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DOSSIER - Plantations nouvelles : ce que veulent les régions

LES RÉGIONS EN POINTE

BOURGOGNE Le négoce veut avancer au triple galop

MATHILDE HULOT - La vigne - n°271 - janvier 2015 - page 30

La Bourgogne manque de vin. Dès lors, tout le monde souhaite planter. Reste à savoir à quel rythme. Le négoce pousse la production à presser le pas pour passer de 1 à 3 % de plantations nouvelles par an.
« Il y a un réel besoin de restructuration des domaines et d'agrandissement sur les AOC régionales. » (J.-M. Aubinel.) © BIVB/ARMELLEPHOTOGRAPHE

« Il y a un réel besoin de restructuration des domaines et d'agrandissement sur les AOC régionales. » (J.-M. Aubinel.) © BIVB/ARMELLEPHOTOGRAPHE

En trois millésimes (2010, 2012, 2013), la Bourgogne a perdu 531 000 hl, soit l'équivalent de 70,8 millions de bouteilles et un peu moins du tiers d'une récolte normale. Or, la demande, elle, n'a pas faibli. Rien de tel pour entretenir, voire renforcer les envies de plantations nouvelles.

En un demi-siècle, la région n'a cessé de grandir. En 1955, le vignoble de l'Yonne ne faisait que 1 066 hectares. En 2013, il couvrait 6 948 ha dont 5 400 hectares rien que pour le chablis. Durant la même période, les vignobles de la Côte-d'Or et de la Saône-et-Loire ont seulement doublé de taille, pour atteindre respectivement 9 480 ha et 12 553 ha.

Depuis cinq à six ans, la Bourgogne plante 1 % de vignes nouvelles par an. « Ce rythme nous convient », admet Guillaume Willette, directeur de l'ODG Bourgogne. Le vignoble fait un peu plus de 31 000 hectares (tous vins confondus) pour une aire délimitée en AOC de 51 195 ha. Il reste donc encore beaucoup à planter, mais pas partout. Les grands crus et premiers crus sont saturés là où les appellations régionales ont encore de la marge. Ainsi que quelques bassins spécifiques, comme le vignoble chablisien et le Mâconnais. « En AOC Mâcon, 3 800 ha sont plantés et il reste encore 8 000 ha d'aire délimitée. Cela dit, certains terrains n'ont aucun intérêt », reconnaît Jean-Michel Aubinel, président de la Confédération des associations viticoles de Bourgogne (CAVB) et vigneron à Mâcon.

Le contingent de plantations nouvelles accordé au Mâconnais est de 49,5 ha pour la campagne 2014-2015, 4,5 ha étant réservés aux jeunes agriculteurs. « Ce qui n'est pas énorme, observe Jean-Michel Aubinel, car il y a un réel besoin de restructuration des domaines et d'agrandissement sur les AOC régionales, pour améliorer la rentabilité et la mécanisation. »

« Le renouvellement du vignoble est nécessaire à cause des maladies du bois, notamment, enchaîne Marc Sangoy, président de la Fédération des caves coopératives de Bourgogne et du Jura et président de la cave de Lugny dans le Mâconnais. Il nous faut un rythme permettant de développer les marchés tout en les valorisant. »

« À Chablis, il n'y a pas de stock, un millésime pousse l'autre, la demande suit l'offre et inversement », fait remarquer Frédéric Gueguen, président de l'ODG Chablis, une appellation chahutée par des récoltes bien inférieures à son potentiel. La demande étant soutenue, elle augmente ses prix. Mais la concurrence mondiale guette. Accroître les rendements pour détendre les marchés ? Les vins blancs peuvent le supporter. Mais les plantations nouvelles sont la solution : « Il reste près de 700 ha à planter. 50 ha par campagne est un rythme qui nous va bien », admet-il. Le crémant de Bourgogne connaît aussi la pénurie. « Les caves sont vides », annonce Pierre du Couëdic, président de l'ODG. En 2013-2014, l'AOC a obtenu 25 ha (pour 2 010 ha plantés), idem pour 2014-2015, et réclame 30 ha pour 2015-2016. Ce qui correspond à une cadence légèrement au-dessus de 1 %.

Si la production trouve que 1 % de plantations nouvelles par an pour l'ensemble de la Bourgogne est un taux adapté, le négoce est d'un tout autre avis. Selon lui, il faudrait pousser à 3 %. « La hausse des prix des vins devient dangereuse, prévient Louis-Fabrice Latour, président délégué du BIVB. Nous avons perdu 15 % en volume à l'export. Il y a une demande et des terroirs. Planter permettrait, à terme, d'avoir un meilleur équilibre. »

Le négoce s'intéresse surtout aux AOC régionales. Les grandes maisons font pression pour que les décisions d'attribution des plantations nouvelles sortent des seules mains des ODG : « Le seul organisme qui a du recul, c'est l'interprofession », insiste Louis-Fabrice Latour. Frédéric Drouhin, président de l'Union des maisons de Bourgogne, estime qu'en France, « on marche sur la tête car on ne produit pas assez de vin. Nous, les négociants, avons une vision globale des besoins. »

La production souhaite que les ODG restent aux commandes : « Les viticulteurs gèrent les risques, pour des dizaines d'années, disent les différents présidents d'ODG. L'enjeu est énorme. Le Yo-Yo du négoce qui achète ou n'achète pas, on connaît. Nous, les syndicats, nous avons une vision plus raisonnée. » Le débat est loin d'être tranché, même si en Bourgogne les deux familles font plutôt bon ménage. Louis-Fabrice Latour le reconnaît : « Planter nécessite l'accord unanime des deux parties. »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Thierry Richoux, Domaine Richoux, 21,5 ha, Irancy (Yonne)

 © M. LABELLE

© M. LABELLE

« Nous pensons installer nos deux fils en 2015. C'est pourquoi nous avons un programme d'agrandissement. Nous avons repris 3 ha et nous avons obtenu 15 ares par an de plantations nouvelles depuis 2013. L'ODG demande en moyenne 2 ha par an, qui sont partagés entre tous les demandeurs. Ces petites attributions compliquent notre tâche pour finir de planter une parcelle. Irancy compte 170 ha en production. L'aire fait 300 ha. Mais les meilleurs endroits sont déjà plantés. L'ODG doit rester maîtresse des attributions. Car planter, c'est toujours risqué : impossible de savoir l'état du marché lorsque les vins seront commercialisés. »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Gérald Talmard, Domaine Talmard, 30 ha Uchizy (Saône-et-Loire)

« J'ai demandé des droits pour planter une partie d'un bois que j'ai défrichée. Cela représente 2 100 pieds, soit 22 ares que j'ai obtenus sans problème. Par ailleurs, je suis en négociation pour acheter un hectare de prairie pour m'agrandir encore. Il reste beaucoup d'hectares en aire mâcon-village où je me trouve, mais peu de terrains sont disponibles. Ils sont souvent inaccessibles, en friche ou trop pentus, et surtout il y a peu de vendeurs. Idéalement, j'aimerais planter 1 ha tous les ans, jusqu'à 35 ha maximum, pour répondre à la demande de mes clients. Je pense que l'interprofession est la mieux placée pour l'établissement des quotas. »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Yannick Grados, Domaine Grados, 4 ha, Molesme (Côte-d'Or)

« Grâce aux droits de plantation, j'ai pu créer mon domaine en crémant de Bourgogne, en 2008. Mon siège social est dans l'Aube, mais l'AOC Champagne est inabordable. J'ai obtenu 2,5 ha de droits de plantation sur cinq ans en Bourgogne en tant que jeune agriculteur. Il me reste 1 ha à planter. Avec la nouvelle donne, j'ai peur que les négociants veuillent planter au-delà du raisonnable. Or, les crémants ne sont pas des champagnes. Il faut continuer à planter, producteurs et négociants au même rythme. De toute façon, les grandes parcelles ne sont pas nombreuses, et s'il y en a, elles sont accidentées et pentues. On est en Bourgogne ! »

L'essentiel de l'offre

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