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DOSSIER - Plantations nouvelles : ce que veulent les régions

LES RÉGIONS QUI TEMPÈRENT

ALSACE Préserver l'équilibre

CHRISTOPHE REIBEL - La vigne - n°271 - janvier 2015 - page 50

L'Alsace plante peu depuis dix ans. Et elle ne compte pas accélérer le pas, équilibre des marchés oblige. Cette position fait l'objet d'un large consensus entre toutes les familles professionnelles.
« Les demandes de plantations nouvelles sont rares. Le contingent 2013 n'a pas été épuisé. » (Gérard Boesch, président du Crinao.)  © C. THIRIET

« Les demandes de plantations nouvelles sont rares. Le contingent 2013 n'a pas été épuisé. » (Gérard Boesch, président du Crinao.) © C. THIRIET

« Nous n'avons pas vocation à grandir, mais à nous maintenir. L'Alsace doit planter ce qu'elle perd à cause de l'urbanisation. » En deux phrases Jérôme Bauer, président de l'Association des viticulteurs d'Alsace (Ava), résume l'avis de la quasi-totalité des opérateurs de la région. Cette position a été confirmée au printemps 2014 en conseil de bassin : le vignoble alsacien, qui couvre 15 527 ha, a clairement déclaré qu'il souhaitait un rythme de plantation de 0,2 % l'an. Cette ligne est déjà suivie depuis plusieurs années. En 2012-2013, les plantations nouvelles ont porté sur 17,77 ha et en 2013-2014 sur 25,87 ha. En dix ans, le vignoble s'est étendu de 297 hectares.

Gérard Boesch, président du Crinao, rappelle : « Nous ne sommes plus dans les années 1970 quand planter a permis à l'Alsace d'abandonner son statut de vin régional. » La région n'est plus non plus au début des années 1990 quand elle s'autorisait des progressions de 150 à 200 ha/an. À l'époque, elle commercialisait 1,2 million d'hectolitres par an, voire plus. Aujourd'hui, elle peine à recoller au cap de 1,1 million d'hectolitres. Entre octobre 2013 et septembre 2014, l'Alsace a commercialisé 1,073 million d'hl : 784 000 hl (+ 0,8 %) en France et 289 000 hl (+ 5,7 %) à l'export. Pour ce faire, elle a puisé dans ses stocks. En 2014, elle a fait une faible récolte (autour d'un million d'hectolitres). Rien de tout cela n'alarme les professionnels.

« Le marché nous guide. Il ne faut pas le déstabiliser », plaide Jérôme Bauer. Pierre Heydt, le président du négoce lui emboîte le pas. Il parle d'une nécessaire « évolution maîtrisée ». Pierre Bernhard aussi : le président des Vignerons indépendants insiste pour faire « coller l'offre à la demande ». Et la base suit ses leaders. « Personne ne râle quand on négocie les plantations nouvelles. Les demandes sont rares. Le contingent 2013 n'a pas été épuisé », signale Jérôme Bauer.

Les VSIG divisent. La disponibilité de foncier est d'ailleurs un argument qui pousse à la sagesse. Réalisée en 1990, la délimitation actuelle de l'aire d'appellation couvre 20 000 ha. Comme le vignoble s'étend sur 15 527 ha, il en resterait donc 4 500 à planter. Mais c'est un chiffre théorique, car la délimitation de 1990 intègre des chemins, des cimetières et des zones qui depuis ont été urbanisés. Autant dire que le potentiel restant est bien inférieur à 4 500 ha. Et ce solde très limité se concentre au nord et au sud du vignoble. « Ailleurs, les meilleurs terroirs sont plantés. En étendant les vignes dans les secteurs où il reste des terres, le vignoble s'expose peut-être au danger d'un recul qualitatif », avertit Gérard Boesch.

Le débat est-il clos avant d'avoir commencé ? Pas tout à fait. Hervé Schwendenmann, président de Coop de France Alsace, est plus nuancé. « Il ne faut pas être trop frileux. À un moment, il faudra faire un peu plus que remplacer les surfaces perdues. Planter est une option. Augmenter les rendements en est une autre qu'il ne faut pas toujours écarter. Tout est à décider en fonction des tableaux de bord de la filière. »

Si la profession est opposée aux plantations en AOP, elle n'a pas la main sur les vins sans IG. La question divise. Il est clair que les VSIG ne séduisent aucun opérateur en place. « L'Alsace est une région à vocation AOP », martèle Pierre Heydt. « Un riesling non AOP mais quand même né en Alsace ne fera que désorienter le consommateur. Ce serait une catastrophe alors qu'on essaye de mieux valoriser nos vins avec les lieux-dits, les appellations communales et bientôt les premiers crus. Les VSIG reviennent à se tirer une balle dans le pied », tempête Pierre Bernhard.

Cela dit, comme le signale Jérôme Bauer, « même si les viticulteurs installés n'iront pas sur ce terrain, comment empêcher un investisseur de planter 100 ha d'un seul tenant dans la plaine ? » Pour Gérard Boesch, pas la peine d'engager un combat perdu d'avance. « Nous ne pouvons pas être contre le développement de VSIG s'ils présentent un avenir pour certains acteurs et s'ils ont une véritable stratégie pour alimenter des marchés. Mais ils ne doivent pas singer les AOP tout en jouant sur la productivité. Un outil de régulation est nécessaire. La gouvernance doit rester au Crinao. »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Nicolas Wittmann, Domaine Wittmann, 8,5 ha, Mittelbergheim (Bas-Rhin)

« C'est une question à régler au cas par cas. Je ne vois pas d'inconvénient à autoriser un viticulteur à planter dès lors qu'il a des besoins et qu'il ne veut pas démarrer un négoce. Mais si c'est pour faire du vrac ou vendre des bouteilles à deux ou trois euros, ce n'est pas la peine de planter des vignes. Je vends toute ma production en bouteilles et je vois que c'est assez difficile. Je préférerais, de loin, une hausse des prix. 10 % serait un minimum ».

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Daniel Ansen, Domaine Ansen, 7,5 ha, Westhoffen (Bas-Rhin)

« Comme l'Alsace fournit globalement ses marchés, on ne devrait pas planter. Il y a assez d'acheteurs à la recherche de raisins ou de vrac à bas prix. Je le constate chaque fois que j'ai des vins à vendre. Pour ce qui me concerne, je démarre la bouteille. Toute ma surface est plantée. Je ne vois pas intérêt de l'étendre. J'augmenterais ma charge de travail et je serais obligé d'embaucher. À quoi cela me servirait de progresser en chiffre d'affaires sans augmenter mon revenu et au détriment de ma famille ? »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Christian Stoffel coopérateur, 20 ha, Pfaffenheim (Haut-Rhin)

« Avant d'augmenter les surfaces, il faut compenser celles qui ont été perdues. Dans mon cas, l'urbanisation m'a grignoté 28 ares en deux ans. Par ici, l'aire délimitée est pleine. Il faudrait réintégrer les parcelles qui ont été sorties de l'aire d'appellation il y a quelques années car elles ne sont plus humides comme à l'époque. Je constate aussi que tout augmente, sauf le prix du raisin. La marge des apporteurs se réduit. Je crois qu'il faut rester sage en ce qui concerne les plantations nouvelles. »

L'essentiel de l'offre

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