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Magazine - Etranger

Cap-Vert Sous la menace d'un volcan

THIERRY JOLY - La vigne - n°271 - janvier 2015 - page 74

Sur l'île de Fogo, deux coopératives produisent du vin sur les flancs d'un volcan spectaculaire et dangereux. Elles sont depuis peu concurrencées par un domaine de style européen implanté plus bas.
EDUINO LOPES, à la tête de la coopérative Sodedad, cultive, tout comme Rosandro Monteiro, la vigne dans des conditions extrêmes, au pied du volcan Pico do Fogo. © T. JOLY

EDUINO LOPES, à la tête de la coopérative Sodedad, cultive, tout comme Rosandro Monteiro, la vigne dans des conditions extrêmes, au pied du volcan Pico do Fogo. © T. JOLY

ALDO ONILLO, DU DOMAINE MARIA CHAVEZ (à gauche), en compagnie du père Ottavio Fasano. L'oenologue espère accroître la production du domaine dont les vignes pourraient produire deux récoltes par an. © T. JOLY

ALDO ONILLO, DU DOMAINE MARIA CHAVEZ (à gauche), en compagnie du père Ottavio Fasano. L'oenologue espère accroître la production du domaine dont les vignes pourraient produire deux récoltes par an. © T. JOLY

UNE ÉRUPTION VOLCANIQUE est survenue fin novembre. L'armée a porté secours à la coop Adega de Vinho Chã, en mettant à l'abri les fûts menacés par une coulée de lave. Le chai, lui, a été en partie détruit. © R. ROSCOE/PHOTOVOLCANICA.COM

UNE ÉRUPTION VOLCANIQUE est survenue fin novembre. L'armée a porté secours à la coop Adega de Vinho Chã, en mettant à l'abri les fûts menacés par une coulée de lave. Le chai, lui, a été en partie détruit. © R. ROSCOE/PHOTOVOLCANICA.COM

LE CHAI D'ADEGA DE VINHO CHÃ n'a ni l'électricité, ni l'eau courante. L'approvisionnement en eau par camion-citerne représente un surcoût.  © T. JOLY

LE CHAI D'ADEGA DE VINHO CHÃ n'a ni l'électricité, ni l'eau courante. L'approvisionnement en eau par camion-citerne représente un surcoût. © T. JOLY

SUR L'ÎLE, DEUX LOGIQUES S'OPPOSENT. D'un côté, la viticulture traditionnelle (ci-contre), avec des ceps plantés à plus de 1 700 m d'altitude dans la caldeira du Pico do Fogo,  où tout le travail de la vigne se fait à la main.  © T. JOLY

SUR L'ÎLE, DEUX LOGIQUES S'OPPOSENT. D'un côté, la viticulture traditionnelle (ci-contre), avec des ceps plantés à plus de 1 700 m d'altitude dans la caldeira du Pico do Fogo, où tout le travail de la vigne se fait à la main. © T. JOLY

De l'autre, le nouveau vignoble, planté plus bas, du domaine Maria Chavez, qui bénéficie d'un chai moderne doté de cuves thermorégulées (ci-dessus). © T. JOLY

De l'autre, le nouveau vignoble, planté plus bas, du domaine Maria Chavez, qui bénéficie d'un chai moderne doté de cuves thermorégulées (ci-dessus). © T. JOLY

C'est entre 1 700 m et 2 100 m d'altitude, sur les pentes du Pico do Fogo, volcan actif dont le sommet culmine à 2 829 m, que l'on trouve l'essentiel du vignoble de l'archipel du Cap-Vert. Une viticulture sous la menace permanente du volcan, comme en témoigne l'éruption de fin novembre 2014 qui a détruit des vignes et partiellement endommagé la coopérative Adega de Vinho Chã. « En 1995 déjà, la cave que nous avions bâtie en 1991 a été détruite par une éruption volcanique », déclare Rosandro Monteiro, responsable du chai.

Grâce à l'aide de l'armée, les cuves et barriques de la coopérative ont été déplacées en hauteur et pu être ainsi sauvées. Mais la coopérative va devoir rebâtir son chai. Avant l'éruption, elle regroupait 107 apporteurs qui livraient de 300 kg à 34 000 kg par an. La superficie totale des vignes était estimée à environ 200 ha, dont 150 ha dans la caldeira même du volcan, une vaste dépression circulaire. Le plus important de ces apporteurs est le père de Rosandro, qui exploite 20 ha et qui est aussi le président de la coopérative. Les autres adhérents exploitent de quelques ares à 10 ha. Mais, en l'absence de cadastre, il est difficile de connaître avec exactitude la taille des parcelles. Impossible de surcroît de se fonder sur les raisins livrés car les adhérents en gardent une partie pour faire du manecon, un vin fermenté naturellement. Qu'importe puisque raisonner en hectare n'a ici guère de sens, les ceps étant plantés à des densités très variables derrière des murets de pierre, entre deux coulées de lave, dans de petits trous, et parfois entre des arbustes fruitiers. « Mais nous incitons nos adhérents à renoncer à cette pratique et aussi à ne plus complanter cépages rouges et blancs comme auparavant », précise Rosandro Monteiro qui évalue les rendements de 3 000 à 4 000 kg/ha. « Ce qui est sûr, c'est que les surfaces augmentent car nous produisons aujourd'hui 120 000 bouteilles par an contre 4 000 en 1998. Le fait que nous payons le kilo de raisin deux euros a incité beaucoup de paysans à développer cette culture. »

Depuis 2010, il existe aussi un vignoble de 23 ha situé plus bas sur les flancs du volcan, entre 500 m et 900 m d'altitude : le domaine Maria Chavez. Créé par une ONG catholique italienne, il est planté à 5 000 pieds/ha, taillé en cordon, irrigué et encépagé de merlot, tempranillo, cabernet sauvignon, pinot noir, muscat d'Alexandrie, chardonnay et traminer. À cette altitude, les températures oscillent entre 14 et 36 °C, dès lors la vigne ne connaît pas d'interruption végétative. « Nous allons peut-être passer à deux récoltes par an », explique l'oenologue Aldo Onillo.

Créé pour montrer que la production de vin peut être rentable dans l'archipel, ce domaine comprend aussi un chai moderne doté de cuves thermorégulées d'une capacité de 1,2 million de litres. Ce qui a demandé un investissement de 5 millions d'euros financé par des dons. La production est actuellement de 57 000 bouteilles de vins d'assemblage vendues entre 10 et 14,50 euros. « Mais, en 2016, nous devrions produire 100 000 bouteilles », affirme Aldo Onillo, qui rencontre deux problèmes majeurs : les vents de 80 à 90 km/h, qui défont le palissage, et les milliers de pintades venant d'Afrique qui mangent 20 % à 30 % des raisins. « Les canons à bruit n'ont aucun effet et l'État nous interdisant d'utiliser des fusils, nous lâchons un chien dans les vignes deux fois par jour. »

À l'inverse, dans la caldeira, les conditions sont quasi européennes avec des températures allant de - 2 à 30 °C. Les cépages cultivés sont apparentés au touriga nacional et au moscatel de Setubal. « Des tests ADN sont en cours à l'université des Canaries pour valider cette hypothèse », indique Rosandro Monteiro. D'autres identifient en effet le cépage rouge au trincadeira preta.

Tous les sols de la caldeira conviennent à la vigne, à condition d'apporter du crottin de chèvre ou de mouton.

« Mais pour éviter tout risque de gel, on plante sur ses premiers contreforts et les petits mamelons qui la parsèment. On évite les points bas. Le plus important est que les ceps soient à l'abri du vent, notre principal ennemi. C'est pourquoi nous ne palissons pas et laissons les rameaux près du sol », explique Eduino Lopez, lui aussi à la tête de 20 ha. En 2007, ce vigneron a créé Sodade, une autre coopérative qui regroupe onze membres et produit 50 000 bouteilles par an dont 60 % de rouges. Environ 10 000 bouteilles sont exportées aux États-Unis. Le reste est vendu entre 5 et 7 euros dans les deux principales villes du pays et dans les stations balnéaires.

Le Cap-Vert est l'unique débouché de l'Adega de Vinho Chã qui produit 65 % de blancs et écoule 10-15 % de ses cols au prix de 6 euros à la cave auprès des touristes venant gravir le volcan. Sarclage, taille et vendange sont effectués manuellement. L'oïdium est la seule maladie. Pour y remédier, on se contente de saupoudrer de la terre volcanique sur les feuilles de vigne. Naturellement riche en soufre, elle protège contre le champignon. En outre, la pression parasitaire est faible car il pleut moins de 250 mm par an, pour l'essentiel d'août à octobre. Entre-temps, les ceps vivent de l'humidité apportée par la rosée et le brouillard.

Dans les deux caves, l'embouteillage et l'étiquetage sont manuels. Elles possèdent quelques fûts de chêne français et des cuves en Inox dont la température est contrôlée par des cannes réfrigérantes. Mais elles ne disposent ni de l'eau courante ni de l'électricité. « Nous possédons un générateur et faisons venir l'eau par camion-citerne. Un surcoût qui est notre problème numéro un », affirment Rosandro Monteiro et Eduino Lopez. Après, bien sûr, la fureur imprévisible du volcan !

Bisbille entre producteurs

Pour aider le domaine Maria Chavez à se lancer, l'État lui accorde de l'eau à un tarif préférentiel, ce qui fait grincer des dents chez les coopératives traditionnelles. De plus, le domaine vient d'acquérir des raisins en altitude, dans la caldeira, qui est le terroir des coops, augmentant encore leur fureur. Pour couronner le tout, il appose la mention « Vin de Fogo » sur ses crus alors qu'ils sont produits sur un terroir différent, avec des cépages internationaux et l'utilisation d'intrants. « Nous avons entrepris des démarches pour créer une dénomination d'origine protégeant tous les produits agricoles de la caldeira de Fogo. Mais ce sera long car il n'existe rien de tel dans notre législation, cela devra donc passer par le parlement », révèle Rosandro Monteiro.

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