C'est dans l'appellation Touraine que la question de l'accroissement du vignoble se pose le plus ardemment. Là, le sujet est lourd d'enjeux. Dans cette appellation, le vignoble ne s'est pas étendu durant la dernière décennie. Il a même connu d'importants arrachages. Les cépages rouges ont nettement reculé au profit du sauvignon. Ce vin est devenu le produit phare de l'appellation. Ses ventes sont en progression constante depuis plusieurs années en France et à l'export. Les cours à la hausse ont incité les vignerons à reconvertir leurs parcelles du rouge au blanc. Et le phénomène pourrait s'amplifier : le touraine sauvignon (2 300 ha) manque de volumes pour satisfaire ses marchés. Les trois dernières récoltes ont été déficitaires et les stocks sont au plus bas. Pour l'interprofession, il est donc temps de planter.
Rien de tel dans les autres appellations de Touraine. « À Bourgueil ou à Chinon, par exemple, les prix de vente des vins n'incitent pas à l'euphorie, explique Philippe Brisebarre, vigneron à Vouvray (Indre-et-Loire) et président du Crinao. On manque de vignerons qui ont envie de planter, car il y a un problème de valorisation. Les contingents de droits de plantation sont sous-consommés. Les jeunes vignerons sont souvent en bio. Ils cherchent à augmenter la rentabilité de leurs exploitations sans chercher des volumes supplémentaires, mais en vendant mieux. »
« L'AOC Touraine blanc a besoin de 14 000 hl supplémentaires par an sur les cinq prochaines années si le marché continue de croître à son rythme actuel », indique Jean-Pierre Gouvazé, délégué régional InterLoire à Tours. Selon les projections de l'interprofession, il faudrait planter dans les années à venir plus de 400 ha en touraine sauvignon pour répondre à la croissance du marché et reconstituer un tiers des stocks. Soit 17 % de la superficie actuelle de l'appellation.
À quel rythme planter ces vignes ? Les responsables professionnels plaident pour la prudence. « Il serait idiot de ne pas planter du sauvignon, il faut tenir compte du marché. On doit se lancer dans des plantations équivalentes à 1 % de croissance, estime Laurent Benoist, vigneron en AOC Touraine et président des Vignerons indépendants du Loir-et-Cher. Cependant, je ne pense pas que l'on va voir le vignoble s'agrandir dans de grandes proportions, le facteur limitant dans notre région étant le climat, avec notamment de graves risques de gel. »
Le négociant Noël Bougrier penche lui aussi pour une progression de 1 %. « 1 %, cela paraît ridicule mais cela permet d'éviter l'emballement. Pour 2014, la production de touraine blanc devrait être de 130 000 hl. Serons-nous capables de tout vendre ? Les prix sont passés de 168 €/hl l'an dernier à 200 €/hl aujourd'hui. Une hausse difficile à faire passer auprès des acheteurs. À l'export, la concurrence est vive en sauvignon avec le Chili et la Nouvelle-Zélande ».
Pour Gilles Bac, directeur de la cave coopérative le Cellier du Beaujardin, à Bléré (Indre-et-Loire), souligne un autre problème : « Le vignoble est vieillissant, l'esca fait beaucoup de dégâts. Si on avait des vignes qui produisaient 60 hl/ha, on n'aurait pas besoin de planter autant que l'estime InterLoire. » Pour lui, la priorité est de renouveler le vignoble.
Les rendements en touraine blanc sont en moyenne de 54 hl/ha, alors que le maximum autorisé est de 65 hl/ha. « Les rendements doivent être augmentés, note le président de l'ODG Touraine, Alain Godeau. Si les prix se maintiennent, des vignerons voudront planter. J'espère que l'on aura la possibilité d'étendre notre vignoble en blanc, tout en préservant un certain équilibre avec les rouges, les rosés et les bulles. Il faudra interroger les vignerons sur leurs intentions pour cibler au plus juste nos besoins et avoir une vision réaliste, à la fois collective et individuelle. »
En IGP sauvignon, Gilles Gaillard, délégué du syndicat IGP Val de Loire en Loir-et-Cher, prône, lui aussi, la prudence. « Le vignoble a plutôt stagné ces dernières années, observe-t-il. Je suis très réservé sur l'intérêt d'étendre les surfaces de façon significative. Le risque est de développer des volumes sans avoir de marchés en face. » À l'inverse, le négociant Noël Bougrier voit « des chances sur le segment des IGP, sous réserve de travailler la qualité. Les marchés vins de France, IGP et AOC sont complémentaires ». Quant aux vins sans IG, ils ne sont pas les bienvenus. En avril, le dernier conseil de bassin Val de Loire s'est prononcé contre leur plantation. « Je ne crois pas que les vins industriels vont se développer dans notre région, commente Laurent Benoist, des Vignerons indépendants. Notre climat entraîne des coûts de production plus élevés que dans le sud-ouest de la France. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Patrice Boutet, coopérateur, 17 ha, Bléré (Indre-et-Loire)
« Le sauvignon se vend bien. Il faut en planter un peu dès maintenant, mais pas des centaines d'hectares, car cela déséquilibrerait le marché. Le nouveau système va favoriser les plantations. Mais celles-ci ne porteront pas sur des surfaces importantes, car cela implique un lourd investissement, sauf pour les négociants. Certains vont être tentés de planter sur de grandes superficies. Quant à la gestion du système, les négociants connaissent les besoins du marché, il est normal qu'ils donnent leur avis et que les interprofessions coordonnent, c'est leur rôle. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Noë Rouballay, Domaine Octavie, 30 ha, Oisly (Loir-et-Cher)
« Les surfaces existent en touraine blanc. Il suffirait d'une année de pleine récolte pour saturer le marché. Il vaut donc mieux maintenir la pénurie. Augmenter les surfaces est risqué. Le nouveau système peut favoriser l'arrivée d'investisseurs aux gros moyens qui planteront de la vigne comme du blé. Il suffit de deux ou trois plantations sur des superficies importantes pour déstabiliser le marché. Selon moi, le système doit être géré par la base, les ODG. L'interprofession doit être à l'écoute des vignerons et faire l'interface entre le négoce et la production. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Renaud Guettier, La Grapperie, 6,5 ha, Bueil-en-Touraine (Indre-et-Loire)
« Je suis en bio et je produis des vins naturels qui ne sont plus en AOC car ils ne correspondent pas aux cahiers des charges. Je suis donc plutôt favorable au nouveau système et à des autorisations de plantations en vin de France ou en IGP. Mais, avec cette nouvelle donne, certains vont vouloir planter des vignes sur des terres inadaptées à la viticulture, et ils miseront tout sur l'oenologie pour produire des vins qui peuvent se vendre. Quant au négoce, il veut des plantations et des vins pas chers. L'intervention des pouvoirs publics sera certainement nécessaire. »