En France, la dose de produit phytosanitaire homologuée est fixe. Elle ne tient pas compte de la croissance de la vigne. Un système rigide qui pourrait bientôt changer (voir encadré ci-dessous) et que les Suisses ont abandonné il y a une vingtaine d'années. Ainsi, les doses homologuées chez nos voisins suivent, depuis 1995, le développement de la végétation. « Six stades ont été définis : rougeot (stades E-F, feuilles étalées/grappes visibles), 1er préfloral (stade G, grappes séparées), 2e préfloral (stade H, boutons floraux séparés), floral (stade I, floraison), post-floral (stade J, nouaison) et un dernier uniquement pour la zone des grappes (stade M, véraison) », explique Olivier Viret, responsable de la recherche en viticulture-oenologie à l'Agroscope de Nyon, en Suisse.
Les étiquettes mentionnent la quantité pour chaque stade, une quantité qui augmente avec le temps. « Le dosage du Valiant Flash, par exemple, passe de 1,6 kg à l'hectare en préfloral à 3,2 kg/ha après la floraison. Sur la zone des grappes, il est limité à 2,4 kg/ha, indique Reynald Saugy, conseiller et responsable de site chez Landi, un fournisseur de produits phytosanitaires établi près de Lausanne. Cette homologation assure une protection satisfaisante et une réelle économie de produit. »
Reste qu'il n'est pas toujours facile d'appliquer ce système. « Les domaines comportent souvent beaucoup de cépages qui n'évoluent pas forcément au même rythme. Pour définir la dose lors d'un passage, le vigneron doit s'appuyer sur ses observations et son expérience de la sensibilité du cépage et de la parcelle aux maladies », poursuit Reynald Saugy.
Christian Dupuis, viticulteur à Perroy (canton de Vaud), ne cherche pas à prendre des risques : « En cas d'écart phénologique entre mes parcelles, nous choisissons la dose correspondant au stade le plus avancé, pour plus de sécurité. Mais dans ce cas, l'économie de produit est plus limitée. »
Sébastien Ruchonnet est, lui, vigneron à Rivaz (canton de Vaud), dans le Lavaux, région célèbre pour ses vignobles en terrasses. « Nous cultivons onze cépages dont les stades sont assez proches. Nous groupons nos traitements qui sont effectués par un turbodiffuseur sur chenilles, un atomiseur à dos et un hélicoptère. Pour fixer la dose, nous observons notre vignoble. À partir de là, nous établissons le stade moyen des vignes. »
Sébastien Ruchonnet aussi préfère jouer la sécurité. « Nous privilégions la qualité de la protection à l'économie de produits. La pression du mildiou et de l'oïdium a été élevée ces dernières années. En cas de doute, j'ai donc tendance à retenir le stade le plus avancé et la dose qui y correspond. »
Pour Olivier Viret, de l'Agroscope de Nyon, le système a des limites pour une autre raison. « Il ne tient pas compte de la densité de plantation qui peut, en Suisse, varier de 5 000 à 12 000 pieds/ha. Nous avons donc mis au point un dispositif visant à adapter le dosage au volume foliaire à traiter. »
Avant le traitement, le vigneron mesure la hauteur du feuillage, sa largeur et la distance de l'interrang. Il rentre ces données dans un module de calcul disponible sur le site agrometeo.ch, où il indique également la surface à traiter, les produits qu'il compte utiliser et la dose homologuée pour chaque produit. Le module calcule alors la quantité de phytos à employer. Ensuite, il détermine la quantité de bouillie à préparer en fonction du volume appliqué à l'hectare « Cet outil permet une réduction moyenne de 20 % de la quantité de produits appliquée par an par rapport au dosage selon le stade phénologique, tout en maintenant une efficacité similaire », assure Olivier Viret.
La modulation des traitements selon le volume réel de feuillage de la vigne suscite de l'intérêt en France. « La dose fixe que nous connaissons ici est indépendante de la surface de végétation à protéger, de l'écartement entre les rangs et du mode de conduite. La mise en oeuvre est simple pour le viticulteur, mais les quantités de produit réellement déposées sur les feuilles ou grappes sont très variables selon les conditions d'application », commente Sébastien Codis de l'IFV. Or, la réduction des quantités appliquées passe nécessairement par une modulation du dosage. Cette piste, déjà mise en oeuvre à travers le programme Optidose de l'IFV, pourrait se généraliser si la réglementation l'imposait.
La modulation, une pratique courante en Europe
En Allemagne aussi, les doses autorisées dépendent du stade végétatif. Une dose « de base » est homologuée pour les premiers traitements et trois autres stades ont été définis : début de floraison, nouaison et stade grain de pois. « Dans la majorité des cas, la dose autorisée pour le début de floraison correspond à deux fois la dose de base, la dose pour la nouaison à trois fois la dose initiale et la dose pour le stade grain de pois à quatre fois », explique Sébastien Codis, de l'IFV. En Belgique, les arboriculteurs doivent également tenir compte de la surface foliaire à traiter, celle-ci étant exprimée en mètres carrés. En Espagne, « les étiquettes font le plus souvent apparaître des fourchettes d'utilisation avec un rapport entre les valeurs haute et basse compris entre 1, 2 et 3. Sur certains produits, il est suggéré d'utiliser la valeur haute en cas de forte pression parasitaire et la valeur basse en cas de pression normale », détaille Sébastien Codis. De même, en Italie, la dose à utiliser est exprimée par une fourchette à l'hectare.
Une idée en vogue en France
« Établir un système d'expression des doses de produits phytosanitaires harmonisé entre pays et tenant explicitement compte de l'évolution de la structure du végétal à protéger. » Telle est l'une des préconisations du rapport de Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, remis le 23 décembre 2014 au Premier ministre, Manuel Valls. Le parlementaire, qui est également agriculteur, avait été chargé d'une mission dans le cadre de la préparation du nouveau plan Ecophyto. Dans son rapport, Dominique Potier fait référence aux systèmes suisse et allemand où la dose de produits phytosanitaires dépend du stade végétatif. « Le système français par hectare cadastral repose sur une dose homologuée unique. Il conduit dans la pratique à des quantités de produit réellement déposées [...] sur feuilles ou grappes très variables et à des pertes environnementales parfois très importantes », explique-t-il. Sa préconisation ne figure pas dans les grands axes du nouveau plan Ecophyto présenté par le ministre de l'Agriculture, le 30 janvier dernier, mais elle pourrait être reprise dans le plan détaillé qui sera publié dans quelques mois.
En effet, plusieurs experts français la soutiennent. « Ce sujet sera étudié. Mais pour l'instant il est trop tôt pour vous dire s'il sera intégré ou non dans le cadre du plan Ecophyto », indique Guillaume Adra, conseiller du ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll.