CLAUDE LABBÉ ET NICOLAS PARMENTIER, directeur général de la coopérative du Vendômois, devant une cuvée issue de pineau d'Aunis, cépage qui faitla spécificité et la force de la région. PHOTOS : F. BAL
LES MALADIES DU BOIS SONT PRÉOCCUPANTES. Ici, après les vendanges, Claude Labbé repère les pieds morts sur une parcelle de vigne basse plantée à 6 500 pieds par hectare et enherbée dans l'interrang.
« Le pineau d'Aunis et l'AOC ont sauvé le vignoble. » Malgré les graves difficultés financières actuelles, Claude Labbé, viticulteur sur 13,5 ha de vignes à Thoré-la-Rochette, dans le Loir-et-Cher, en est convaincu. « Le pineau d'Aunis a toujours eu le vent en poupe, raconte-t-il. Il a un goût atypique, très développé, un goût poivré qu'on ne trouve pas ailleurs. » C'est le fer de lance de son vignoble et de son appellation. Il en cultive 7,5 ha. C'est le principal cépage des coteaux du vendômois rouges et l'unique cépage des gris, une spécialité locale.
À 59 ans, Claude Labbé livre l'intégralité de sa récolte à la cave coopérative du Vendômois, à Villers-sur-Loir (Loir-et-Cher). Il revendique 7,5 ha en appellation et livre le reste en IGP Val de Loire. Ses apports représentent 9 % du volume produit par la coop, lequel s'élève à 10 000 hl en année normale. Son exploitation compte également 79 ha de céréales. Il n'a pas de salarié. « Il n'est pas rare que je travaille à mi-temps, version Coluche », dit-il, soit 12 heures par jour.
Ses parents avaient une petite ferme de poly-culture élevage. Ils vinifiaient leur récolte et vendaient leur vin en vrac. « À 16 ans, ils m'ont dit "L'école, c'est fini, on a besoin de toi", raconte-t-il. Comme je ne suis pas rebelle, j'ai obéi. Je suis devenu paysan car je n'ai pas eu le choix. » Une rude tâche l'attendait. Les vignes étaient obsolètes, le parcellaire était « terrible » : 49 parcelles pour 4,5 ha de vignes. Il fallait rassembler le vignoble et construire une vraie cave. Impossible de faire les deux.
« Je me suis installé le 1er janvier 1981, à l'âge de 25 ans. Comme je n'avais que deux bras, j'ai demandé à adhérer à la coopérative. Ils m'ont fait patienter un an, puis ils m'ont accepté en 1982. Ensuite, j'ai restructuré, je me suis agrandi et j'ai planté », poursuit-il. En 1986, il se trouve à la tête de 8 ha de vignes, puis de 15 ha en 2000 après un remembrement « salutaire » qui lui permet de diminuer le morcellement et de réduire les coûts de production.
Il a planté en fonction des besoins de la cave et pour avoir un encépagement diversifié. « J'essaye de coller à la demande, même si l'on a toujours un temps de retard, souligne-t-il. La vigne, ce n'est pas comme une industrie, il y a une inertie qui se compte en années entre la décision et la réalisation. » Lorsqu'il s'installe, le gamay a le vent en poupe. Durant une décennie, il en plante ainsi que du cabernet, du côt et 85 ares de chardonnay. À partir de 1991, il plante régulièrement du pineau d'Aunis, c'est encore le cépage phare de l'appellation.
Après 2002, il répond à la demande de la coopérative en augmentant sa surface en blanc. Il plante un hectare de sauvignon en quelques années puis du chenin, cépage typique du Val de Loire.
Jusqu'en 1990, il plante à 6 500 pieds/ha, des parcelles dont il lui reste encore 4,5 ha. À partir de 1991, il adopte la densité de 4 500 pieds/ha avec une taille en guyot pour réduire les coûts. Pour la même raison, il se lance dans la prétaille « en laissant des manchons de 20 cm pour la taille en cordon ou en dégageant le dernier fil pour la taille en guyot ». Il gagne ainsi 20 % de temps lors de la taille.
Historiquement, le vignoble produisait des rendements élevés. De nombreux particuliers venaient acheter du vrac « par fûts de 200 l », se souvient Claude Labbé. Cette époque est révolue même si la coop conserve une activité de vrac et vend des BIB. « Si l'appellation Coteaux du Vendômois n'avait pas été mise en place, il n'y aurait plus de vignoble », assure Claude Labbé. Les producteurs l'ont obtenue en 2001.
Les rendements chutent grâce à une taille plus courte et à l'enherbement. Claude Labbé sème de la fétuque rouge dans l'interrang puis la laisse évoluer naturellement. « Lorsqu'il pleut au moment des vendanges, l'état sanitaire est meilleur et je n'ai plus besoin d'acaricides. On a vraiment fait de gros progrès vers la qualité », observe-t-il.
Claude Labbé travaille en lutte raisonnée. Il est adhérent de longue date au GDA qui conseille les vignerons pour les traitements. Il a ainsi arrêté les antibotrytis dès 1995. « La première année, ils fonctionnaient très bien. Mais après deux ou trois ans, des résistances sont apparues et les produits sont devenus obsolètes. On dépensait beaucoup d'argent pour un résultat quasi nul », précise-t-il. Problème majeur et d'actualité, la mortalité liée à l'esca est importante, notamment pour le sauvignon. Seul, le pinot noir est très peu atteint.
« Claude livre toujours de beaux raisins avec du sucre et des arômes, relève Michaël Andry, maître de chai de la cave, qui note la tenue du vignoble, l'état sanitaire et la maturité de la vendange. Il a toujours de belles maturités, avec un pic à 13,4° cette année. » La cave fixe les dates de vendange. Elle attribue une prime ou un malus jusqu'à 20 % du prix moyen des raisins en fonction de leur état sanitaire, de l'homogénéité, de la maturité des différents apports et du tri de la vendange, mais pas selon le degré potentiel. La coopérative règle le premier acompte au printemps qui suit la récolte. Puis elle verse des mensualités pendant quatorze à seize mois, même faibles, pour assurer un apport régulier de trésorerie aux exploitations.
Malheureusement, les rendements sont rarement au rendez-vous. Les belles années, Claude Labbé produit entre 65 et 70 hl/ha en pineau d'Aunis (IGP) mais, depuis trois ans, cela n'est pas arrivé. En 2012, tout le vignoble de la coopérative a subi un gel printanier lui faisant perdre 50 % de sa récolte. Puis, en 2013, la coulure a entraîné une baisse de 30 % des rendements. Et en 2014, les vignes ne font pas non plus le plein (-20 %).
« Le revenu, c'est la faiblesse du système, relève Claude Labbé. À la cave, on est en pleine crise. » Depuis deux ans, la rémunération ne couvre pas du tout les coûts de production. En 2012, année de gel, la cave n'a produit que la moitié de la récolte, 5 000 hl. Elle a dû réduire fortement le prix versé à ses adhérents car ses charges de structure n'ont pas diminué dans les mêmes proportions. « Comme la rémunération chute, les viticulteurs arrachent des vignes. Et comme il y a moins de surface mais autant de charges fixes réparties sur les volumes restants, la rémunération baisse encore. C'est une spirale infernale. La viticulture, cela n'a jamais été luxuriant mais aujourd'hui, ce sont les céréales qui me font vivre. » L'année prochaine, la situation pourrait toutefois s'arranger car les prix du vrac grimpent : le gamay IGP se vend 90 €/hl contre 60 € l'an dernier.
Désormais, Claude Labbé voit les choses différemment. Il arrive en fin de carrière. Doucement, il lève le pied. Fin 2013, il a redonné 1,5 ha à la cave coopérative. Il commence aussi à jeter un regard sur le travail accompli. Il est fier d'avoir établi un vignoble de qualité, diversifié et « bien meilleur que celui que j'ai récupéré quand je me suis installé », dit-il. Un travail de longue haleine. « Je l'ai fait en douceur et je n'ai toujours pas fini. »
Pendant un temps, l'une de ses deux filles, Pauline, 28 ans aujourd'hui, a songé à reprendre le domaine. Titulaire d'un BTS viti-oeno et d'une licence d'agent certificateur en agriculture biologique, elle aurait aimé construire une cave pour élaborer et vendre du vin bio. « Il aurait fallu d'importants investissements et se créer une clientèle à partir de rien. J'aurais dû travailler de nombreuses années encore pour éviter d'embaucher, analyse Claude Labbé. C'était trop risqué et j'aspirais à une retraite bien méritée. » Aujourd'hui, Pauline travaille en Bretagne. « Je pense prendre ma retraite d'ici trois ou quatre ans, continue Claude Labbé. Pour les céréales, je n'ai aucun souci de cession. Pour les vignes, j'ai la chance d'avoir un beau vignoble. » Il intéressera probablement de jeunes repreneurs.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Il a un vignoble diversifié. Même si le pineau d'Aunis est la force de l'appellation, il s'est toujours adapté aux demandes de sa coopérative et a implanté d'autres cépages de qualité.
Il préfère la vigne aux céréales.
Il a pu adhérer à deux Cuma, ce qui lui a évité d'investir dans du matériel.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS
Il aurait aimé faire des études et exercer un autre métier, professeur de mathématiques par exemple, car il avait beaucoup de facilités dans cette matière.
« Il aurait peut-être été préférable que je m'associe en Gaec. J'aurais pu avoir une meilleure qualité de vie et davantage de temps libre, doute-t-il parfois. Mais un grand domaine avec d'autres n'est pas forcément mieux qu'un petit chez soi. »
SA STRATÉGIE D'ÉQUIPEMENT Tout le matériel viticole en commun
- « Je n'ai pas de matériel viticole, déclare Claude Labbé. Pour exister, je n'ai pas eu d'autre choix que d'acheter du matériel en commun. Depuis 1990, il possède une prétailleuse Pellenc avec trois autres viticulteurs.
- En 1991, il adhère à la Cuma de Mazangé. Elle possède une machine à vendanger, un pulvérisateur, une rogneuse, une tondeuse, un enfonce-pieu, une écorceuse, une tarière et un broyeur à sarments.
- Depuis sept ans, il adhère aussi à la Cuma Beauce et Vallée. Il se sert de son pulvérisateur pour ses vignes étroites et de sa machine à vendanger, qui passe aussi bien dans ses vignes plantées à 6 500 pieds qu'à 4 500 pieds. « L'utilisation des pulvérisateurs est la plus tendue », relève-t-il. Mais, un brin philosophe, il confie : « On ne peut pas gagner sur tous les tableaux. »
- Il a une participation de 10 % dans les deux Cuma, ce qui lui coûte 1 800 €/an à Beauce et Vallée, et 2 400 €/an à Mazangé.