première année, il a aussi dépensé 800 € en foin et céréales. Pour mieux nourrir ses bêtes, il va essayer d'implanter un enherbement avec des légumineuses. L'an prochain, il compte semer une première parcelle de luzerne. « Je me suis déclaré comme éleveur et, à terme, je compte cultiver quelques prairies, posséder une dizaine de vaches et vendre de la viande en caissette en complément de mes vins. »

Le lithium dégoûte les brebis de la vigne

Au printemps, faire appel à des brebis pour tondre éviterait de multiplier les passages de tracteur. Mais il faut trouver un moyen de les empêcher de brouter les jeunes pousses dont elles sont très friandes. En s'appuyant sur des travaux menés aux États-Unis, des chercheurs de l'université autonome de Barcelone, en Espagne, ont testé le chlorure de lithium. Ce composé provoque un léger malaise chez les brebis lorsqu'elles l'ingèrent à très faible dose (225 mg par kg de poids vif). Les chercheurs ont donc eu l'idée de leur faire boire de l'eau additionnée de chlorure de lithium juste après qu'elles ont consommé des feuilles de vigne, afin qu'elles associent le malaise à cet aliment si tentant. L'expérience a été menée en laboratoire, puis au vignoble. Et cela marche ! Les brebis ainsi conditionnées n'ont plus goûté à la vigne pendant un an. Cette étude a été publiée dans la revue Acenologia en octobre 2013.

Deux projets associent la culture de la vigne et l'élevage

Les systèmes agropastoraux associent cultures et élevage sur un même territoire. Les troupeaux pâturent dans la garrigue, limitant l'embroussaillement et contribuant à la protection contre les incendies. L'hiver, ils peuvent aussi aller dans les vignes pour trouver des ressources fourragères complémentaires. Deux projets de ce type sont en cours dans le Midi.

Dans le massif de la Clape, dans l'Aude. Le château de l'Hospitalet, le parc naturel régional de la Narbonnaise et la chambre d'agriculture vont signer prochainement une convention avec un éleveur. Durant l'automne et l'hiver, ce dernier conduira ses brebis dans le massif de la Clape, qui fait partie du parc naturel, pour qu'elles pâturent dans la garrigue ainsi que dans les vignes du château, soit sur 80 ha. « Autour des vignes, nous avons un millier d'hectares de garrigue. Nous recevons du public et nous voulons entretenir notre environnement pour prévenir les incendies, explique Richard Planas, responsable du château de l'Hospitalet, l'un des domaines de Gérard Bertrand. Et deux autres vignerons sont également intéressés. »

À Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales. Une dizaine de vignerons en bio ont créé un groupement pastoral pour développer la traction animale. Ils expérimentent aujourd'hui le pâturage. L'objectif est de trouver des solutions pour contrôler l'enherbement dans les vignes difficiles à mécaniser. Un programme de recherche financé par le Casdar a démarré en 2014. « Un premier troupeau, gardé par deux bergers associés au projet, a commencé à pâturer l'hiver dans les vignes. Avec le CNRS, nous allons mettre en place un suivi de l'évolution du sol », précise Éric Noémie, du GDA du Cru Banyuls. Le reste de l'année, les brebis pâtureront dans des oliveraies et dans la garrigue.

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