« Tout est parti ! répond André Casanova, président de la coopérative des Vignerons d'Aghione, en Haute-Corse, quand on lui demande comment s'est écoulée la récolte 2014. Et si nous avions produit le double, j'aurais déjà probablement tout vendu. » La situation de cette cave, qui réunit douze coopérateurs pour 800 ha, résume à elle seule la dynamique corse : les vins de l'île se vendent très bien.
Le vignoble insulaire ne dépasse pas les 6 000 ha pour un rendement moyen de 60 hl/ha, toutes appellations confondues. Alors oui, l'idée de planter réjouit la filière. Mais pas pour faire n'importe quoi. L'histoire récente semble avoir marqué les esprits et pousse à une certaine prudence. « Il y a trente ans, la Corse comptait 30 000 ha de vignes, se souvient Éric Poli, président du syndicat de défense de l'IGP Île de Beauté et président de l'interprofession corse. Puis la crise viticole des années 1980 est passée par là. » Les arrachages massifs ont réduit le vignoble à peau de chagrin, mais la tendance s'inverse. Les autorisations de plantation s'élevaient en moyenne à 7 ha par an entre 2002 et 2010. Depuis 2011, elles atteignent 73 ha par an, selon FranceAgriMer.
Désormais, la Corse cultive sa différence. « Le vignoble s'est trouvé une identité, un caractère, affirme Éric Poli. Nous nous réapproprions nos terroirs en y adaptant nos cépages : sciaccarellu, vermentino, muresconu. » Une stratégie qui, pour le moment, fait le bonheur des marchés qui en redemandent.
Le nouveau système d'autorisation de plantation ouvre donc des perspectives, même s'il reste encore bien flou pour tout le monde. « Nous aimerions savoir si ce fameux 1 % de plantation nouvelle fonctionne par pays, par bassin..., s'interroge Pierre Acquaviva, président du groupement intersyndical des AOC de Corse. Sera-t-il possible pour les régions qui ne prévoient pas de planter de céder une part de leur pourcentage à celles qui le souhaitent ? » La question n'est pas anodine : « Pour nous, 1 %, c'est un peu faible, nous pourrions planter davantage, assure-t-il. Les marchés sont demandeurs et il y a du foncier disponible. À moins de 6 000 ha, le vignoble corse est encore fragile. Nous voulons éviter que certains opérateurs se détournent de nos produits. »
« 1 %, c'est un peu juste, confirme Éric Poli de l'IGP Île de Beauté. Il y a une réelle volonté de grandir et de faire plus de volume. » En revanche, l'augmentation des rendements n'est pas envisagée. « Les rendements des IGP tournent autour de 80 hl/ha alors que le cahier des charges autorise jusqu'à 120 hl/ha. Pour nous, la solution c'est la qualité. Nous ne voulons pas planter pour planter. L'idéal serait peut-être d'atteindre les 10 000 ha dans dix ans. »
La Corse a donc le regard tourné vers l'avenir. Planter de nouvelles vignes n'est qu'une partie de son plan de développement. « Il faut aussi assurer un revenu aux viticulteurs et attirer les jeunes, argumente Alain Mazoyer. La question n'est pas : combien planter ? Mais : qui va planter ? » Si les vignes vieillissent, les viticulteurs aussi. Et pour le directeur de cave, l'urgence est de trouver des jeunes pour assurer un futur aux vins corses.
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Jérôme Girard et Florence Giudicelli, Domaine Vecchio, 28 ha, Linguizetta (Haute-Corse)
« Nous avons en location 28 ha en AOP Corse et vin de pays. Mais nous avons pu acheter 43 ha d'un seul tenant, ce qui est rarissime ! Nous voulons donc planter nos propres vignes. Nous avons racheté les droits de plantation d'une voisine et sommes très intéressés par le nouveau système d'autorisation. Même si pour l'instant nous ne sommes pas très informés. Nous aimerions privilégier les cépages locaux, comme le minustellu, ou même anciens, comme le carcajolo nero. Un vieux cépage, ça donne une identité aux vins, ce que les clients recherchent. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Alexis Albertini, Clos d'Alzeto, 52 ha, Sari-d'Orcino (Corse du Sud)
« Depuis une dizaine d'années, notre domaine en AOC Ajaccio a évolué et nous avons planté une dizaine d'hectares. Nous avons acquis des droits pour planter avant l'arrivée de la nouvelle réglementation : 4 ha sont prévus, du cépage local, sciaccarellu, et du vermentino pour les blancs. Mais notre objectif est d'atteindre 60 ha. Il y a une demande pour nos vins et les perspectives sont bonnes. La libéralisation totale des plantations n'aurait pas été une bonne chose. Si c'est contingenté, c'est déjà mieux. La qualité doit primer. »