« Il a fallu montrer patte blanche au départ, se rappelle Jocelyn Dureuil, de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire. En 2005 et 2006, nous avons traité à l'eau chaude puis planté 50 000 plants. Nous n'avons pas vu de différence en terme de taux de mortalité. »
À partir de là, le traitement à l'eau chaude des bois et plants de vigne s'est progressivement répandu en Bourgogne pour éviter l'introduction de la flavescence dorée par le matériel végétal. En 2011, ce traitement a été rendu obligatoire dans les cahiers des charges de toutes les appellations de la région. Depuis, plus aucun plant non traité ne peut être mis en terre. En théorie, du moins (voir encadré « Un contrôle impossible »).
La Bourgogne est la première région de France à avoir pris une telle mesure, suivie par l'Alsace, où elle sera effective dès 2015. Et les Bourguignons en paraissent satisfaits. Des problèmes de reprise sont apparus les premières années. Mais les pépiniéristes et les viticulteurs ont trouvé les moyens de les prévenir.
Installés à Pierreclos (Saône-et-Loire), Benjamin Thévenet et ses deux frères ont repris l'activité de pépiniériste qu'avait développée leur grand-père dans les années 1960. Ils produisent près de 300 000 plants par an, tous traités à l'eau chaude. « Avec le recul, on préconise aux vignerons de ne pas planter après fin avril, si possible, et mi-mai, au plus tard. » En effet, tous les essais et constats sur le terrain soulignent que les plants traités à l'eau chaude débourrent avec trois semaines de retard par rapport aux plants non traités. Les planter trop tardivement revient à compromettre leur aoûtement. « Leur débourrement est moins explosif et plus étalé dans le temps. Mais, par la suite, ils rattrapent le cycle végétatif normal, assure-t-il. Idem pour les plants en pot, que nous commercialisons en juillet. »
Maurice Guerrin, viticulteur à Vergisson (Saône-et-Loire), avec sa femme Nadine et son fils Bastien, fait le même constat. Cette année, alors que le printemps a été particulièrement sec dans sa région, seulement cinq de ses 2 300 greffes n'ont pas repris. « Je n'ai jamais eu de problème avec les plants traités à l'eau chaude », explique-t-il. Il faut dire qu'il soigne avec beaucoup d'attention la préparation du sol pour que les plants s'enracinent bien et évitent la concurrence des adventices. Maurice Guerrin est très méticuleux sur ce point. « On s'y retrouve à la fin », considère-t-il.
Avec son tracteur, il passe une charrue de défonçage (Grenier quart de tour numéro 9), en fin d'année, toujours dans de bonnes conditions pour le sol. Avant cela, il prend soin d'apporter de la matière organique - du fumier cette année - selon les résultats de ses analyses de sol. Puis, il reprend le sol à la herse avant de planter mi-avril. Il laboure et pioche deux fois dans l'été pour supprimer la concurrence pour les jeunes plants. Il ne relâche la pression qu'une fois que les plants ont bien pris. « Cela doit être comme un jardin », conclut-il. Son pépiniériste, Benjamin Thévenet approuve car « il faut vraiment favoriser le développement racinaire, entretenir le feuillage, surtout la première année, en traitant les plantiers comme une vigne normale ».
Pas de chocs thermiques pour les plants
Pour que le traitement n'abîme pas les plants, il faut respecter la durée et la température de traitement : 45 minutes à 50 °C. « Il faut aussi faire attention à leur niveau d'hydratation et veiller à leur acclimatation à 17 °C, 12 à 24 heures avant le traitement », recommande Jocelyn Dureuil, de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire. Les plants sont en effet conservés en chambre froide à 2 °C chez les pépiniéristes. Ils ne supportent pas de passer d'un coup à 50 °C. De même, après le traitement, ils ne peuvent pas retourner immédiatement en chambre froide. Ils doivent à nouveau être maintenus pendant 12 à 24 heures à 17 °C avant d'être conservés à 2 °C. La qualité initiale des plants est évidemment un autre facteur prépondérant. Les bois de petit diamètre et les soudures fragiles ne supportent pas bien le traitement à l'eau chaude (TEC).
Trois stations en service, et bientôt une quatrième...
En 2005, la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire a installé une station de traitement, à Davayé, que le Vinipôle Bourgogne Sud vient de reprendre. Depuis, la station a traité plus de 15 millions de plants à façon pour les pépiniéristes locaux, avec un rythme de croisière établi aujourd'hui à 2 millions de plants par an. À cette station s'ajoutent celle des pépinières Guillaume, principal fournisseur de la région, et la station mobile qu'ont achetée six pépiniéristes (deux en Côte-d'Or, deux en Saône-et-Loire et deux dans l'Yonne). Bientôt, les pépinières Guillaume compléteront ce parc avec l'achat d'un nouvel équipement.
Pour les pépiniéristes, le coût du TEC revient entre 5 et 10 centimes d'euro le plant. « Mais qu'est-ce que 10 centimes pour avoir l'assurance d'un plant sain et une vigne pérenne quarante à cinquante ans ? », souligne Benjamin Thévenet, pépiniériste à Pierreclos. Dans leur facture, les pépiniéristes doivent séparer le prix du plant de celui du traitement, les deux ne supportant pas le même taux de TVA (respectivement 10 % et 20 % ).
Un contrôle impossible
Les cahiers des charges des AOC de Bourgogne imposent le traitement des plants à l'eau chaude (TEC). Une mesure impossible à contrôler. FranceAgriMer est en effet chargé du contrôle des pépiniéristes mais pas de vérifier l'application du TEC, celui-ci n'étant pas une obligation réglementaire pour les pépiniéristes, mais une mesure qui s'impose aux viticulteurs désireux de planter en AOC. De son côté, SiqoCert, l'organisme de contrôle des appellations bourguignonnes n'a pas autorité sur les pépiniéristes. Il peut simplement s'assurer que les viticulteurs disposent de l'attestation sur l'honneur de leur pépiniériste assurant qu'il a bien traité les plants. Étant donné les failles du système et sachant que de nombreux plants sont produits hors de Bourgogne, il subsiste des « doutes » autour de « possibles certificats de complaisance », indique Jean-Michel Aubinel, président de la CAVB (Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne). Aussi, le 17 mars dernier, a-t-il écrit aux viticulteurs et pépiniéristes de la région pour leur rappeler que le TEC des greffés-soudés était obligatoire. Dans son courrier, il met ses confrères en garde. « En cas de jaunisses (flavescence ou bois noir) sur de jeunes plantations ou complantations, et s'il est possible de retrouver l'origine de la contamination et les responsabilités, il sera porté à la connaissance de tous les professionnels de la filière, des pépiniéristes et du Sral les manquements et les responsabilités. » Pour l'heure, aucune fraude n'a été révélée.