Drosophila suzukii, ressemble aux autres drosophiles. Il n'est pas possible de la distinguer en observant les oeufs, les larves ou les pupes (l'équivalent de la nymphe ou de la chrysalide chez les lépidoptères). Seul, le mâle adulte est facilement reconnaissable, grâce à la tache sombre qu'il possède à l'extrémité de chaque aile. © INRA
La femelle a la particularité d'avoir un organe de ponte denté (un ovipositeur), qui lui permet de percer la peau des fruits. Elle peut donc pondre dans des raisins sains qui n'ont pas atteint leur maturité, contrairement aux autres drosophiles qui ne pondent que sur des fruits blessés. © INRA
Qui est-elle ?
Il s'agit d'une petite mouche originaire d'Asie. En 2008, elle est arrivée en Amérique du Nord, en Espagne et en Italie. Puis elle a rapidement colonisé la Suisse, l'Allemagne et la France.
De quoi se nourrit-elle ?
C'est une espèce très polyphage. Elle peut se développer sur quantité de fruits : cerises, fraises, framboises, mûres, prunes, pêches, kiwis... Elle est davantage attirée par les fruits rouges et foncés.
Quelle est sa nuisibilité ?
Contrairement aux drosophiles autochtones (Drosophila melanogaster, D. simulans) qui ne se développent que sur des fruits blessés, les femelles de D. suzukii sont capables de percer la peau des fruits sains pour y pondre avant leur maturité. Ensuite, les larves vident entièrement l'intérieur des fruits. La pellicule s'affaisse puis se désintègre rapidement. Ces blessures offrent des portes d'entrée à toutes sortes de micro-organismes, dont les bactéries acétiques, et facilitent l'installation des autres drosophiles.
Où est-elle présente ?
Dans le Sud-Est, notamment dans les Pyrénées-Orientales où elle a été observée pour la première fois en 2010. À Bordeaux depuis 2011. « Nous avons observé des adultes dans un piège alimentaire dans le Sauternais au moment des vendanges. Deux ans plus tard, dans le même secteur, nous l'avons observée sur grappe, rapporte Lionel Delbac, de l'Inra de Bordeaux. Cette année, nous avons capturé des mâles partout où nous avons mis des pièges. Et nous avons noté sa présence dans tous les types de raisins : les blancs secs, les liquoreux et les rouges. » D. suzukii a aussi été observée en Alsace, Bourgogne, Champagne, dans le Val de Loire, la Vallée du Rhône et le Sud-Ouest.
Et dans quelles proportions ?
En Alsace, elle représente moins de 10 % des mouches piégées, selon les BSV des 2 et 23 septembre. Dans le Bordelais, « elle représente 2 à 97 % des drosophiles selon les secteurs, indique Lionel Delbac. Au départ des attaques, elle est majoritaire. Mais ensuite, les populations autochtones semblent prendre le dessus. Nous suspectons D. suzukii de leur préparer le terrain ». Ce chercheur a aussi observé que D. suzukii semble modifier les populations de drosophiles autochtones. Par exemple, à Sauternes, D. melanogaster, qui était initialement majoritaire, a diminué au profit de D. simulans. Sur un autre site, l'inverse s'est produit.
Quelle est sa biologie ?
D'après la littérature, D. suzukii peut engendrer jusqu'à treize générations par an. Elle hiverne sous la forme de femelle adulte fécondée dans divers refuges. Elle reprend son activité au printemps et pond sur les premiers fruits qu'elle trouve. Le passage de l'oeuf à l'adulte dure en moyenne 10 à 15 jours, mais cela peut varier entre une semaine et un mois. « Cet insecte se sent bien en conditions humides et de faible luminosité. A priori, il ne supporte pas les températures caniculaires, de plus de 30 °C », rapporte Christian Linder, chercheur à l'Agroscope de Nyon, en Suisse. Ce que confirme Lionel Delbac : « Les conditions trop chaudes font chuter la fécondité des femelles. Les climats méditerranéens lui sont donc peu favorables. »
Se développe-t-elle sur les raisins ?
Oui, mais pas bien. En 2012 et 2013, des chercheurs de l'Agroscope de Nyon ont étudié le développement de D. suzukii sur des baies de plusieurs cépages. « Il est extrêmement faible. Nous n'avons jamais obtenu plus de 10 % d'adultes à partir des oeufs déposés. En comparaison, sur la cerise, le taux de développement est de 90 % », rapporte Christian Linder. Pourquoi un tel taux de mortalité ? Les chercheurs émettent plusieurs hypothèses. « Comme le milieu est aqueux, les larves pourraient se noyer si elles n'arrivent pas à percer la peau pour venir respirer. L'acidité des baies mais aussi la capacité de certaines d'entre elles à provoquer une subérisation rapide de leurs tissus autour de la ponte pour empêcher les oeufs d'éclore pourraient aussi être une explication », avance Christian Linder.
A-t-elle des cépages préférés ?
A priori, oui. Cette année, en Suisse, D. suzukii a surtout attaqué les rouges provoquant des dégâts variables selon la variété, le clone et l'environnement des parcelles, celles situées à proximité de forêts étant les plus atteintes. « Le gamay est plus touché que le pinot noir. On a pu constater jusqu'à 50 % de perte sur le gamay contre 15 à 30 % maximum pour le pinot noir. En fait, D. suzukii semble privilégier les cépages rouges précoces à peau fine », note Christian Linder. Lionel Delbac confirme : « Nous trouvons une forte proportion de D. suzukii sur le merlot. » Au laboratoire, les chercheurs suisses ont remarqué que les femelles pondent bien plus sur les cépages rouges que sur les blancs, et qu'en plus, leurs oeufs s'y développent mieux.
Est-elle responsable des fortes attaques de pourriture acide ?
Lionel Delbac le pense. Selon lui, habituellement, les attaques de pourriture acide résultent de blessures causées aux baies par une grosse pression de vers de la grappe, par la grêle ou d'autres fléaux. Or, cette année, cela n'a pas été le cas dans le Bordelais. Il suspecte donc D. suzukii d'avoir joué un rôle d'initiateur de l'épidémie de pourriture acide. Christian Linder est plus nuancé. « En Suisse, plusieurs facteurs ont concouru au développement de la pourriture acide, cette année. D. suzukii a peut-être été considérée à tort comme la responsable n° 1 », insiste-t-il. Dans ce pays, la pourriture acide s'était développée de manière similaire en 1994, alors que D. suzukii n'était pas encore présente en Europe.
A-t-elle des ennemis naturels ?
Il existe en effet des parasitoïdes, mais ils sont peu nombreux. En plus, D. suzukii a la particularité d'enkyster leurs pontes. Certains seraient peut-être capables de contourner ce mécanisme de défense. Reste à les trouver.
Comment lutter ?
En premier lieu, il faut prendre des mesures prophylactiques. « D. suzukii affectionne l'humidité et l'ombre. En fin de saison, il faut éclairer et aérer la zone des grappes par un effeuillage raisonné. Lorsque les vignes sont enherbées, il faut également faucher l'herbe régulièrement », rapporte Christian Linder. Par ailleurs, si l'on veut éliminer des grappes attaquées par la pourriture acide avant les vendanges, il faut les sortir des parcelles touchées. Enfin, il faut aussi éviter de stocker des marcs aux abords des parcelles.
Et les traitements insecticides ?
Aucun produit n'est actuellement autorisé en France pour lutter contre D. suzukii. En Suisse, deux matières actives le sont : le spinosad et la pyréthrine. « Dans les essais, le spinosad atteint 80 à 90 % d'efficacité. Mais il faut intervenir très tôt, c'est-à-dire dès les premières pontes. Sa durée d'action est très courte, de l'ordre d'une semaine. Et il y a une constante ré-infestation des parcelles par d'autres drosophiles. Il faut également veiller à bien respecter les délais d'emploi avant la récolte. Les pyrèthres naturels sont également autorisés mais leur efficacité est très courte », explique Christian Linder. Cette année, face à l'importance des attaques de pourriture acide, les Suisses se sont retrouvés en rupture de stock de spinosad. Les autorités ont donc autorisé une application d'acétamipride, un néonicotinoïde, et le kaolin, une argile. « L'idée est de blanchir les raisins rouges pour perturber la mouche et rendre la ponte plus difficile. Cela n'a pas trop mal fonctionné », rapporte Christian Linder.