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VIGNE

Fertilisation À chaque cep sa dose d'engrais

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°273 - mars 2015 - page 36

La fertilisation modulée selon la vigueur des souches fait ses premiers pas. L'objectif est d'atténuer les différences au sein des parcelles pour obtenir une récolte plus homogène. Trois domaines témoignent de leur expérience.
AU CHÂTEAU LYNCH-BAGES, depuis 2014, les apports sont modulés en fonction de la vigueur de la vigne au sein de chaque parcelle. © CHÂTEAU LYNCH-BAGES

AU CHÂTEAU LYNCH-BAGES, depuis 2014, les apports sont modulés en fonction de la vigueur de la vigne au sein de chaque parcelle. © CHÂTEAU LYNCH-BAGES

Château Smith Haut Lafitte. « Réduire les écarts de vigueur »

Depuis cinq ans, au Château Smith Haut Lafitte, à Martillac, en Gironde, les apports de compost sont modulés au sein de chaque parcelle grâce au système Œnoview. Celui-ci fournit des images satellitaires de la vigueur des vignes, qui révèlent de fortes hétérogénéités dans certaines parcelles. « Nous voulons réduire ces extrêmes. Lorsque la vigueur est trop faible ou trop forte, les raisins n'atteignent pas le niveau qualitatif recherché car la maturation se fait plus lentement », explique Fabien Teitgen, le directeur technique du vignoble.

Lorsque la vigueur est trop faible, c'est souvent parce que le sol est pauvre. La fertilisation doit être renforcée. « Nous modulons les apports de compost par la vitesse d'avancement de l'enjambeur. Ainsi, en passant de 6 à 4 km/h, la quantité épandue augmente d'un tiers. Le tractoriste repère quand il doit changer de vitesse grâce à des rubans de chantier noués autour des ceps. » Dans les zones de faible vigueur, il apporte ainsi 800 à 1000 kg/ha de compost alors qu'en entretien, la même dose tous les trois ans suffit.

A l'inverse, pour freiner une vigueur excessive, Fabien Teitgen mise sur l'enherbement. « Les ceps peuvent se montrer plus vigoureux dans les bas de coteaux. Nous implantons là un enherbement et n'apportons plus de compost », détaille le directeur technique. En quelques années, nous avons réussi à calmer les excès de vigueur, mais c'est encore insuffisant. Dans les zones trop faibles, les progrès sont nets dans certaines parcelles. Lorsque nous y dégustons les raisins, nous sentons que nous sommes sur la bonne voie ! Dans d'autres, nous n'avons pas encore trouvé le bon équilibre. »

Une mission Œnoview revient à 5 000 euros pour cartographier la vigueur des 80 hectares du vignoble. « Nous commandons une mission tous les deux ans, excepté si le climat de l'année a été particulier », note Fabien Teitgen. En début de saison, avant les apports de compost, un employé balise les différentes zones au sein des parcelles. « Il y a un léger surcoût au final. Mais nous pilotons plus finement la qualité. »

Château Lynch-Bages. « Un prestataire pour moduler les apports »

Au Château Lynch-Bages, à Pauillac, en Gironde, des cartes Œnoview ont permis dès 2011 de délimiter des zones de vigueur différente. « Avant de chercher à réduire ces écarts pour obtenir une qualité plus homogène, nous avons voulu les expliquer », raconte Nicolas Labenne, le directeur technique de ce vignoble de 100 ha.

Dans ce but, il a fait réaliser quantité d'analyses de terre, ainsi que des mesures de résistivité, de comportement hydrique ou encore d'azote assimilable dans les moûts. « Avec l'aide de notre consultant Biovitis, nous avons croisé toutes ces données avec nos observations des vignes. » Le domaine a commencé à moduler les apports en 2014, en s'appuyant sur des cartes établies par Telespazio, plus précises que celles d'Œnoview. « Nous les avons validées sur le terrain avec notre consultant, qui a établi les doses à apporter. Telespazio a intégré ces prescriptions dans une nouvelle carte. Puis nous avons fait appel à notre prestataire, Travaux agricoles Bougès, qui est équipé de tracteurs utilisant cette carte sur leur ordinateur de bord. »

Sur 80 % de la surface, les sols manquaient de matière organique. « En décembre, nous avons amené un compost de déchets verts, à raison de 15, 25 et 40 t/ha pour chacun des trois niveaux de vigueur identifiés », précise-t-il. Ces apports, réalisés tous les trois ans, amèneront entre 1150 et 3450 kg/ha/an d'humus stable, à l'intérieur des parcelles. Pour ajuster la dose, le chauffeur surveille un écran sur lequel un point rouge lui donne sa position sur la carte. Celle-ci le renseigne sur les doses à apporter dans chaque zone. Il n'a plus qu'à accélérer ou ralentir quand il change de zone.

En février et mars, la fertilisation est complétée par des apports de potasse et de magnésie. « La modulation est alors automatisée. Notre prestataire utilise l'épandeur Agrovis de New Holland, qui ajuste en continu le débit en fonction des données de la carte embarquée. »

« Avec ces mêmes données, Telespazio va nous proposer des cartes avec une évaluation de la récolte sur pied, pour prévoir l'éclaircissage et le nombre de manquants à complanter. »

Géolocalisée, la prestation d'épandage revient un peu plus cher. « Nous allons continuer à commander une cartographie durant deux ou trois ans pour suivre l'évolution de la vigueur. Puis nous referons le point tous les trois ans. »

Maison Veuve Clicquot. « D'abord repérer le bon niveau de vigueur »

« Depuis que nous avons enherbé l'inter-rang, nous constatons des baisses de vigueur dans certaines parcelles où le rendement commence à fléchir. Pour suivre de près cette évolution, nous nous sommes équipés de capteurs Physiocap », explique Romain Le Guillou, responsable du développement du vignoble de la Maison Veuve Clicquot, à Verzy, dans la Marne.

Il a fait monter ces capteurs sur les quatre tracteurs utilisés pour prétailler les 325 ha du vignoble. Les premières mesures des bois de taille ont été effectuées en même temps que le prétaillage fin 2013 et début 2014. « Dans huit parcelles très hétérogènes, nous avons délimité trois placettes par parcelle correspondant à trois niveaux de vigueur. Nous les avons ensuite observées durant tout le cycle végétatif, en notant les maladies, le nombre et le poids des grappes, la maturité et l'azote dans les moûts », précise-t-il.

Son but ? Croiser toutes ces informations afin de déterminer la vigueur correspondant à ses objectifs de rendement et de qualité. « Quelques parcelles ont atteint un niveau vraiment faible. Il ne faut pas que ces situations se multiplient ! Et dans celles qui sont très vigoureuses, la sensibilité au botrytis est bien plus importante. »

Pour pallier la baisse de vigueur, il envisage de moduler l'enherbement. « Nous allons le griffer avec un outil à dents ou diminuer sa largeur. »

En ce qui concerne la fertilisation, il va opérer en deux temps. Il compte d'abord ajuster la dose d'engrais apportée à chaque parcelle en fonction des nouvelles données de vigueur. « Avec les mesures exhaustives que nous avons réalisées, nous apprécions mieux la vigueur moyenne, sans surestimer l'importance des zones plus faibles. Nous pouvons donc fertiliser plus justement. » Dans les 10 % de parcelles les plus faibles, il prévoit de remonter l'apport d'engrais organique pour compenser la concurrence de l'herbe. De même, dans ces vignes, il ne conservera l'enherbement qu'un rang sur deux pour faciliter le passage du personnel et des enjambeurs.

Ensuite, il envisage de moduler les apports au sein des parcelles très hétérogènes, si cela s'avère nécessaire. « Nous allons d'abord observer nos parcelles témoins pour apprécier l'impact de la différenciation des conduites. »

La vigueur vue d'en haut

Les cartes d'Œnoview et de Telespazio sont élaborées à partir de photos prises en plein été au-dessus des parcelles. Ces clichés infrarouges mesurent l'intensité du vert de la végétation, ce qui donne une appréciation de la masse végétale et donc des différences de vigueur. Le système Œnoview, mis au point par l'ICV et Infoterra (groupe EADS), s'appuie sur des photos satellites. Telespazio France, filiale de Thales, réalise des photos avec des drones. L'image, prise près du sol, permet alors de distinguer plus précisément le feuillage de la vigne et l'herbe. Pour Telespazio, la prochaine étape sera de compter les grappes ou les pieds manquants.

Physiocap mesure le volume de bois

Le capteur Physiocap a été mis au point par le CIVC avec l'entreprise Ereca, spécialisée dans l'électronique et l'informatique embarquées. « Un micromètre à laser mesure en continu le nombre et le diamètre des bois. Ces données sont enregistrées sur une clé USB en même temps que les coordonnées GPS de l'endroit où elles sont prises », explique Manon Morlet, responsable de ce projet au CIVC. Après avoir rentré ces données brutes sur un ordinateur, on peut éditer des cartes avec un logiciel adapté. Ces mesures, prises durant l'hiver, permettent d'évaluer la biomasse et donc la vigueur pour le cycle à venir. « Les vignerons l'estiment lorsqu'ils taillent. Mais, avec le capteur, les mesures sont objectives et exhaustives », souligne Manon Morlet. Des comparaisons entre parcelles et entre années sont ainsi possibles. On peut s'appuyer sur ces données, aux côtés des analyses de sol et de l'historique du rendement et de la qualité, pour moduler la fertilisation. Il est possible d'acheter le capteur, de le louer ou de faire appel à un prestataire.

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